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14/02/2024 | FRANCE | N°12400069

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 février 2024, 12400069


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


MY1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 14 février 2024








Rejet




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 69 F-D


Pourvoi n° F 22-22.909


















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FR

ANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 FÉVRIER 2024


1°/ Mme [G] [J], épouse [H], domiciliée [Adresse 3],


2°/ la société Les Grands Vignobles du Sud, société par actions simplifiée, dont le siè...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 février 2024

Rejet

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 69 F-D

Pourvoi n° F 22-22.909

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 FÉVRIER 2024

1°/ Mme [G] [J], épouse [H], domiciliée [Adresse 3],

2°/ la société Les Grands Vignobles du Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° F 22-22.909 contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société MKB Bank Nyrt, Banque hongroise pour le commerce extérieur, dont le siège est [Adresse 4] (Hongrie), défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de Mme [J] et de la société Les Grands Vignobles du sud, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société MKB Bank Nyrt, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 13 septembre 2022), Mme [J] épouse [H] et la société Les grands vignobles du Sud (les investisseurs) ont procédé à plusieurs virements, depuis leurs comptes ouverts en France auprès de la Caisse régionale de crédit agricole et de la société BNP Paribas, vers un compte ouvert en Hongrie dans les livres de la banque MKB Bank Nyrt (la banque) au profit de la société DBS Market.

2. N'ayant pu obtenir restitution de leur placement, les investisseurs ont assigné la banque en responsabilité et indemnisation.

3. La banque hongroise a contesté la compétence des juridictions françaises.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

4. Les investisseurs font grief à l'arrêt de dire que le tribunal de commerce de Béziers n'était pas territorialement compétent en application de l'article 7.2 du règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles I bis, et, en conséquence, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors :

« 1°/ que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ; qu'en considérant, pour dire que le tribunal de commerce de Béziers n'était pas territorialement compétent, que l'événement causal à l'origine du dommage, à savoir la supposée appréhension frauduleuse des fonds placés et le prétendu manquement à ses obligations de vigilance de la société MKB Bank Nyrt, avaient eu lieu depuis les comptes ouverts dans les livres de cette dernière à [Localité 2] en Hongrie, que le lieu où le dommage avait été subi, qui s'entendait du lieu où le dommage est survenu, s'était également matérialisé sur ces comptes, et non sur les comptes ouverts en France dans les livres du Crédit agricole ou de la BNP Paribas, pas plus qu'au siège social de la société Les Grands Vignobles du Sud ou encore au domicile de Mme [H] à [Localité 1], qui n'étaient que le lieu où ces dernières mesuraient les conséquences financières des agissements allégués et des manquements reprochés à la société MKB Bank Nyrt et que le critère de rattachement à la France, à savoir les virements des sommes depuis des comptes ouverts dans des banques françaises, effectués en exécution de conventions dans le cadre de délits complexes, ne concernaient que les relations contractuelles entre celles-ci et la société DBS Market, étrangères au litige les opposant à la société MBK Bank Nyrt, quand, alors même que le fait générateur avait pu se produire à [Localité 2], le dommage financier était, lui, survenu au domicile de Mme [H] et au siège social de la société Les Grands Vignobles du Sud, tous deux situés à [Localité 1], la cour d'appel a violé l'article 7.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012, dit règlement Bruxelles I bis, ainsi que l'article 4-1 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, dit règlement Rome II ;

2°/ qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; que la notion de lieu où le fait dommageable s'est produit vise, à la fois, le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux ; qu'en toute hypothèse, en considérant ainsi, pour dire que le tribunal de commerce de Béziers n'était pas territorialement compétent, que l'événement causal à l'origine du dommage, à savoir la supposée appréhension frauduleuse des fonds placés et le prétendu manquement à ses obligations de vigilance de la société MKB Bank Nyrt, avaient eu lieu depuis les comptes ouverts dans les livres de cette dernière à [Localité 2] en Hongrie, que le lieu où le dommage avait été subi, qui s'entendait du lieu où le dommage est survenu, s'était également matérialisé sur ces comptes, et non sur les comptes ouverts en France dans les livres du Crédit agricole ou de la BNP Paribas, pas plus qu'au siège social de la société Les Grands Vignobles du Sud ou encore au domicile de Mme [H] à [Localité 1], qui n'étaient que le lieu où ces dernières mesuraient les conséquences financières des agissements allégués et des manquements reprochés à la société MKB Bank Nyrt et que le critère de rattachement à la France, à savoir les virements des sommes depuis des comptes ouverts dans des banques françaises, effectués en exécution de conventions dans le cadre de délits complexes, ne concernaient que les relations contractuelles entre celles-ci et la société DBS Market, étrangères au litige les opposant à la société MBK Bank Nyrt, quand la notion de lieu où le fait dommageable s'était produit visait, à la fois, le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'événement causal qui était à l'origine de ce dommage, de sorte que la société MKB Bank Nyrt pouvait être attraite, au choix de Mme [H] et de la société Les Grands Vignobles du Sud, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux et que le lieu de matérialisation du dommage était situé à [Localité 1], domicile de Mme [H] et siège social de la société Les Grands Vignobles du Sud, les dommages financiers y étant survenus, la cour d'appel a violé de l'article 7.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012, dit règlement Bruxelles I bis ;

