CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 509 F-D
Pourvoi n° B 21-20.624
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023
La société Versantis, société de droit Luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 10]), a formé le pourvoi n° B 21-20.624 contre l'arrêt rendu le 20 avril 2021 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [N] [R],
3°/ à Mme [X] [F] [G], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 6],
4°/ à Mme [L] [E],
5°/ à Mme [T] [E],
toutes deux domiciliées [Adresse 1], venant aux droits de M. [Y] [E],
6°/ à Mme [C] [E], domiciliée [Adresse 12], venant aux droits de M. [Y] [E] et prise en qualité de liquidateur de la SCP [Y] [E],
7°/ à M. [I] [D], domicilié [Adresse 11], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Epargne patrimoine investissement capital,
8°/ à la société JSA Gauthier Sohm, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Touraine actions développement,
9°/ à la société Atelier l'échelle, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7],
10°/ à la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 5],
11°/ à M. [V] [A], domicilié [Adresse 9], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Gaudinelles, société civile immobilière,
12°/ à la société Les Gaudinelles, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
13°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La société MMA Iard, Mmes [L], [T] et [C] [E], agissant en leur qualité d'ayants droit de [Y] [E], Mme [C] [E], agissant en sa qualité de liquidateur de la société civile professionnelle [Y] [E] ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Versantis, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MMA IARD, de Mmes [L] et [T] [E] et de Mme [C] [E], ès qualités, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. et Mme [R], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Versantis du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [D], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Epargne patrimoine investissement capital, la société JSA Gauthier Sohm, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Touraine actions développement, la société Atelier l'échelle et la société Mutuelle des architectes français.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 20 avril 2021, RG n° 18/02054), suivant acte authentique reçu le 16 mai 2007 par [Y] [E] (le notaire), la société civile immobilière Les Gaudinelles (le vendeur) a vendu, en l'état futur d'achèvement, un bien immobilier dépendant d'une résidence de tourisme à M. et Mme [R] (les acquéreurs). Pour financer cette acquisition, ceux-ci ont contracté un emprunt auprès de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France (la banque).
3. Le chantier a été abandonné et le bien n'a pas été livré.
4. Les acquéreurs ont assigné le vendeur, placé ensuite en liquidation judiciaire, ses associés, dont la société Versantis, titulaire des parts sociales à hauteur de 13 %, les mandataires judiciaires et la banque, en annulation de la vente et du prêt accessoire, ainsi que le notaire et son assureur, la société MMA IARD (l'assureur), en responsabilité et en indemnisation.
5. Le notaire étant décédé en cours d'instance, ses héritières, Mmes [C], [L] et [T] [E], sont intervenues à l'instance, Mme [C] [E] intervenant également en qualité de liquidateur amiable de la société civile professionnelle [Y] [E] (les consorts [E]).
6. La nullité des contrats de vente et de prêt a été prononcée et la responsabilité du notaire retenue au titre de divers manquements.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, du pourvoi principal et les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
8. La société Versantis fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux acquéreurs la somme de 8 827,27 euros au titre de la restitution du prix de vente, avec capitalisation des intérêts, à payer à chacun d'eux la somme de 1 300 euros au titre du préjudice moral et à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France la somme de 6 517,15 euros au titre de son préjudice, alors :
« 1°/ qu' en application de l'article 1857 du code civil, à l'égard des tiers, les associés d'une société civile répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ; que par dérogation à ce texte, l'article L 211-2 du code de la construction et de l'habitation prévoit que les associés d'une société civile de construction-vente (SCCV) d'un immeuble sont tenus du passif social sur tous leurs biens à proportion de leurs droits sociaux ; que les associés d'une SCCV sont donc tenus des dettes sociales à proportion de la participation qu'ils détenaient à la naissance de la dette sociale, indépendamment de la date d'exigibilité de celle-ci ; qu'en l'espèce, la société Les Gaudinelles est une société civile de construction-vente ; que la cour d'appel a jugé que c'est « à bon droit que la société Versantis fait valoir que les associés d'une société de construction-vente y sont tenus à proportion de la participation qu'ils détenaient à la naissance de la dette sociale, indépendamment de la date d'exigibilité de celle-ci » et qu'« il ressort des