LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle
Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 283 F-D
Pourvoi n° N 19-10.253
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2023
La société Crédit immobilier de France développement (CIFD), dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Banque patrimoine et immobilier (BPI), a formé le pourvoi n° N 19-10.253 contre l'arrêt rendu le 20 novembre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [R],
2°/ à Mme [U] [N], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. et Mme [R], après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Guihal, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 novembre 2018), selon offre de crédit acceptée le 6 février 2006, la Banque patrimoine immobilier, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme [R] (les emprunteurs) un prêt pour acquérir en l'état futur d'achèvement un logement destiné à la location.
2. Après avoir prononcé la déchéance du terme, la banque a assigné les emprunteurs en paiement du solde du prêt.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer aux époux [R] la somme de 210 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que pour retenir que le CIFD avait manqué à son obligation de mise en garde, laquelle n'est applicable qu'à l'égard des emprunteurs non avertis, l'arrêt relève que la banque ne soutient pas que les époux [R] étaient des emprunteurs avertis ; qu'en statuant ainsi, cependant que le CIFD faisait valoir dans ses conclusions que les époux [R] devaient être considérés comme des emprunteurs avertis pour avoir auparavant souscrit de nombreux autres emprunts destinés à des fins de défiscalisation, être déjà propriétaires de biens immobiliers, et avoir une parfaite connaissance des rouages financiers en cause, la cour d'appel qui a méconnu les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
5. Pour condamner la banque à payer aux emprunteurs des dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient que la banque ne soutient pas que les époux [R] étaient des emprunteurs avertis.
6. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la banque alléguait que M. et Mme [R] étaient des emprunteurs avertis, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et de limiter à 207 506,06 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 4 février 2010, le montant de la condamnation de M. et Mme [R], alors « que les dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier ne sont pas applicables aux prêts destinés à financer une activité professionnelle, notamment celle des personnes physiques ou morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, acquièrent et mettent un bien immobilier en location sous le statut de loueur en meublé professionnel ; que pour retenir l'application du code de la consommation, la cour d'appel se borne à relever que l'immatriculation de M. [R] au registre du commerce et des sociétés est postérieure à l'acceptation de l'offre de prêt ; qu'en se déterminant par ce seul motif, sans rechercher si les époux [R], qui faisaient eux-mêmes valoir qu'ils avaient souscrit entre 2005 et 2007 pas moins de dix emprunts auprès de divers établissements de crédit pour acquérir autant de logements destinés à être mis en location meublée, n'avaient pas souscrit le prêt en litige pour l'exercice leur son activité de loueur en meublé professionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 312-3, 2° du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 312-3 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
8. Selon ce texte, ne relèvent pas des dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier les prêts destinés à financer l'activité professionnelle, fût-elle accessoire, d'une personne physique qui, à titre habituel, procure des immeubles ou fractions d'immeubles en propriété ou en jouissance.
9. Pour prononcer la déchéance du droit de la banque aux intérêts conventionnels en application des articles L. 312-10 et L. 312-33 du code de la consommation, l'arrêt retient que l'immatriculation de [X] [R] au registre du commerce et des sociétés a été faite le 28 avril 2006, soit postérieurement à l'acceptation de l'offre de prêt le 6 février 2006.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les emprunteurs, qui avaient contracté dix emprunts auprès de différents établissements de crédit afin d'acquérir des logements destinés à la location meublée, n'avaient pas souscrit l'emprunt litigieux pour financer une activité professionnelle, peu important que l'immatriculation de l'un d'eux au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur en meublé professionnel ait été postérieure de deux mois à l'acceptation de l'offre de prêt, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les époux [R] et y ajoutant, déclare recevable la demande du Crédit immobilier de France développement venant aux droits de la Banque partimoine immobilier, et déboute le Crédit immobilier de France développement de sa demande en paiement de la somme de 35 827 euros au titre de la TVA versée par le Trésor public aux époux [R], l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. et Mme [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.