3°/ qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; que la notion de lieu où le fait dommageable s'est produit vise, à la fois, le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux ; qu'en toute hypothèse encore, en considérant ainsi, pour dire que le tribunal de commerce de Béziers n'était pas territorialement compétent, que l'événement causal à l'origine du dommage, à savoir la supposée appréhension frauduleuse des fonds placés et le prétendu manquement à ses obligations de vigilance de la société MKB Bank Nyrt, avaient eu lieu depuis les comptes ouverts dans les livres de cette dernière à [Localité 2] en Hongrie, que le lieu où le dommage avait été subi, qui s'entendait du lieu où le dommage est survenu, s'était également matérialisé sur ces comptes, et non sur les comptes ouverts en France dans les livres du Crédit agricole ou de la Bnp Paribas, pas plus qu'au siège social de la société Les Grands Vignobles du Sud ou encore au domicile de Mme [H] à [Localité 1], qui n'étaient que le lieu où ces dernières mesuraient les conséquences financières des agissements allégués et des manquements reprochés à la société MKB Bank Nyrt et que le critère de rattachement à la France, à savoir les virements des sommes depuis des comptes ouverts dans des banques françaises, effectués en exécution de conventions dans le cadre de délits complexes, ne concernaient que les relations contractuelles entre celles-ci et la société DBS Market, étrangères au litige les opposant à la société MBK Bank Nyrt, quand la matérialisation du dommage pouvait tout aussi bien se rattacher aux comptes bancaires de Mme [H] et de la société Les Grands Vignobles du Sud auprès des banques établies en France, la cour d'appel a encore violé de l'article 7.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012, dit règlement Bruxelles I bis ; »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article 7 § 2 du règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I bis) qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que dans le cas où le lieu où se situe le fait susceptible d'entraîner une responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle et le lieu où ce fait a entraîné un dommage ne sont pas identiques, l'expression « lieu où le fait dommageable s'est produit » doit être entendue en ce sens qu'elle vise à la fois le lieu où le dommage est subi et le lieu de l'événement causal (CJCE, Mines de potasse d'Alsace, 30 novembre 1976, n° 21/76), que cette notion doit cependant être interprétée en ce sens qu'elle ne vise pas le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État contractant (CJCE, Antonio Marinari, 19 septembre 1995, C-364/93), ni le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant (CJCE, Rudolf Kronhofer, 10 juin 2004, C-168/02) et que, si les juridictions du domicile du demandeur peuvent être compétentes, au titre de la matérialisation du dommage allégué, lorsque celui-ci résulte d'un acte illicite commis dans un autre État membre et qu'il consiste en un préjudice financier se réalisant directement sur un compte bancaire du demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions (CJUE, Harald Kolassa, 28 janvier 2015, C-375/13, CJUE, Helga Löber,12 septembre 2018, C-304/17), c'est à la condition qu'il existe d'autres points de rattachement concourant à attribuer une compétence à ces juridictions (CJUE, Universal Music International Holding, 16 juin 2016, C-12/15).

7. Ayant relevé que la responsabilité de la banque était recherchée sur le fondement d'un manquement à son obligation de vigilance à l'égard de fonds qui avaient été virés, et auraient été frauduleusement appréhendés, sur des comptes ouverts dans ses livres à [Localité 2], que le seul critère de rattachement à la France résultait de ce que les virements avaient été ordonnés depuis des comptes ouverts dans des banques françaises, la cour d'appel en a exactement déduit que le dommage s'était matérialisé sur le compte ouvert dans les livres de la banque hongroise et que les comptes ouverts en France dans les livres du Crédit agricole ou de la BNP Paribas, ou encore le siège social de la société les Grands vignobles du Sud et le domicile de Mme [J] à [Localité 1], n'étaient que les lieux où les victimes avaient mesuré les conséquences financières des agissements invoqués, de sorte que la juridiction française n'était pas compétente pour connaître du litige.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

9. Les investisseurs font le même grief à l'arrêt, alors « qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; que la notion de lieu où le fait dommageable s'est produit vise, à la fois, le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'événement causal qui est à l'origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux ; que, s'agissant du préjudice moral subi par la victime par ricochet, qui est en relation directe avec le fait dommageable et qui trouve sa source dans le dommage causé à la victime, la loi applicable à sa réparation est celle du lieu où le dommage s'est réalisé ; qu'enfin, en ajoutant que l'existence d'un préjudice moral, découlant des manquements reprochés à la société MBK Bank Nyrt, en ce que M. [H] n'aurait pu voir, malgré son souhait, être sanctionnés avant son décès malencontreux, n'était pas établie en l'absence de tout lien de causalité direct, sans dire en quoi, loin d'être malencontreux, le décès de M. [H], époux de Mme [H] et associé de la société Les Grands Vignobles du Sud, ne pouvait être en lien direct avec les agissements frauduleux de la société MBK Bank Nyrt au préjudice de la société Les Grands Vignobles du Sud, à caractère familial, dont il était associé et de son épouse, présidente, victime par ricochet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7.2 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012, dit règlement Bruxelles I bis. »

Réponse de la Cour

10. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, le lieu où le dommage est subi doit être entendu comme celui où l'événement causal a « produit directement ses effets dommageables à l'égard de celui qui en est la victime immédiate. » (CJCE 11 janv. 1990, C-220/88, Dumez France SA et Tracoba SARL c/ Hessische Landesbank et autres, point 20).

11. Ayant souverainement relevé l'absence de tout lien de causalité direct entre le décès de M. [H] et le manquement de la banque à son obligation de vigilance, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, en a exactement déduit l'incompétence des juridictions françaises pour connaître du préjudice moral résultant de ce décès.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [J] et la société Les grands vignobles du Sud aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12400069
Date de la décision : 14/02/2024
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 13 septembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 fév. 2024, pourvoi n°12400069


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune (président)
Avocat(s) : SCP Jean-Philippe Caston, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:12400069
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