LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SA9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 juin 2024
Cassation partielle sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 354 F-B
Pourvois n°
A 22-10.300
X 22-23.361 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2024
1°/ M. [O] [U],
2°/ Mme [F] [C] épouse [U],
tous deux domiciliés [Adresse 2]
ont formé les pourvois n° A 22-10.300 et X 22-23.361 contre un arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 1), dans les litiges les opposant à la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine - banque (CFCAL), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs aux pourvois n° A 22-10.300 et X 22-23.361 invoquent, à l'appui de leurs recours, deux moyens identiques de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. et Mme [U], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine - banque, après débats en l'audience publique du 7 mai 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-10.300 et 22-23.361 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 décembre 2021) et les productions, suivant offre du 3 janvier 2018, acceptée le 6 janvier 2018, la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine banque (la banque) a consenti à M. et Mme [U] un prêt ayant pour objet le regroupement de plusieurs crédits à la consommation, reproduisant à l'article 4.3.2. les dispositions prévues à l'article L. 312-26 du code de la consommation et stipulant que les fonds, mis à disposition au plus tôt dès le 8e jour de la date d'acceptation de l'offre par l'emprunteur avec l'accord de ce dernier et au plus tard après l'expiration du délai de rétractation, seront directement versés par la banque à chacun des précédents créanciers dont le remboursement de la créance fait l'objet du contrat.
3. M. et Mme [U] ayant demandé la mise à disposition du capital dès le huitième jour de leur acceptation, la banque a débloqué les fonds le 16 janvier 2018 et procédé au remboursement des différents crédits précédemment souscrits.
4. Par lettre du 18 janvier 2018, M. et Mme [U] ont exercé leur droit de rétractation. Après les avoir mis en demeure de restituer le capital et de payer les intérêts au taux du contrat, la banque les a assignés en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la banque une certaine somme au taux du contrat à compter du 26 mars 2018 et d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, alors « qu'en cas d'exercice par l'emprunteur de son droit de rétractation, l'emprunteur qui a accepté une offre de crédit à la consommation n'est tenu, aux termes des dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation, de rembourser au prêteur le capital versé et de lui payer les intérêts cumulés sur ce capital qu'à la condition que les fonds prêtés lui aient été personnellement versés ; qu'en énonçant, dès lors, après avoir relevé que le prêt consenti par la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine à M. et Mme [O] [U] avait pour objet le regroupement de six crédits à la consommation souscrits par ces derniers, que, quelques jours après l'acceptation par M. et Mme [O] [U] de ce prêt, la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine avait réglé par chèques le solde de six crédits à la consommation à différents établissements de crédit et n'avait versé à M. et Mme [O] [U] que la somme de 529 euros et que M. et Mme [O] [U] avaient fait usage de leur faculté de rétractation, pour condamner solidairement M. et Mme [O] [U] à payer à la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine la somme de 38 851,51 euros, augmentée des intérêts au taux de 4, 15 % à compter du 26 mars 2018, avec capitalisation des intérêts dus pour une année entière, qu'en application des dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation, M. et Mme [O] [U] étaient tenus de rembourser au prêteur le capital versé et les intérêts cumulés sur ce capital depuis la date à laquelle le crédit avait été versé jusqu'à la date à laquelle le capital est remboursé et calculés sur la base du taux débiteur figurant au contrat, peu important que les fonds prêtés eussent été directement versés aux établissements de crédit dont les contrats avaient été "rachetés" dans le cadre du regroupement de crédits, quand il résultait de ses propres constatations que M. et Mme [O] [U] n'étaient pas tenus, en application des dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation, de rembourser à la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine les sommes que celle-ci avait payées aux établissements de crédit et correspondant aux six crédits à la consommation que ceux-ci avaient consentis, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 314-10 du code de la consommation, lorsque les crédits à la consommation mentionnés à l'article L. 312-1 font l'objet d'une opération de crédit destinée à les regrouper, le nouveau contrat de crédit est soumis aux dispositions du code de la consommation relatives aux crédits à la consommation.
7. Aux termes de l'article L. 312-25 de ce code, pendant un délai de sept jours à compter de l'acceptation du contrat par l'emprunteur, aucun paiement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, ne peut être fait par le prêteur à l'emprunteur ou pour le compte de celui-ci, ni par l'emprunteur au prêteur.
