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22/03/2023 | FRANCE | N°21-24432

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 mars 2023, 21-24432


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mars 2023

Rejet

Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 207 F-D

Pourvoi n° R 21-24.432

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 MARS 2023

Mme [T] [P], veuve [I], domicil

iée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-24.432 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), d...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mars 2023

Rejet

Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 207 F-D

Pourvoi n° R 21-24.432

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 MARS 2023

Mme [T] [P], veuve [I], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-24.432 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société XL Insurance Company SE, dont le siège est [Adresse 2] (Irlande), société de droit irlandais, venant aux droits d'Axa Art Versicherung AG ,

2°/ à la société Documenta und Museum Fridericianum GGMBH, dont le siège est [Adresse 3] (Allemagne), société de droit allemand,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [P], veuve [I], de la SCP Thomas Raquin, Le Guerer, Bouniol Brochier, avocat des sociétés XL Insurance Company SE et Documenta und Museum Fridericianum GGMBH, après débats en l'audience publique du 7 février 2023 où étaient présents Mme Guihal, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ancel, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2021), Mme [P] a prêté à titre gratuit à la société Documenta Museum Fridericianum (la société Documenta) deux oeuvres d'art en vue d'une exposition en Allemagne, les contrats désignant la juridiction de Kassel (Allemagne) en cas de litige entre les parties.

2. La société Documenta a souscrit un contrat d'assurance auprès la société Axa Art Versicherung AG (la société Axa Art), lequel comportait une clause compromissoire.

3. L'une des oeuvres ayant été dégradée, Mme [P] a assigné la société Documenta et son assureur devant le tribunal de grande instance en indemnisation.

4. Par ordonnance du 17 décembre 2020, le juge de la mise en état a accueilli l'exception d'incompétence et renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [P] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Axa Art absorbée par la société XL Insurance alors « qu' est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; qu'une société ayant fait l'objet d'une fusion-absorption en cours d'instance ne peut, faute de personnalité morale, agir en justice et n'est donc pas recevable à soulever postérieurement à la fusion, une fin de non-recevoir tirée d'une exception d'incompétence des tribunaux français ; que pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Axa soulevée par Mme [P], la Cour d'appel a relevé que « la qualité à agir s'apprécie à la date de l'acte introductif d'instance soit au 12 juin 2019 et qu'à cette date, la société Axa Art avait cette qualité puisque la fusion-absorption a été opérée avec la société XL Insurance le 31 décembre 2019 et sa radiation du registre allemand du commerce le 18 février 2020 » (v. arrêt, p. 6§4) ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il était acquis que la société Axa avait déposé en son nom des conclusions d'incident devant le juge de la mise en état le 5 septembre 2020, soit postérieurement à son absorption par la société XL Insurance, la Cour d'appel a violé l'article 32 du code de procédure civile ».

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 32 et 126 du code de procédure civile que si toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir est irrecevable, cette irrecevabilité est écartée lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance.

7. Il ressort de l'article L. 236-3 du code de commerce que si la fusion-absorption entraîne la dissolution sans liquidation de la société absorbée, elle opère la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante qui a de plein droit qualité pour poursuivre les instances engagées par ou contre la société absorbée et que lorsque l'opération de fusion-absorption se réalise au cours de la procédure engagée contre la société absorbée et que la société absorbante intervient à l'instance, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de droit d'agir de la société absorbée est écartée, en application de l'article 126, alinéa 2, du code de procédure civile.

8. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Axa Art, qui avait été assignée par Mme [P] le 12 juin 2019 et qui avait soulevé l'exception d'incompétence de la juridiction française par voie de conclusions déposées devant le juge de la mise en état le 6 décembre 2019, avait été absorbée le 31 décembre 2019 par la société XL Insurance, la cour d'appel en a exactement déduit que l'opération de fusion-absorption s'étant réalisée au cours de la procédure engagée contre la société Axa Art et la société absorbante XL Insurance étant intervenue à l'instance en cause d'appel, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de droit d'agir de la société absorbée devait être écartée.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

10. Mme [P] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Axa Art et Documenta, rejeter la demande aux fins que soit écartée la pièce n° 1 produite par Axa Art, dire que le tribunal n'était pas compétent pour connaître du litige à raison des clauses attributives de compétence désignant les juridictions de Kassel et le tribunal arbitral de Francfort et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors :

« 1°/ que lorsqu'il est prétendu que la juridiction saisie est incompétente, la partie qui soulève cette incompétence doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée ; qu'en l'espèce, pour juger que l'obligation qui incombait aux sociétés Documenta et Axa de faire connaître devant quelle juridiction elles demandaient que l'affaire soit portée était satisfaite, la Cour d'appel s'est bornée à relever qu'il suffisait « de préciser l'Etat dans lequel se trouve la juridiction compétente sans avoir à préciser ni sa nature ni sa localisation exacte » et que tel était le cas de la société Documenta qui avait identifié « les tribunaux de Kassel en Allemagne » ainsi que de la société Axa « qui a désigné la juridiction allemande » ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant par ailleurs que la société XL Insurance, venant aux droits de la société Axa, soulevait l'incompétence du juge français au titre d'une « clause attributive de compétence au profit d'un tribunal arbitral siégeant à Francfort (Allemagne) et d'un lieu de juridiction à Kassel (Allemagne) », ce qui rendait impossible l'identification de l'autorité devant laquelle elle souhaitait voir porter l'affaire, la Cour d'appel a violé l'article 75 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que pour rejeter la demande de l'exposante tendant à faire juger la clause attributive de juridiction non valable, la Cour a relevé que « Mme [I] ne peut contester la validité de cette clause qu'en invoquant le droit allemand, comme l'y oblige l'article 25 précité, ce qu'elle ne fait pas » ; qu'en statuant par de tels motifs, desquels il ressortait que la Cour avait reconnu le droit allemand applicable pour apprécier la validité de la clause attributive de juridiction et qu'il lui incombait en conséquence de déterminer d'office si la clause litigieuse était valable au regard du droit allemand, la Cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

3°/ que pour être valable, la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat doit se rapporter à des litiges nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé ; que pour juger bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Documenta tirée de la clause attributive de juridiction intégrée dans le contrat de prêt la liant à l'exposante, la Cour d'appel a cru suffisant de relever, dans son analyse du contenu de la clause, qu' « il est mentionné que ‘ le lieu de juridiction est Kassel (Allemagne) '' ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, comme elle y était tenue, que la clause litigieuse donnait compétence aux juridictions allemandes pour connaître de litiges nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 25 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article 75 du code de procédure civile que dans l'ordre international, satisfait aux exigences de ce texte, la partie qui fait connaître, dans son déclinatoire, que l'affaire doit être portée devant les juridictions d'un autre Etat, la recevabilité de l'exception n'étant pas subordonnée à l'indication, de la juridiction étrangère devant être précisément saisie.

12. Ayant relevé que la clause insérée dans les contrats de prêt prévoyait que la juridiction désignée était compétente « pour tout litige entre les parties en lien avec le prêt est la juridiction de Kassel (Allemagne) » et qu'aux termes de ses conclusions adressées au juge de la mise en état la société Documenta demandait de déclarer les juridictions parisiennes incompétentes au profit de juridictions étrangères, en identifiant les tribunaux de Kassel en Allemagne, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche, qui ne lui était pas demandée, dès lors que la validité de la clause n'était pas contestée, a, par ces seuls motifs, exactement retenu que l'exception d'incompétence n'était pas irrecevable.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen pris en ses quatrième, cinquième, et sixième branches

Enoncé du moyen

14. Mme [P] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 4°/ que le consommateur au sens du Règlement Bruxelles I bis est la personne contractant pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ; que pour écarter la qualité de consommateur dont se prévalait Mme [P] aux fins de faire échec au jeu de la clause attributive de juridiction litigieuse, la Cour d'appel a cru suffisant de relever que « à supposer qu'elle puisse être qualifiée de consommatrice, elle ne justifie pas remplir les conditions de l'article 17 pour pouvoir y prétendre » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à écarter la qualité de consommatrice de l'exposante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 17§1 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

5°/ que doit être qualifié de contrat de consommation au sens du Règlement Bruxelles I Bis, tout contrat conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ; qu'en l'espèce, pour juger que le contrat de prêt conclu entre Mme [P] et la société Documenta n'était pas un contrat de consommation, la Cour d'appel a affirmé péremptoirement que « le contrat n'a pas été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'Etat membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet Etat membre ou vers plusieurs Etats, dont cet Etat membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités » ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier que la société Documenta – en charge de l'organisation des expositions de la foire internationale Documenta – n'avait pas agi dans le cadre d'une activité professionnelle et qu'en souscrivant un contrat de prêt portant sur des tableaux appartenant à Mme [P], cette société n'avait pas dirigé son activité vers la France où l'exposante avait son domicile, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 17§1 c) du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

6°/ que, la clause attributive de juridiction qui prive le consommateur des règles de compétence qui assurent sa protection lui est inopposable ; que tel est le cas de la clause qui prive le consommateur de la possibilité d'assigner le professionnel avec lequel il a contracté, devant les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel ce consommateur a son domicile ; qu'en l'espèce, pour accueillir l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Documenta et Axa, la Cour d'appel a, par motifs réputés adoptés, relevé que « Mme [I] ne démontre pas en quoi une clause qui prévoit une compétence du domicile du défendeur serait abusive, cette compétence étant conforme à une des deux options posées par l'article 18-1 du règlement [UE 1215/2012 du 12 décembre 2012] » (v. arrêt, p. 8) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la clause attributive de juridiction ne saurait restreindre les options de compétence qui sont offertes au consommateur et notamment celle lui permettant d'assigner le professionnel à son domicile, la Cour d'appel a violé les articles 18-1 et 19 du règlement UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

Réponse de la Cour

15. L'article 17 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose :

« 1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5):

a) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

b) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets; ou

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »

16. Il résulte de ce texte, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que seul celui qui agit en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d'ordre professionnel, dans l'unique but de satisfaire à ses propres besoins de consommation privée, relève du régime particulier prévu par le règlement en matière de protection du consommateur en tant que partie réputée faible (CJUE, 20 janvier 2005, C-464/01, point 36 ; 25 janvier 2018, C-498/16, point 30), sans qu'il puisse être tenu compte de sa situation subjective (CJUE, 14 février 2019, C-630/17, point 87), d'autre part, que cette disposition, dérogatoire au droit commun, n'est applicable que si toutes ses conditions sont cumulativement réunies (CJUE, 23 déc. 2015, C-297/14, point 24).

