LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 juillet 2024
Rejet
M. Soulard, premier président
Arrêt n° 688 FS-D
Pourvoi n° S 22-24.713
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JUILLET 2024
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 22-24.713 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2022 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [W] [P], domicilié [Adresse 4],
2°/ à Mme [M] [E], divorcée [P], domiciliée [Adresse 1],
tous deux pris en qualité de tuteurs légaux d'[F] [P],
3°/ à Mme [F] [P], domiciliée [Adresse 3], représentée par ses co-tuteurs légaux, Mme [M] [E] et M. [W] [P],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [P] et Mme [E], en qualité de tuteurs légaux d'[F] [P], et Mme [F] [P], représentée par ses co-tuteurs légaux, Mme [E] et M. [P], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, Mme Martinel, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, Mme Cassignard, M. Martin, Mme Chauve, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, M. Riuné, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 octobre 2022) et les productions, le 13 octobre 1992, alors qu'elle était confiée à Mme [I], assistante maternelle accueillant plusieurs enfants à son domicile, Mme [F] [P], alors âgée de 4 mois, a subi un traumatisme crânien sévère.
2. Mme [I] a indiqué que des coups avaient été portés à Mme [F] [P] par M. [Z] [Y], alors âgé de 2 ans, à l'aide d'un hochet, alors qu'elle s'occupait d'un autre enfant dans une autre pièce.
3. La plainte pénale déposée par la mère de la victime, Mme [E], a été classée sans suite.
4. En 1999, Mme [E] et M. [P], agissant en qualité de représentants légaux de leur fille, Mme [F] [P], ont assigné devant un tribunal de grande instance Mme [I] ainsi que M. et Mme [Y], en qualité de représentants légaux de leur fils, et leurs assureurs respectifs.
5. Par arrêt d'une cour d'appel du 7 septembre 2017, Mme [I] a été déclarée seule responsable du dommage, les circonstances de l'accident étant considérées comme indéterminées.
6. La demande de garantie dirigée contre l'assureur de Mme [I] a été rejetée.
7. Le 24 novembre 2017, M. [P] et Mme [E] ont saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI), en leurs noms personnels et en qualité de tuteurs de leur fille, à fin d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI).
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le FGTI fait grief à l'arrêt de dire que Mme [P] a droit à l'indemnisation, à sa charge, de son préjudice résultant des faits de violences, volontaires ou non, commises le 13 octobre 1992 par l'enfant [Z] [Y], alors « que seuls les dommages résultant de faits qui présentent le caractère matériel d'une infraction pénale peuvent être indemnisés sur le fondement des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale ; qu'en jugeant que Mme [P] aurait été victime de faits, commis par M. [Y], présentant le caractère matériel d'une infraction pénale, cependant que le fait, pour un enfant de deux ans, de frapper un autre enfant avec un hochet de dentition ne constitue, compte tenu de son âge, ni une maladresse pouvant revêtir le caractère matériel de l'infraction de blessures involontaires, ni a fortiori un acte intentionnel pouvant revêtir le caractère matériel de l'infraction de violences volontaires, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque ces faits ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.
10. L'arrêt relève, d'abord, que les experts, reconnaissant que l'examen clinique ne permettait pas de déterminer si le traumatisme crânien avait été causé par le hochet qu'ils avaient examiné, avaient conclu qu'il n'était pas impossible que des coups portés par ce hochet aient pu entraîner les lésions constatées sur le bébé, et considère que le récit spontané de l'assistante maternelle était crédible et compatible avec les avis médicaux.
11. Il retient, ensuite, que l'origine des blessures réside dans des coups portés sur Mme [F] [P] et que ces faits caractérisent l'infraction de violences volontaires ou celle de blessures involontaires.
12. L'arrêt en déduit le droit de Mme [F] [P] à être indemnisée par le FGTI de son préjudice résultant des faits de violences, volontaires ou non.
13. La cour d'appel ayant mis en évidence le fait que Mme [F] [P], alors âgée de 4 mois, ne pouvait avoir subi les blessures constatées sans l'intervention, volontaire ou non, d'un tiers et ayant ainsi établi l'existence de faits présentant le caractère matériel de l'infraction de violences volontaires ou de blessures involontaires, rendant recevable la demande d'indemnisation devant la CIVI, peu important l'identité de leur auteur, elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à Mme [F] [P], représentée par Mme [E] et M. [P], la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le premier président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.