éléments de la procédure que la société de droit luxembourgeois Versantis n'a pris la qualité d'associé de la SCI Les Gaudinelles que le 15 février 2010 alors que la créance de réparation est née, comme elle le soutient, à la date de réalisation du dommage, les causes de nullité de la vente et les fautes imputables au notaire étant antérieures à sa prise de participation » ; qu'il en résultait que la société Versantis n'était pas tenue des dettes de la SCCV Les Gaudinelles nées avant le 15 février 2010 ; qu'en condamnant néanmoins la société Versantis, en tant qu'associée tenue indéfiniment des dettes sociales de la SCCV Les Gaudinelles à hauteur de sa participation de 13 %, à payer aux acquéreurs la somme de 8 827,27 euros au titre de la restitution du prix de vente, celle de 1 300 euros à chacun d'eux au titre du préjudice moral et à payer au prêteur la somme de 6 517,15 euros, tandis que ces dettes sont nées avant le 15 février 2010, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L 211-2 du code de la construction et de l'habitation ;
2°/ que, subsidiairement, à supposer que l'on considère que la cour d'appel n'a pas retenu que les dettes ci-dessus étaient nées avant le 15 février 2010, il lui appartenait de motiver sa décision sur la date de naissance des créances invoquées ; qu'en condamnant cependant la société Versantis, en tant qu'associée tenue indéfiniment des dettes sociales de la SCCV Les Gaudinelles à hauteur de sa participation de 13 %, à payer aux acquéreurs la somme de 8 827,27 euros au titre de la restitution du prix de vente, celle de 1 300 euros à chacun d'eux au titre du préjudice moral et à payer au prêteur la somme de 6 517,15 euros, sans constater que les dettes étaient nées après le 15 février 2010, date à laquelle elle est devenue associée de la SCCV Les Gaudinelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que les associés d'une société de construction-vente sont tenus, à proportion de leur participation, de la dette sociale née à une époque où ils étaient déjà associés, indépendamment de la date d'exigibilité de celle-ci.
10. Il résulte de ses constatations que la société Versantis a pris la qualité d'associée de la société de construction-vente le 15 février 2010, antérieurement à la naissance tant de la créance de restitution du prix de la vente, dont l'annulation a été prononcée par jugement du 3 mai 2018, que de la créance de réparation du préjudice moral subi par l'acquéreur, née à la date de réalisation du dommage résultant des divers tracas et contraintes financières subis durant de longues années de procédure, et que de la créance de réparation du prêteur, née à la date de l'annulation de la vente par le jugement susvisé.
11. La cour d'appel, qui en a exactement déduit que la société Versantis était tenue, en proportion de ses droits sociaux, des dettes nées à une époque où elle était déjà associée, a légalement justifié sa décision.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. Les consorts [E] et l'assureur font grief à l'arrêt de les condamner à garantir la restitution du prix aux acquéreurs à hauteur de 59 074,82 euros et à payer la somme de 8 700 euros à chacun d'eux, au titre du préjudice moral, alors « que seul est sujet à réparation le préjudice causé par le fait générateur de la responsabilité retenu ; qu'en se bornant à affirmer que le notaire engageait sa responsabilité pour ne pas avoir informé et conseillé les acquéreurs sur la garantie d'achèvement, et devait, en conséquence, sous la garantie de la société MMA, garantir la restitution du prix de vente aux acquéreurs et réparer leur préjudice moral, sans établir que, mieux informés de la portée de la teneur de la garantie d'achèvement, les acquéreurs auraient renoncés à l'opération immobilière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
13. Ayant retenu que le notaire, qui ne pouvait pas ignorer que les conditions légales de l'opération en cause n'étaient pas satisfaites, avait manqué à son obligation d'assurer l'efficacité de l'acte auquel il avait prêté son concours, et relevé que le vendeur était en liquidation judiciaire, de sorte que cet officier ministériel devait être tenu de garantir la restitution du prix de vente aux acquéreurs et de réparer leur préjudice moral en lien direct avec ses fautes, résultant des tracas et contraintes financières qu'ils avaient subis durant de longues années de procédure, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne in solidum la société Versantis, Mmes [C], [L] et [T] [E], en leur qualité d'ayants droit de [Y] [E], Mme [C] [E], en sa qualité de liquidateur de la société civile professionnelle [Y] [E], et la société MMA IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Versantis, Mmes [C], [L] et [T] [E], en leur qualité d'ayants droit de [Y] [E], Mme [C] [E], en sa qualité de liquidateur de la société civile professionnelle [Y] [E], et la société MMA IARD :
- à payer à M. et Mme [R] la somme globale de 3 000 euros,
- à payer à la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Île-de-France la somme de 3 000 euros ;
Rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.