17. Ayant retenu que les contrats de prêt portant sur les oeuvres d'art, consentis à titre gratuit, ne relevaient ni d'un prêt à tempérament, ni d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente et que ces contrats, passés par la société Documenta de droit allemand ayant son siège en Allemagne, n'avaient pas été conclus par Mme [P] avec une personne exerçant des activités commerciales ou professionnelles dans l'Etat membre sur le territoire duquel elle avait son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet Etat membre ou vers plusieurs Etats, dont cet Etat membre et, enfin que le contrat entrait dans le cadre de ces activités, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise pour écarter les règles de compétence dérogatoires en matière de contrat à la consommation et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen pris en ses septième et huitième branches

Enoncé du moyen

18. Mme [P] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 7°/ que la clause attributive de juridiction qui prive l'assuré des règles de compétence qui assurent sa protection lui est inopposable ; que tel est le cas de la clause qui prive l'assuré de la possibilité d'assigner l'assureur, devant les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel l'assuré a son domicile ; qu'en l'espèce, pour accueillir l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Documenta et Axa, la Cour d'appel s'est bornée à relever que « Mme [I] revendique sa qualité d'assurée même si elle n'est pas signataire du contrat d'assurance » pour en déduire que « le caractère manifeste de l'inapplicabilité de la clause d'arbitrage du fait qu'elle serait inopposable à Mme [I], seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l'arbitre pour statuer sur l'existence, la validité et l'étendue de la convention d'arbitrage n'est pas établi et la cour doit se déclarer incompétente » ; qu'en se bornant à analyser l'opposabilité de la seule clause d'arbitrage à Mme [I] en sa qualité d'assurée, sans vérifier si la clause attributive de compétence pouvait produire effet, cependant que la clause attributive de juridiction ne saurait restreindre les options de compétence qui sont offertes à l'assuré et notamment celle lui permettant d'assigner l'assureur à son domicile, la Cour d'appel a violé les articles 11 et 15 du règlement UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale

8°/ que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable ; que lorsque la clause d'arbitrage est insérée dans un contrat donnant simultanément compétence à des juridictions étatiques pour connaître des litiges nés ou à naître entre les parties, celle-ci est manifestement inapplicable, faute de pouvoir établir la volonté des parties de se soumettre à la compétence prioritaire de l'arbitre ; qu'en l'espèce, pour juger valable la clause d'arbitrage insérée dans le contrat d'assurance conclu entre la société Documenta et la société Axa, la Cour d'appel a, par substitution de motifs, relevé que « Mme [I] revendique sa qualité d'assurée même si elle n'est pas signataire du contrat d'assurance » pour en déduire que « le caractère manifeste de l'inapplicabilité de la clause d'arbitrage du fait qu'elle serait inopposable à Mme [I], seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l'arbitre pour statuer sur l'existence, la validité et l'étendue de la convention d'arbitrage n'est pas établi et la cour doit se déclarer incompétente » (v. arrêt, p. 12) ; qu'en jugeant que seule l'inopposabilité de la clause compromissoire à Mme [P] était de nature à faire obstacle à la compétence de l'arbitre, sans vérifier, comme elle y était tenue au regard de ses propres constatations desquelles il résultait que le contrat d'assurance contenait une clause compromissoire et une clause attributive de juridiction, si la contradiction résultant de la présence simultanée au contrat de ces deux clauses ne rendait pas manifestement inapplicable la clause compromissoire, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1448 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

19. Il résulte de l'article 1448 du code de procédure civile que lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente, sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

20. Ayant relevé que les parties s'accordaient pour considérer que le contrat d'assurance souscrit par la société Documenta auprès de la société Axa Art stipulait, non pas une clause attributive de juridiction, mais une clause compromissoire et que Mme [P], bien que non signataire de ce contrat, en revendiquait le bénéfice en qualité d'assurée, de sorte que, dans ses relations avec l'assureur, cette clause de règlement des litiges lui était opposable à l'exclusion de la clause d'élection de for du contrat de prêt, la cour d'appel a pu en déduire que le caractère manifestement inapplicable de la clause n'était pas établi de sorte que les juridictions françaises étaient incompétentes.

21. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [P] et la condamne à payer aux sociétés Documenta et XL insurance la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 21-24432
Date de la décision : 22/03/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 septembre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 22 mar. 2023, pourvoi n°21-24432


Composition du Tribunal
Président : Mme Guihal (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Alain Bénabent , SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.24432
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