SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 septembre 2024
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 837 FS-B
Pourvoi n° C 22-22.860
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 SEPTEMBRE 2024
La société Aries Packaging, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 22-22.860 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [V] [U], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [V] [U] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de Me Ridoux, avocat de la société Aries Packaging, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [U], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 juin 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 19 octobre 2022), M. [U] a été engagé en qualité d'automaticien par la société Aries Packaging, le 1er mars 2015.
2. Il a été licencié le 3 septembre 2018.
3. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 14 février 2020 afin que son licenciement soit dit nul et que son employeur soit condamné à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier moyen, deuxième moyen, pris en sa seconde branche, troisième, quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal de l'employeur
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes du salarié liées au travail dissimulé et de le condamner à lui payer une somme au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé, alors « que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que la demande d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est subordonnée à la rupture de la relation de travail, et se prescrit donc par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que dès lors, en jugeant en l'espèce que l'action du salarié relative à l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé portait sur l'exécution du contrat de travail, et qu'elle se prescrivait donc par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
7. Selon l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
8. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, qui naît lors de la rupture du contrat en raison de l'inexécution par l'employeur de ses obligations, est soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail.
9. La cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait saisi la juridiction prud'homale le 14 février 2020 dans le délai biennal suivant la rupture du contrat de travail, a retenu à bon droit que la demande du salarié était recevable.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi incident du salarié
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes liées à la rupture du contrat de travail, alors « que l'action en nullité du licenciement pour harcèlement et dommages-intérêts pour licenciement nul se prescrit par cinq ans lorsque le licenciement trouve son origine dans une situation de harcèlement moral subi sur son lieu de travail ; que pour déclarer irrecevables les demandes de nullité du licenciement et d'indemnisation du préjudice résultant de cette nullité formulées par M. [U] qui justifiait ces demandes par l'invocation d'une situation de harcèlement moral au travail, l'arrêt retient que la saisine du conseil des prud'hommes étant intervenue plus d'un an après la notification du licenciement, c'est donc à bon droit le conseil de prud'hommes a constaté la prescription de l'action en contestation du licenciement et en paiement des indemnités de rupture, peu important que le motif de la contestation, lié au harcèlement moral, ne soit pas prescrit ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1 du code du travail et 2244 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1471-1, L. 1152-1 du code du travail et 2224 du code civil :
12. Selon le premier de ces textes, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. Cette disposition n'est toutefois pas applicable aux actions exercées en application de l'article L. 1152-1 de ce code.
13. Aux termes du deuxième, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
14. Aux termes du troisième de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
15. Il en résulte que l'action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par cinq ans lorsqu'elle est fondée sur le harcèlement moral.
16. Pour déclarer irrecevables les demandes liées à la rupture du contrat de travail, l'arrêt énonce que les actions portant sur la rupture du contrat de travail se prescrivent par douze mois à compter de la notification de la rupture. Il constate que l'accusé de réception de la lettre de licenciement ne figure pas aux dossiers, que la lettre de contestation du licenciement adressée le 20 novembre 2018 par le salarié à l'employeur démontre qu'à cette date, il en avait reçu notification. Il retient qu'ayant jusqu'au 20 novembre 2019 pour agir, la saisine du conseil de prud'hommes le 14 février 2020 apparaît tardive, la prescription étant acquise. II en conclut que c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a constaté la prescription de l'action en contestation du licenciement et en paiement des indemnités de rupture, peu important que le motif de la contestation, lié au harcèlement moral, ne soit pas prescrit.
17. En statuant ainsi, alors que l'action du salarié en nullité du licenciement était fondée sur le harcèlement moral allégué, ce dont il résultait qu'elle était soumise à la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. [U] liées à la rupture du contrat de travail, l'arrêt rendu le 19 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Aries Packaging aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aries Packaging et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre.