N° G 22-87.495 F-B
N° 00702
AO3
29 MAI 2024
CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
DÉCHÉANCE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 MAI 2024
MM. [G] [I], [C] [I], [H] [K] et [S] [V] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises des Côtes-d'Armor, en date du 14 décembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs de meurtre et violences aggravées, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit pour MM. [G] [I], [K] et [V].
Sur le rapport de M. Tessereau, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de MM. [G] [I], [H] [K] et [S] [V], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 mai 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Tessereau, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Oriol, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. MM. [G] [I], [C] [I], [H] [K] et [S] [V] ont été mis en accusation devant la cour d'assises pour avoir volontairement donné la mort à [L] [W] et pour avoir commis des violences aggravées sur M. [F] [M].
3. Les juges du premier degré ont condamné les accusés des chefs susvisés et prononcé sur les intérêts civils.
4. La cour d'assises, statuant en appel le 23 septembre 2022, a condamné MM. [G] [I], [K] et [V] pour avoir commis des violences ayant entraîné la mort de [L] [W], sans intention de la donner, en réunion, et MM. [C] [I], [K] et [V] pour avoir commis des violences volontaires, en réunion, sur M. [M].
5. L'examen des demandes civiles a été renvoyé à une session ultérieure.
Déchéance du pourvoi formé par M. [C] [I]
6. M. [C] [I] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens proposés pour MM. [G] [I], [K] et [V]
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé sur les intérêts civils à l'encontre de MM. [G] [I], [K] et [V], alors « qu'il résulte des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 371-1 du code de procédure pénale que le président de la cour d'assises doit faire son rapport à l'audience qu'il tient sur les intérêts civils ; que l'inobservation de cette formalité porte atteinte aux intérêts de toutes les parties en cause et entraîne la nullité de l'arrêt ; qu'il ne résulte d'aucune mention de l'arrêt attaqué que le président de la cour d'assises a fait son rapport à l'audience sur les intérêts civils ; qu'en statuant dans ces conditions, la cour d'assises a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 371-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. L'article 327 du code de procédure pénale prévoit dans quelles conditions, à l'ouverture des débats devant la cour d'assises, lors de l'audience pénale, le président fait le rapport de l'affaire.
9. Cependant, aucune disposition de la loi ne prévoit que les débats devant la cour d'assises, statuant sur l'action civile, s'ouvrent par le rapport de l'affaire, sauf lorsque, en application de l'article 371 du code de procédure pénale, la cour a préalablement commis l'un de ses membres pour entendre les parties, examiner les pièces de la procédure et faire le rapport de l'affaire à l'audience.
10. En l'espèce, la cour d'assises n'ayant pas fait application de cette faculté, le président de la cour d'assises n'était pas tenu d'ouvrir les débats, lors de l'audience civile, en effectuant le rapport de l'affaire.
11. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné MM. [G] [I], [K] et [V], solidairement, à payer à Mme [U] [P], M. [A] [W], Mmes [N], [Y], [R] [W] et à Mme [T] [W], née [Z], respectivement les sommes de 2 248,58 euros, 2 615,60 euros, 3 162 euros, 1 140,50 euros, 1 410 euros et 2 000 euros au titre de leur perte de revenus, alors :
« 1°/ que bien qu'entrant dans les prévisions de l'article 375-1 du code de procédure pénale, n'est pas la conséquence directe de l'infraction et ne peut donner lieu qu'à une indemnité forfaitaire déterminée par la formule mentionnée à l'article R. 129 du même code, la perte de revenus subie par une partie civile pour assister au procès ; qu'en condamnant solidairement messieurs [G] [I], [H] [K] et [S] [V] à payer à madame [U] [P], monsieur [A] [W], madame [N] [W], madame [Y] [W], madame [R] [W] et à madame [T] [W] née [Z] respectivement les sommes de 2 248,58 euros, 2 615,60 euros, 3 162 euros, 1 140,50, 1 410 euros et 2 000 euros au titre de leur perte de revenus liée à leur comparution devant la cour d'assises en première instance puis en appel, la cour d'assises a violé les articles 2, 375-1 et R. 129 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
13. L'arrêt attaqué retient que les ayants droit d'une des victimes doivent être indemnisés des pertes de revenus qu'ils ont subies lors de leur comparution aux audiences de la cour d'assises.
14. Si c'est à tort que les juges estiment que cette indemnisation relève du préjudice économique des parties civiles, l'arrêt n'encourt pas la censure.
15. En effet, en accordant aux parties civiles une somme supérieure à celle prévue par l'article R. 129 du code de procédure pénale, la cour a fait usage de la faculté qui lui est ouverte par l'article 375-1 du code de procédure pénale.
16. Le grief ne peut donc être accueilli.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] [I] entièrement responsable des préjudices de M. [M] et des débours engagés par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine (CPAM 35) pour ce dernier, l'a condamné à payer à M. [M], solidairement avec MM. [C] [I], [K] et [V], les sommes de 1 003,95 euros au titre des préjudices patrimoniaux temporaires, 25 094 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux temporaires, 34 450 euros au titre des préjudices patrimoniaux permanents et 20 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale, et l'a condamné à payer à la CPAM 35 la somme de 110 euros au titre des frais de gestion, alors :
« 1°/ qu'en cas d'acquittement, la partie civile ne saurait obtenir réparation que du dommage résultant de la faute de l'accusé, telle qu'elle résulte des faits qui sont l'objet de l'accusation ; qu'il résulte des pièces de la procédure que si monsieur [G] [I] a été déclaré coupable de violences volontaires ayant entrainé la mort de [L] [W] sans intention de la donner avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion, il a été acquitté du chef de violence commise en réunion suivie d'incapacité supérieure à 8 jours à l'encontre de monsieur [F] [M] ; qu'en condamnant monsieur [G] [I], solidairement avec ses coaccusés, à payer à monsieur [F] [M] les sommes de 1 003,95 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux temporaires, 25 094 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux temporaires et 34 450 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, lorsqu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt attaqué que le préjudice dont serait due réparation ait pris naissance dans les faits, objet de l'accusation, constitutifs d'une faute civile distincte de l'infraction de violence commise à l'encontre de monsieur [F] [M] définitivement écartée, la cour d'assises a violé les articles 2, 3 et 372 du code de procédure pénale ;
2°/ que seul l'auteur de l'infraction poursuivi devant la cour d'assises peut être condamné à payer à la partie civile des sommes au titre des frais exposés par celle-ci et non payés par l'Etat ; qu'en condamnant monsieur [G] [I] à payer à monsieur [F] [M] la somme de 20 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale, lorsque le premier a été acquitté par la cour d'assises de l'infraction de violence commise à l'encontre du second, la cour d'assises a violé l'article 375 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 372 et 375 du code de procédure pénale :
18. Il résulte du premier de ces textes que l'action civile ne peut être exercée devant la juridiction pénale que si le préjudice trouve directement sa source dans l'infraction poursuivie.
19. Selon le deuxième, la partie civile, en cas d'acquittement, peut demander réparation du dommage résultant de la faute de l'accusé, telle qu'elle résulte des faits qui sont l'objet de l'accusation.
20. Enfin, la cour d'assises peut condamner l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile une somme au titre des frais qu'elle a exposés.
21. En l'espèce, bien qu'acquitté des faits de violences commises sur M. [M], M. [G] [I] a été condamné à indemniser celui-ci de ses préjudices et à lui payer, ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie, des indemnités en remboursement de leurs frais.
22. En statuant ainsi, alors que M. [G] [I] n'était pas l'auteur des violences commises sur M. [M], qui n'avait pas réclamé à son encontre l'application de l'article 372 susvisé, et sans constater à la charge de M. [G] [I] l'existence de faits constitutifs d'une faute civile distincte de l'infraction de violences définitivement écartée à son égard, la cour d'assises a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
23. La cassation est par conséquent encourue. Elle ne portera pas sur la condamnation de M. [G] [I] à indemniser M. [M] des conséquences dommageables pour lui de la mort de [L] [W].
Et sur le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné MM. [G] [I], [K] et [V], solidairement, à payer à Mme [P], Mmes [N] et [Y] [W], respectivement les sommes de 2 248,58 euros, 3 162 euros et 1 140,50 euros au titre de leur perte de revenus, alors :
« 2°/ en tout état de cause, que pour réparer les préjudices résultant des infractions dont ils sont saisis, les juges doivent statuer dans la limite des demandes dont ils sont saisis par les parties civiles ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que madame [E] [P] et madame [Y] [W] n'ont sollicité que les sommes de 1 124,29 euros pour la première et 340,40 euros pour la seconde au titre de leur perte de revenus ; qu'en condamnant solidairement messieurs [G] [I], [H] [K] et [S] [V] à payer à madame [U] [P] et à madame [Y] [W] respectivement les sommes de 2 248,58 euros et 1 140,50 euros au titre de leur perte de revenus, la cour d'assises a excédé sa saisine et violé l'article 371 du code de procédure pénale ;
3°/ par ailleurs, qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que madame [N] [W] n'a sollicité que la somme de 1 200 euros au titre de sa perte de revenus liée à sa comparution devant la cour d'assises en première instance puis en appel ; qu'en condamnant solidairement messieurs [G] [I], [H] [K] et [S] [V] à payer à madame [N] [W] la somme de 3 162 euros au titre de sa perte de revenus liée à sa comparution devant la cour d'assises en première instance puis en appel, la cour d'assises a excédé sa saisine et violé l'article 371 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 3, 593 du code de procédure pénale, 1240 du code civil :
25. Il résulte de ces textes que les juges ne peuvent se prononcer sur les réparations civiles que dans les limites des conclusions dont ils sont saisis.
26. La cour n'a pas excédé sa saisine en allouant à Mme [N] [W] la somme de 3 162 euros au titre de sa perte de revenus, dès lors qu'elle sollicitait la somme de 1 200 euros pour assister au procès en appel et la somme de 1 962 euros en réparation de sa perte de revenus suite au décès de son frère.
27. En revanche, en allouant, au titre de leur perte de revenus pour assister aux procès, à Mme [P] la somme de 2 248,58 euros, alors qu'elle sollicitait la somme de 1 124,29 euros, à Mme [Y] [W] la somme de 1 140,50 euros, alors qu'elle sollicitait la somme de 340,40 euros, les juges, qui ont statué au-delà des prétentions des parties civiles, ont méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
28. Par conséquent, la cassation est également encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
29. La cassation portera, par voie de retranchement, sur les seules dispositions de l'arrêt qui ont condamné M. [G] [I] à payer, d'une part, à M. [M], les sommes de 1 003,92 euros, 25 094 euros, 34 450 euros en réparation de ses préjudices et la somme de 20 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale, et, d'autre part, à la CPAM 35 la somme de 110 euros au titre des frais engagés pour M. [M].
30. Elle aura lieu sans renvoi s'agissant de la condamnation de MM. [G] [I], [K] et [V], solidairement, à payer à Mme [P] et à Mme [Y] [W] respectivement les sommes de 2 248,58 euros et 1 140,50 euros, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [C] [I] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur les pourvois formés par MM. [G] [I], [K] et [V] :
CASSE et ANNULE, d'une part, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'assises des Côtes-d'Armor, en date du 14 décembre 2022, mais en ses dispositions ayant condamné M. [G] [I] à payer à M. [M] les sommes de 1 003,92 euros, 25 094 euros, 34 450 euros en réparation de ses préjudices et la somme de 20 000 euros au titre de l'article 375 du code de procédure pénale, et à la CPAM 35 la somme de 110 euros au titre des frais engagés pour M. [M] ;
CASSE ET ANNULE, d'autre part, l'arrêt susvisé de la cour d'assises des Côtes-d'Armor, en date du 14 décembre 2022, mais en ses seules dispositions ayant condamné MM. [G] [I], [K] et [V], solidairement, à payer à Mme [P] et Mme [Y] [W], respectivement, les sommes de 2 248,58 euros et 1 140,50 euros, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONDAMNE solidairement MM. [G] [I], [K] et [V] à payer à Mme [P] et Mme [Y] [W], respectivement, les sommes de 1124,29 euros et 340,40 euros au titre de leur perte de revenus pour assister aux procès ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises des Côtes-d'Armor et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille vingt-quatre.