COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mai 2024
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 250 F-D
Pourvoi n° K 21-21.460
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 MAI 2024
M. [W] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-21.460 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1],
2°/ à la direction générale des finances publiques, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, Ã l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [U], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques et du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques et, après débats en l'audience publique du 12 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2021), par un contrat de cession d'actions conclu le 12 mai 2010, suivi d'un avenant du 29 décembre 2010, M. [U] a acquis de M. [F] dix actions de la société de droit suisse Ispar Holding.
2. Le 11 décembre 2013, l'administration fiscale a notifié à M. [U] une proposition de rectification par laquelle elle a requalifié la cession en donation indirecte, soumise aux droits de mutation à titre gratuit, au motif que les actions avaient été cédées à une valeur très inférieure à leur valeur vénale réelle.
3. Après avis de mise en recouvrement (AMR) du 24 juin 2016, M. [U] a formé une réclamation qui a été partiellement rejetée par l'administration fiscale par décision du 15 mai 2017. Un avis de dégrèvement partiel, également daté du 15 mai 2017, lui a été notifié.
4. M. [U] a assigné l'administration fiscale aux fins d'annulation de la décision d'acceptation partielle et de l'avis de dégrèvement partiel du 15 mai 2017, d'annulation de l'AMR du 24 juin 2016 et de décharge des droits mis en recouvrement.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
5. M. [U] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à voir annuler l'AMR du 24 juin 2016, de l'infirmer en ce qu'il l'a déchargé des droits réclamés suivant la décision du 15 mai 2017 et l'avis de dégrèvement partiel du même jour et, statuant à nouveau, de rejeter sa demande tendant à voir juger irrégulière la procédure fiscale pendant la phase contentieuse, de rejeter ses autres demandes, notamment celle tendant à voir juger irrégulière la procédure de rectification suivie par l'administration à son encontre et de dire n'y avoir lieu de prononcer un dégrèvement des droits, pénalités et intérêts de retard mis à sa charge, alors « que si l'administration fiscale peut choisir de notifier les redressements à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure subséquemment suivie doit être contradictoire et la loyauté des débats l'oblige à notifier les actes de celle-ci à tous les redevables solidaires de l'impôt ; qu'en l'espèce, M. [U] faisait valoir qu'en vertu des dispositions de l'article 1705, 5°, du code général des impôts, il était codébiteur solidaire, avec M. [F], des sommes correspondant au redressement prononcé par l'administration fiscale au titre des droits de mutation à titre gratuit, et que la procédure d'imposition était irrégulière faute pour l'administration d'avoir notifié à M. [F] la décision du 15 mai 2017 n'acceptant que partiellement la réclamation formée par M. [U] ainsi que l'avis de dégrèvement partiel du 15 mai 2017 ; que, pour écarter ce moyen et décider que les premiers juges avaient prononcé à tort la décharge au motif que ces deux actes n'avaient pas été notifiés à M. [F], la cour d'appel retient que nul ne plaide par procureur, que M. [U] est mal fondé à porter la parole d'un tiers dont il ne produit aucun mandat et qui n'est pas dans la cause, que l'irrégularité de procédure invoquée concerne uniquement M. [F] et que M. [U] ne justifie d'aucun grief ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que le caractère contradictoire de la procédure et la loyauté des débats obligeaient l'administration à notifier à M. [F] la décision du 15 mai 2017 ayant statué sur la réclamation contentieuse formée par M. [U] ainsi que l'avis de dégrèvement partiel subséquent du 15 mai 2017, de sorte que l'absence d'une telle notification entachait d'irrégularité la procédure suivie à l'encontre de M. [U], la cour d'appel a violé l'article 1705 du code général des impôts, ensemble l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1705 du code général des impôts :
6. Selon ce texte, les droits des actes à enregistrer ou à soumettre à la formalité fusionnée sont acquittés par les parties, pour les actes sous signature privée qu'elles ont à faire enregistrer.
7. Si l'administration fiscale peut choisir d'adresser la proposition de rectification à l'un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et la loyauté des débats l'oblige à notifier les actes de celle-ci à tous les redevables, y compris lors de la phase contentieuse préalable visée à l'article L. 198 A du livre des procédures fiscales.
8. L'irrégularité tirée du non-respect de cette exigence peut être soulevée par l'un quelconque des débiteurs solidaires, y compris par celui qui a été effectivement destinataire des actes, sans qu'il lui soit besoin d'établir un grief.
9. Pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant de l'absence de notification, à M. [F], codébiteur solidaire des droits réclamés, de la décision de rejet partiel du 15 mai 2017, l'arrêt énonce que nul ne peut plaider par procureur et retient que M. [U] est mal fondé à porter la parole d'un tiers, dont il ne produit aucun mandat et qui n'est pas dans la cause, et qu'il ne justifie d'aucun grief qui le concernerait lui-même.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Le défaut de notification de la décision de rejet partiel de la réclamation contentieuse à l'un des débiteurs solidaires de la dette fiscale n'entraîne pas l'irrégularité de l'ensemble de la procédure engagée par l'administration fiscale ni la décharge des droits, mais remet les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la notification irrégulière.
14. Faute de notification à M. [F], codébiteur solidaire de la dette fiscale, de la décision du 15 mai 2017 rejetant partiellement la réclamation contentieuse de M. [U], il convient de déclarer irrégulière la notification de cet acte à M. [U] et de dire que les parties sont replacées dans l'état où elles se trouvaient avant la notification de cette décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Infirme le jugement rendu le 2 mars 2020, entre les parties, par le tribunal de judiciaire de Paris, en ce qu'il a prononcé la décharge de M. [U] des droits qui lui sont réclamés suivant décision du 15 mai 2017 et avis de dégrèvement partiel du 15 mai 2017, dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et dit que chacune des parties supporterait la charge de ses dépens ;
Déclare irrégulière la notification de la décision du 15 mai 2017 rejetant partiellement la réclamation contentieuse de M. [U] ;
Dit que les parties sont replacées dans l'état où elles se trouvaient avant la notification de cette décision à M. [U] ;
Condamne le directeur général des finances publiques et le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur général des finances publiques et le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques et les condamne à payer à M. [U] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-quatre.