8. L'article L. 312-26 du même code dispose :
« A compter du jour suivant la mise à disposition des fonds à l'emprunteur et en cas de rétractation, l'emprunteur rembourse au prêteur le capital versé et paye les intérêts cumulés sur ce capital depuis la date à laquelle le crédit lui a été versé jusqu'à la date à laquelle le capital est remboursé, sans retard indu et au plus tard trente jours après avoir envoyé la notification de la rétractation au prêteur. Les intérêts sont calculés sur la base du taux débiteur figurant au contrat. »
9. Il résulte des deux derniers textes cités, qui, en vertu du premier, sont applicables à un contrat ayant pour objet le regroupement de plusieurs crédits à la consommation, qu'en cas d'exercice de son droit de rétractation par l'emprunteur dans le délai, prévu à l'article L. 312-19 du code de la consommation, de quatorze jours calendaires révolus à compter du jour de l'acceptation de l'offre de contrat de crédit, la circonstance que les fonds ont été versés par le prêteur, pour le compte de l'emprunteur aux créanciers de celui-ci, ne fait pas obstacle à l'exercice par le prêteur contre l'emprunteur de l'action en restitution prévue par l'article L. 312-26, dès lors que ce versement a été fait après l'expiration du délai de sept jours prévu à l'article L. 312-25.
10. La cour d'appel ayant relevé que l'offre de prêt avait été acceptée le 6 janvier 2018, que les emprunteurs avaient demandé la mise à disposition du capital dès le huitième jour de leur acceptation, que la banque avait débloqué les fonds le 16 janvier 2018, en procédant, conformément aux stipulations contractuelles, au remboursement des créanciers des emprunteurs, et que ceux-ci avaient exercé leur faculté de rétractation le 18 janvier suivant, en a exactement déduit que la banque était fondée à demander aux emprunteurs la restitution du capital, ainsi que les intérêts, dans le délai de trente jours de la notification de la rétractation.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, alors « que la règle édictée par les dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation, selon lequel le prêteur n'a droit à aucune indemnité versée par l'emprunteur en cas d'exercice par celui-ci de son droit de rétractation, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par les dispositions de l'article 1342-2 du code civil lorsque les dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation sont applicables ; qu'en ordonnant, dès lors, la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, après avoir retenu que les dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation étaient applicables, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 312-26 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. La banque conteste la recevabilité du moyen comme étant nouveau.
14. Cependant, le moyen ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
15. Le moyen, de pur droit, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 312-26 du code de la consommation et 1343-2 du code civil :
16. Aux termes du premier de ces textes, à compter du jour suivant la mise à disposition des fonds à l'emprunteur et en cas de rétractation, l'emprunteur rembourse au prêteur le capital versé et paye les intérêts cumulés sur ce capital depuis la date à laquelle le crédit lui a été versé jusqu'à la date à laquelle le capital est remboursé, sans retard indu et au plus tard trente jours après avoir envoyé la notification de la rétractation au prêteur. Les intérêts sont calculés sur la base du taux débiteur figurant au contrat. Le prêteur n'a droit à aucune indemnité versée par l'emprunteur en cas de rétractation.
17. Selon le second, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
18. La règle édictée par le premier texte susvisé, selon lequel aucune indemnité ne peut être accordée au prêteur en cas d'exercice par l'emprunteur de son droit de rétractation, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par le second texte.
19. Après avoir fixé le montant de la créance de la banque, en principal et intérêts, conformément à l'article L. 312-26 du code de la consommation, l'arrêt ordonne la capitalisation de ces intérêts.
20. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
21. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
22. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
23. L'application de l'article L. 312-26 du code de la consommation étant exclusive de celle de l'article 1343-2 du code civil, la demande formée par la banque tendant à ce que les intérêts, tant conventionnels que légaux, dus pour une année entière, soient capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, est rejetée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, l'arrêt rendu le 16 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande formée par la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine banque tendant à ce que les intérêts, tant conventionnels que légaux, dus pour une année entière soient capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts ;
Condamne la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine banque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit foncier et communal d'Alsace et de Lorraine banque et la condamne à payer à M. et Mme [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille vingt-quatre.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre