CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 mai 2024
Rejet
Mme TEILLER, président,
Arrêt n° 267 F-D
Pourvoi n° D 22-21.159
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 MAI 2024
M. [M] [B], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-21.159 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [L] [E], domicilié [Adresse 15],
2°/ à Mme [A] [W], domiciliée [Adresse 22],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Choquet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [B], après débats en l'audience publique du 3 avril 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Choquet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juillet 2022), par acte du 27 décembre 2012, M. [E] et Mme [W] ont acquis de Mme [D] une parcelle cadastrée AA n° [Cadastre 3], sur laquelle ils ont engagé des travaux de création d'une aire de stationnement.
2. Propriétaire de diverses parcelles voisines, M. [B] les a assignés en revendication de la propriété de celle-ci, remise en état et restitution.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [B] fait grief à l'arrêt de rejeter sa revendication de la propriété de la parcelle cadastrée AA n° [Cadastre 3] et ses demandes de remise en état et de restitution de celle-ci, alors :
« 1°/ que tout jugement doit être motivé ; que la contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, les juges d'appel ont rejeté l'argumentation de M. [B] aux motifs d'une part que "l'acte de 1941 ne porte pas sur la parcelle [Cadastre 6] mais sur les parcelles [Cadastre 7], [Cadastre 13], [Cadastre 9], [Cadastre 11] qui sont contiguës à la parcelle [Cadastre 6], celle-ci n'ayant pas été acquise par les auteurs de Mme [P]" ; que la cour d'appel avait pourtant d'autre part retenu elle-même que "M. [B] produit aux débats un acte de retranscription de la conservation des hypothèques du 29 septembre 1941 concernant l'acquisition par les consorts [P]-[C] (auteur de Mme [G] [P]) des biens immobiliers dont il s'agit et notamment "... une petite maison ... avec emplacement attenant, cadastrée E n° [Cadastre 14], P[Cadastre 4]-[Cadastre 10] et [Cadastre 12] de l'ancien cadastre et section [Cadastre 16] du nouveau cadastre" ; qu'en disant ainsi à la fois que l'acte de retranscription de la conservation des hypothèques du 29 septembre 1941 concerne l'acquisition par les auteurs de Mme [P] des parcelles "P[Cadastre 4]-[Cadastre 10] de l'ancien cadastre et section n° [Cadastre 16] du nouveau cadastre" et englobant donc la parcelle [Cadastre 6] litigieuse et que "l'acte de 1941 ne porte pas sur la parcelle [Cadastre 6]", la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code procédure civile et l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; qu'il résulte des termes clairs et précis de l'acte du 29 septembre 1941 qu'[Y] [P], auteur de Mme [G] [P], a acquis de [F] [O] [I], "... une petite maison ... cadastrée Section E n° [Cadastre 8]., [Cadastre 4]-[Cadastre 10]. et [Cadastre 12]. de l'ancien cadastre, et Section n° [Cadastre 16] du nouveau cadastre ..." ; qu'en décidant que "l'acte de 1941 ne porte pas sur la parcelle [Cadastre 6]", bien que la parcelle [Cadastre 16] englobe la parcelle [Cadastre 6], la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet acte en violation du principe précité et de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ qu'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, il résulte du feuillet de changement édité par le cadastre en 1957 avec la mention "Rectification d'erreur d'attribution" et "vu sur place", que selon "l'état ancien" la parcelle A[Cadastre 16] a été attribuée à [Y] [P] ; que la parcelle [Cadastre 16] comprenait, selon le feuillet de changement, aussi bien les parcelles "[Cadastre 17]/[Cadastre 16]" et "[Cadastre 18]/[Cadastre 16]" que la parcelle "[Cadastre 19]/[Cadastre 16]" ; qu'en décidant que l'acte du 29 septembre 1941, aux termes duquel les auteurs de Mme [P] avaient acquis "une petite maison ... cadastrée n°[Cadastre 14], P[Cadastre 4]-[Cadastre 10] et [Cadastre 12] de l'ancien cadastre et section [Cadastre 16] du nouveau cadastre", n'est pas conforme au "Rectificatif d'erreur d'attribution" de la parcelle [Cadastre 16] et que la parcelle aujourd'hui numérotée AA [Cadastre 3] était "sans dénomination entre 1937 et 1957" de sorte que Mme [P] ne pouvait valablement céder, en 1941, la parcelle [Cadastre 16] aux auteurs de M. [B], la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce feuillet de changement en violation du principe précité et de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ qu'il résulte des plans cadastraux de l'Administration fiscale que la parcelle litigieuse cadastrée AA n° [Cadastre 3] a été successivement numérotée : - de 1866 à 1937 : [Cadastre 5]+[Cadastre 6]+[Cadastre 7]+[Cadastre 9], - de 1937 à 1957 : [Cadastre 16], - de 1957 à 1999 : [Cadastre 19] et - de 1999 à ce jour : AA [Cadastre 3] ; qu'en décidant que le cadastre fait en 1937 "avait regroupé par erreur les parcelles [Cadastre 17] et [Cadastre 18] (aujourd'hui AA[Cadastre 2]) et [Cadastre 19] (devenue AA[Cadastre 3])", sans rechercher s'il ne résulte pas des plans cadastraux annexés au rapport de l'expertise que la parcelle aujourd'hui cadastrée AA n° [Cadastre 3] était dénommée [Cadastre 16] entre 1937 et 1957 avant d'être nommée 20 ans plus tard [Cadastre 19], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 711 du code civil et de l'article 1 du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ que M. [B] a fait valoir devant la cour d'appel que "le tribunal indique ... qu'il n'a pas été communiqué le règlement de copropriété qui aurait pu éclairer le tribunal sur la nature commune de ladite aire. Or, ... l'acte du 26 février 1999 (Vente [T]/[B]) précise bien en page 4 que : "Il est ici fait observer qu'il n'a pas été établi de règlement de copropriété. De sorte que l'immeuble dont dépend ce bien est soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et des textes subséquents ..." ; qu'il résulte en effet de l'acte de vente du 26 février 1999 qu'il n'a pas été établi de règlement de copropriété ; qu'en rejetant néanmoins le moyen de M. [B] au seul motif qu' "il n'a jamais été produit par l'appelant, .... le règlement de copropriété des lots 1 à 7 et parties communes établi par Me [H] le 1er août 1967, contenant nécessairement description des différents lots mais aussi des parties communes alors que celui-ci prétend pourtant que la parcelle AA[Cadastre 3] contiendrait les parties communes dont il serait devenu propriétaire comme étant désormais propriétaire de tous les lots", sans répondre au moyen pertinent de M. [B] selon lequel un tel règlement n'a jamais été établi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile et l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6°/ qu'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a dit que "M. [E] verse pour sa part : ... la demande de renseignement déposée le 15 décembre 2014 auprès de la direction générale des finances publiques portant mention de l'ancien propriétaire M. [N] [D] s'agissant de la parcelle querellée (pièce 18)" ; que cette pièce 18 versée aux débats par les consorts [E]/[W] ne porte pourtant en réalité aucune mention de l'ancien propriétaire [N] [D] concernant la parcelle cadastrée AA n° [Cadastre 3] ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dès lors dénaturé cette pièce en violation du principe qu'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause et de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7°/ que M. [B] a contesté devant les juges du fond la valeur probante de l'acte authentique de 2012 en faisant tout d'abord valoir que, "le 27 décembre 2012, à la requête de Mme [D], Maître [V] [J], notaire à [Localité 21], a dressé une attestation immobilière au terme de laquelle, après s'être uniquement contenté de simples allégations, il a indiqué ... : CECI exposé, la requérante déclare ... qu'il dépend également de ladite succession la parcelle de terrain sise à [Localité 20] ... AA[Cadastre 3]" ; que M. [B] a ensuite souligné que c'est sur l'unique base de cette déclaration de Mme [D] que "le notaire a indiqué sous la rubrique "Origine de Propriété" de l'acte (authentique du 27 décembre 2012) que "Ladite parcelle appartenait en propre à [S] [D] pour l'avoir recueillie, avec d'autres, dans la succession de [N] [D], décédé à [Localité 23] le 2 novembre 1954, son père"" et que "suivant acte authentique du 27 décembre 2012 sur la base de cette seule attestation immobilière et sans s'assurer de la véracité des déclarations transmises et de la certitude de l'origine de propriété, Maître [V] [J] a accepté de recevoir la vente par Mme [D] au profit des consorts [E]/[W] du bien immobilier ... cadastré section AA [Cadastre 3], en parfaite violation des droits de propriété détenus sur cette parcelle par M. [M] [B]" ; que M. [B] en a conclu que "Mme [D] n'était pas propriétaire, au jour de la vente du 27 décembre 2012, de la parcelle AA[Cadastre 3] ... (et) ne pouvait dès lors céder ... plus de droit qu'elle n'en avait elle-même ... Le titre sur lequel se fondent les défendeurs repose sur une attestation du 27 décembre 2012 ne constituant qu'une présomption de propriété en contradiction avec les propres actes de M. [B]. ... C'est donc à tort que (les consorts [E]/[W]) s'estiment propriétaires de la parcelle concernée" ; qu'en décidant que les consorts [E]/[W] ont acquis la parcelle litigieuse par acte authentique du 27 décembre 2012 auprès de Mme [D], suite à une attestation immobilière sans répondre à ces moyens pertinents de M. [B], la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile et de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
8°/ que le juge peut toujours inviter le technicien à compléter, préciser ou expliquer, soit par écrit, soit à l'audience, ses constatations ou ses conclusions ; qu'il incombe à la cour d'appel, dès lors qu'elle estimait que le rapport de l'expert judiciaire, désigné à l'occasion du litige, ne lui permettait pas de se déterminer, d'interroger l'expert ou d'ordonner en tant que de besoin un complément ou une nouvelle expertise ; qu'en déboutant l'exposant de ses demandes au motif que "(l'expert) [K] prétend que M. [B] serait antérieurement titré sur la parcelle litigieuse mais sans que l'on soit en mesure de comprendre comment il parvient à une telle affirmation", sans ordonner, en tant que besoin un complément ou une nouvelle expertise, la cour d'appel a violé l'article 245 du code de procédure civile et l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a constaté, d'abord, que les biens acquis de [G] [P] par les parents de M. [B] étaient désignés, aux termes de l'acte du 19 juin 1975, comme des lots d'un immeuble élevé sur des parcelles cadastrées n° [Cadastre 17] et n° [Cadastre 18], sans référence à la parcelle cadastrée n° [Cadastre 19], devenue AA n° [Cadastre 3].
5. Sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, elle a retenu, ensuite, que l'acte de retranscription de la conservation des hypothèques du 29 septembre 1941 concernant l'acquisition par [Y] [P], auteur de [G] [P], n'était pas conforme au croquis de conservation de 1957, comprenant un feuillet de changement édité par le cadastre, dont elle a constaté qu'il avait réattribué à [N] [D] la parcelle alors cadastrée n° [Cadastre 19], rattachée par erreur en 1937 à la parcelle cadastrée n° [Cadastre 16] attribuée à [Y] [P].
6. Appréciant souverainement les présomptions de propriété les meilleures et les plus caractérisées, elle en a déduit, sans contradiction ni dénaturation, que [G] [P], auteur de M. [B], n'avait pas acquis la parcelle désormais cadastrée AA n° [Cadastre 3] et qu'en conséquence, celui-ci ne prouvait pas en être devenu propriétaire.
7. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille vingt-quatre.