LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 avril 2023
Cassation partielle
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 292 F-D
Pourvoi n° A 22-12.324
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 AVRIL 2023
1°/ M. [Y] [C],
2°/ Mme [E] [C],
tous deux domiciliés [Adresse 6] (Sénégal),
3°/ M. [Y] [C], agissant en qualité de liquidateur amiable de la société Les Rubis,
ont formé le pourvoi n° A 22-12.324 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [H] [G], domicilié [Adresse 7],
2°/ à M. [T] [K], domicilié [Adresse 4],
3°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 3],
5°/ à M. [W] [O], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de liquidateur unique de la société Philippe Blanc - [W] [O] avoués associés, société titulaire d'un office d'avoué près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [Y] [C], tant en son nom personnel qu'ès qualités et de Mme [E] [C], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de MM. [G] et [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MMA IARD et de M. [O], ès qualités, après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 5], 14 décembre 2021), M. [Y] [C], Mme [E] [C] et [N] [C] (les consorts [C]) et la société Les Rubis, dont ils étaient associés, ont conclu avec les sociétés Lido Hôtel et Hôtel Molière, différents contrats rédigés par M. [P] [D], avocat, portant notamment sur la vente d'un terrain.
2. A la suite d'une action intentée par la société Les Rubis, représentée par M. [G] et la société Blanc-Amsellem-Mimran, devenue la société Blanc [O], respectivement avocat et avoué, en rescision de la vente du terrain pour lésion et de l'appel en la cause des consorts [C] qui ont appelé en garantie M. [P] [D], au titre d'une faute dans la rédaction de contrats, les consorts [C], la société Les Rubis et M. [P] [D] ont été condamnés à payer différentes sommes aux sociétés Lido hôtel et Hôtel Molière et M. [P] [D] a été condamné à garantir les consorts [C] et la société Les Rubis des sommes mises à leur charge et à les indemniser d'un préjudice personnel.
3. Les consorts [C] et la société Les Rubis, représentés par M. [K], avocat, ont également agi en garantie contre M. [S] [D], employeur de M. [P] [D], qui a été condamné à les garantir.
4. Le 31 mars 2009, la société Les Rubis, représentée par son liquidateur amiable, M. [Y] [C], et les consorts [C] ont assigné M. [G] et la société Blanc-Amsellem-Mimran, devenue la société Blanc [O], devant le tribunal de grande instance de Draguignan, afin d'obtenir leur condamnation in solidum à réparer le préjudice subi du fait de l'omission par leur avocat puis leur avoué de demander une capitalisation des intérêts lors de la procédure en rescision pour lésion.
5. Par un jugement du 24 mai 2011, rectifié par décision du 15 février 2012, devenu irrévocable, ce tribunal a condamné in solidum M. [G] et la société Blanc [O] à payer des dommages-intérêts à la société Les Rubis à ce titre et a rejeté les demandes formées par les consorts [C].
6. Le 18 juin 2013, les consorts [C] et la société Les Rubis ont assigné en paiement de dommages-intérêts M. [G], M. [K] et la société Blanc [O], prise en la personne de son liquidateur, M. [W] [O].
7. M. [G] et la société Blanc [O] leur ont opposé l'irrecevabilité de leurs demandes, en raison de l'autorité de la chose jugée. M. [K] leur a opposé la prescription de leur action.
8. [N] [C] est décédée le 9 mai 2016 et ses héritiers ont repris l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. Les consorts [C] et la société Les Rubis font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, en raison de l'autorité de la chose jugée, l'action engagée contre M. [G] et la société Blanc [O], alors « que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en l'espèce, les consorts [C] et la SCI Les Rubis faisaient valoir, dans leurs conclusions d'appel, que "la demande présentée devant le tribunal de grande instance de Draguignan était destinée à obtenir réparation d'un préjudice qui résultait de l'omission par M. [G] d'une demande de capitalisation dans l'acte introductif d'instance en rescision pour lésion, et de la présentation tardive en cause d'appel de cette même demande par l'avoué SCP Blanc", et que "la deuxième demande en réparation est fondée sur un autre sinistre, survenu postérieurement, non pas à l'examen de la rescision pour lésion, mais à l'occasion de l'examen des préjudices consécutifs à l'absence d'opposabilité d'une promesse de bail à l'acquéreur du terrain au terme d'un bail à construction, faute imputée à M. [D]" ; qu'ils avaient ainsi sollicité, dans la première procédure, de voir condamner in solidum M. [G] et la SCP d'avoués Blanc-Amsellem-Mimran "à payer à la SCI la somme de 207 542,59 euros avec intérêts au taux légal depuis le 3 janvier 2000, correspondant à la perte des intérêts capitalisés entre le 6 juin 1983 et le 2 juillet 1998, dans la limite de 55 589,65 euros pour la SCP d'avoués, et aux consorts [C] celle de 150 000 euros de dommages-intérêts", et dans la seconde procédure, de voir condamner in solidum M. [G], M. [K] et la SCP Blanc-Amsellem-Mimran "à leur payer la somme de 1 700 000 euros en réparation de leur préjudice" ; que les demandes d'indemnisation portant ainsi sur des préjudices différents avaient en conséquence un objet distinct ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile :
11. Il résulte de ces textes que, s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une prétention qui, tendant à la réparation d'un chef de préjudice distinct, a un objet différent de la demande initiale ayant donné lieu au premier jugement.
12. Pour déclarer irrecevable, en raison de l'autorité de la chose jugée, l'action engagée contre M. [G] et la société Blanc [O], l'arrêt retient qu'il appartenait aux consorts [C], en vertu du principe de concentration des moyens et des demandes, de réclamer dès l'origine l'ensemble des chefs de préjudice liés selon eux aux manquements commis par leur avocat dans la défense de leurs intérêts, que le jugement du 24 mai 2011 a rejeté les prétentions indemnitaires des consorts [C] et que, au jour de l'assignation du 31 mars 2009, les consorts [C] connaissaient les fautes reprochées dans la présente instance ainsi que les préjudices allégués dont ils réclament réparation.
13. En statuant ainsi, alors que la demande présentée devant le tribunal de grande instance de Draguignan par les consorts [C] et la société Les Rubis portait sur la réparation du préjudice résultant de l'omission, par M. [G] puis la société Blanc [O], de demander la capitalisation des intérêts lors de l'instance en rescision pour lésion, tandis que la demande dont elle était saisie tendait à l'indemnisation du préjudice résultant de l'absence de demande d'expertise et d'indemnisation formulée par M. [G] puis par la société Blanc [O], contre M. [P] [D], M. [S] [D] et leurs assureurs, pour obtenir la réparation de leur préjudice personnel résultant des condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice des sociétés Lido hôtel et Hôtel Molière, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
14. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause M. [K], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
15. En revanche, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause M. [G], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et M. [O], en sa qualité de liquidateur de la société Blanc [O], dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare l'action engagée à l'encontre de M. [H] [G], et la SCP Blanc [O] irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile entre M. [G], la société Blanc [O], Mme [E] [C], M. [Y] [C], la société Les Rubis et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, l'arrêt rendu le 14 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Met hors de cause M. [K] ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. [G], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et M. [O], en sa qualité de liquidateur de la société Blanc [O] ;
Condamne M. [G], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et M. [O], en sa qualité de liquidateur de la société Blanc [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [G], les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et M. [O], en sa qualité de liquidateur de la société Blanc [O], et les condamne à payer à M. [Y] [C], Mme [E] [C] et M. [Y] [C], en sa qualité de liquidateur amiable de la société Les Rubis, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.