LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 septembre 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 431 F-D
Pourvois n°
C 23-13.089
F 23-14.679 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 SEPTEMBRE 2024
I - Mme [R] [K], épouse [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-13.089 contre un arrêt rendu le 3 janvier 2023 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Ambulances Demonet Laurent, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
3°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nocosomiales (ONIAM), établissement public national à caractère administratif, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la mutualité sociale agricole (MSA) Franche-Comté, dont le siège est [Adresse 3],
5°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Doubs, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
II - L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), a formé le pourvoi n° F 23-14.679 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
2°/ à la société Ambulances Demonet Laurent, société par actions simplifiée unipersonnelle,
3°/ à Mme [R] [K], épouse [W],
4°/ à la mutualité sociale agricole (MSA) de Franche-Comté,
5°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Doubs,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° C 23-13.089 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° F 23-14.679 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [K], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société MMA IARD, de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° F 23-14.679 et C 23-13.089 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à Mme [K] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Ambulances Demonet Laurent.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 3 janvier 2023), le 24 février 2009, Mme [K] a été victime, après son accouchement au sein d'une clinique, d'une grave affection pulmonaire et transférée dans un centre hospitalier universitaire.
4. Le 25 février 2009, au cours de son transfert, confié par le service mobile d'urgence et de réanimation (le SMUR) du centre hospitalier à une société privée de transport en ambulance, assurée par la société MMA IARD, elle est tombée d'un brancard et a été gravement blessée.
5. A la suite de la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, d'un avis de celle-ci concluant à la responsabilité de la société chargée du transport au titre de la chute de Mme [K], l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) s'est, en l'absence d'offre de la société MMA IARD, substitué à cet assureur et a alloué une provision à Mme [K] ayant, à l'issue de sa consolidation, refusé l'offre d'indemnisation définitive de l'ONIAM.
6. Les 21, 24 et 25 septembre 2017, Mme [K] a assigné en responsabilité et indemnisation la société Ambulance Demonet Laurent, la société MMA IARD et l'ONIAM et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs (la caisse) et la mutualité sociale agricole de Franche-Comté (la MSA) qui ont sollicité le remboursement de leurs débours. L'ONIAM, subrogé dans les droits de Mme [K] au titre de la provision versée, en a sollicité le remboursement auprès de la société Ambulance Demonet Laurent et de la société MMA IARD.
7. Par ordonnance du 25 mai 2021, les demandes formées à l'encontre de la société Ambulance Demonet Laurent ont été déclarées irrecevables aux motifs qu'elle n'avait pas assuré elle-même le transfert réalisé, avant son immatriculation, par la société d'exploitation des Etablissements Michel Demonet, assurée aussi auprès de la société MMA IARD.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° C 23-13.089
Enoncé du moyen
8. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la société MMA IARD, alors « que tenu de respecter lui-même le principe du contradictoire, le juge ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en soulevant d'office le moyen pris de ce que la responsabilité de la société d'ambulances était subordonnée à l'existence d'une faute personnelle détachable du service, qui n'était pas caractérisée, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
9. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
10. Pour rejeter les demandes de Mme [K] à l'encontre de la société MMA IARD, l'arrêt retient que la responsabilité de la société d'ambulance privée ne pourrait être retenue qu'à condition de démontrer l'existence d'une faute détachable du service, qui n'est pas invoquée et qui n'est pas caractérisée en l'espèce.
11. En statuant ainsi, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi n° C 23-13.089 et sur le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° F 23-14.679, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
12. Mme [K] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la responsabilité d'une société d'ambulances de droit privé agissant en exécution d'une mission de service public, sans exercer de prérogatives de puissance publique, relève de la compétence des juridictions judiciaires ; que sa faute est appréciée au regard des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la faute commise, quoique répondant aux critères posés par l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ne suffisait pas à engager la responsabilité de la société et donc à justifier la garantie de son assureur, faute d'être détachable du service ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique par refus d'application. »
13. L'ONIAM fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf celles, confirmées, par lesquelles il a rejeté son recours subrogatoire contre la société MMA IARD et sa demande fondée sur l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, alors « qu'une société privée de transport par ambulance liée par une convention conclue avec un CHU, par laquelle celle-ci s'est engagée à mettre à disposition de celui-ci le personnel et la matériel nécessaires à certaines prises en charges de patients par le SMUR, engage sa responsabilité pour faute à l'égard de toute personne privée victime devant le juge judiciaire, sauf si cette convention lui confère une mission de service public comportant des prérogatives de puissance publique ; qu'en l'espèce la cour d'appel énonce que la société d'ambulance assurée par la société MMA était une personne de droit privé, et qu'elle était intervenue en exécution d'une convention avec le CHU de Besançon, personne de droit public, qui l'obligeait à mettre à disposition de celui-ci le personnel et la matériel nécessaires à certaines prises en charges de patients par le SMUR, ce qui avait été le cas en l'espèce, et que, la mission du SMUR étant une mission de service public, nonobstant l'absence de prérogatives de puissance publique, la faute commise par la société d'ambulance privée intervenue pour l'exécution de cette mission, à la demande du SMUR et sous son contrôle, était de nature à engager la responsabilité administrative du CHU, car elle était une faute d'inattention non détachable du service, ce dont elle a déduit que la société d'ambulance assurée ayant agi en qualité d'agent du service public hospitalier et n'ayant commis qu'une faute de service, la garantie de cette responsabilité n'était pas due par la société MMA IARD, son assureur ; qu'en retenant de la sorte que la faute de la société privée de transport par ambulance n'était susceptible d'engager que la responsabilité du CHU indépendamment du point de savoir si l'intéressée exerçait des prérogatives de puissance publique, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique :
14. Il résulte de ce texte que les professionnels de santé, comme les sociétés professionnelles qui les emploient ou au sein desquelles ils sont associés, sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute.
15. Il s'en déduit qu'une société d'ambulances privée engage sa responsabilité au titre des fautes commises durant des opérations de transport, même si son intervention a été sollicitée par un SMUR, en exécution d'une convention conclue avec un CHU, et relève alors d'une mission de service public.
16. Pour rejeter les demandes de Mme [K] et de l'ONIAM, l'arrêt retient que la mission du SMUR étant une mission de service public, nonobstant l'absence de prérogatives de puissance publique, la faute commise par la société d'ambulance privée intervenue pour l'exécution de cette mission, à la demande du SMUR et sous son contrôle, n'étant pas détachable du service, est de nature à engager la responsabilité administrative du centre hospitalier.
17. En statuant ainsi, alors que toute faute était susceptible d'engager la responsabilité de la société d'ambulances ayant réalisé le transfert, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt rejetant les demandes de Mme [K] à l'encontre de la société MMA IARD et les demandes de l'ONIAM entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant les demandes de la caisse et la MSA, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Ambulances Demonet et la société MMA IARD de leur demande d'expertise judiciaire, constate que les demandes tendant à la condamnation de la société Ambulances Demonet Laurent à payer des sommes à Mme [K], à la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs et à la mutualité sociale agricole de Franche-Comté ont été définitivement jugées irrecevables par le conseiller de la mise en état, rejette la fin de non-recevoir à nouveau soulevée par la société Ambulances Demonet Laurent contre les mêmes demandes et dit sans objet la demande de la société Ambulances Demonet Laurent tendant à être garantie de toute condamnation par la société MMA IARD, l'arrêt rendu le 3 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société MMA IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MMA IARD et la condamne à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre septembre deux mille vingt-quatre.