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18/01/2023 | FRANCE | N°21-20029

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 18 janvier 2023, 21-20029


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 18 janvier 2023

Rejet

Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 37 FS-B

Pourvoi n° E 21-20.029

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023

1°/ Mme [P] [F],

domiciliée [Adresse 2],

2°/ Mme [S] [E], domiciliée [Adresse 1],

3°/ M. [R] [F], domicilié [Adresse 2],

4°/ M. [J] [F], domicilié [Adresse 2],
...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 18 janvier 2023

Rejet

Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 37 FS-B

Pourvoi n° E 21-20.029

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023

1°/ Mme [P] [F], domiciliée [Adresse 2],

2°/ Mme [S] [E], domiciliée [Adresse 1],

3°/ M. [R] [F], domicilié [Adresse 2],

4°/ M. [J] [F], domicilié [Adresse 2],

5°/ Mme [X] [F], domiciliée [Adresse 2],

6°/ M. [W] [F], domicilié [Adresse 2],

7°/ Mme [L] [F], représentée par ses représentants légaux M. et Mme [R] et [P] [F] ,

domiciliés tous les six [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° E 21-20.029 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2021 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant à L' Agent judiciaire de l'Etat, dont le siège est [Adresse 3], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mmes [P], [L] et [K] [F], de Mme [E], de MM. [R],[J] et [W] [F], de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, M. Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 25 mai 2021), le 6 juillet 2009, alors qu'il était placé en garde à vue dans les locaux d'un commissariat de police, [Y] [F] s'est pendu dans sa cellule au moyen d'une bande de tissu qu'il avait découpée sur son matelas et nouée à travers deux trous creusés dans le mur. Après avoir été hospitalisé, il est décédé le 8 juillet 2009. Une information judiciaire ouverte du chef d'homicide involontaire a été clôturée par une ordonnance de non-lieu.

2. Le 19 décembre 2017, invoquant une violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'existence d'une faute lourde, M. et Mme [R] et [P] [F], en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de [L] [F], Mme et MM. [X], [J] et [W] [F], et Mme [E] (les consorts [F]) ont assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. Les consorts [F] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que la faute lourde à laquelle est subordonnée la responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice s'entend de toute déficience caractérisée par une faute ou une série de faits traduisant l'inaptitude de ce service à remplir la mission dont il est investi ; que constitue une faute lourde le seul fait de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat, après avoir relevé qu'il résultait des pièces du dossier que les murs de la cellule dans laquelle la victime a été placée présentaient plusieurs trous dont certains tranchants, que l'état de la cellule avait fait l'objet d'un rapport le 23 février 2009 demandant une restructuration de l'ensemble du poste de police afin de procéder à une mise aux normes des cellules dans le souci de l'accueil humain et sécurisé des personnes interpellées, trois mains courantes sur le mauvais état de ces cellules ayant été dressées entre 2007 et 2009, ce dont il résultait que la cellule en cause présentait un risque pour la sécurité des gardés à vue, ce qui était confirmé par le fait que [Y] [F] avait pu passer, dans les trous du mur, un tissu noué sur l'extérieur pour confectionner un moyen de pendaison, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que constitue une faute lourde le fait de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue et dont le système de vidéo-surveillance ne permet pas de s'assurer de leur sécurité, celui-ci transmettant une image floue de l'intérieur de la cellule ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat après avoir relevé qu'il résultait des pièces du dossier, d'une part, que les murs de la cellule dans laquelle la victime a été placée présentaient plusieurs trous dont certains tranchants, que l'état de la cellule avait fait l'objet d'un rapport le 23 février 2009 demandant une restructuration de l'ensemble du poste de police afin de procéder à une mise aux normes des cellules, dans le souci de l'accueil humain et sécurisé des personnes interpellées, trois mains courantes sur le mauvais état de ces cellules ayant été dressées entre 2007 et 2009, ce dont il résultait que la cellule en cause présentait un risque pour la sécurité des gardés à vue, ce qui était confirmé par le fait que [Y] [F] avait pu passer, dans les trous du mur, un tissu noué sur l'extérieur pour confectionner un moyen de pendaison, et, d'autre part, que le système de vidéo-surveillance transmettait une image floue de l'intérieur de la cellule, empêchant une surveillance adaptée aux risques que présentait la cellule, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que, constitue une faute lourde le fait de placer en garde à vue, dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue et dont le système de vidéosurveillance ne permet pas de s'assurer de leur sécurité, un individu, qui montre, par son comportement, une vulnérabilité particulière ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la présence d'angles morts n'empêchait pas toute surveillance effective du gardé à vue, et si le fait, pour le chef de poste de l'après-midi, d'avoir insisté auprès de l'adjoint de sécurité sur une vigilance accrue concernant [Y] [F] en raison de l'incident du matin relatif au cordon de son survêtement ne révélait pas sa particulière vulnérabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que, même lorsqu'il n'est pas établi que les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance d'un risque réel et immédiat qu'un individu gardé à vue, considéré comme étant en situation de vulnérabilité, attente à sa vie, l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impose aux forces de l'ordre des Etats membres de prendre préventivement des précautions élémentaires afin de minimiser tout risque potentiel en vue de la protection de la vie de celui-ci ; que ne constituent pas des précautions élémentaires préventives le fait, pour les autorités nationales, de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue, deux tentatives de suicide y ayant d'ores et déjà eu lieu et dont le système de vidéosurveillance ne permet pas de s'assurer de sa sécurité, celui-ci transmettant une image floue de l'intérieur de la cellule et comportant des angles morts, sans avoir mis en oeuvre les mesures nécessaires pour mettre fin à ces désordres et dysfonctionnement ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat quand, en premier lieu, [Y] [F] a été placé en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présentait un risque pour sa sécurité, des trous y existant et pouvant y être creusés afin de réaliser un système de pendaison, cette dangerosité étant confirmée par deux tentatives de suicide commises peu avant son placement en garde à vue, en deuxième lieu, le système de vidéosurveillance transmettait une image floue de l'intérieur de la cellule et présentait des angles mort, ce dont il résultait que [Y] [F] ne pouvait être surveillé de manière effective par les forces de l'ordre, et, en dernier lieu, les autorités nationales n'avaient pas mis en oeuvre les mesures recommandées pour remédier à la dangerosité de la cellule et au dysfonctionnement du système de surveillance, la cour d'appel a méconnu le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que, lorsque les autorités savaient ou auraient dû savoir qu'il y avait un risque réel et immédiat qu'un gardé à vue, considéré en situation de particulière vulnérabilité, attente à sa vie, elles doivent prendre toutes les mesures que l'on peut raisonnablement attendre d'elles pour prévenir ce risque ; que révèle un risque réel et immédiat pour sa vie dont les forces de l'ordre avaient ou devaient nécessairement avoir connaissance, le fait, pour un gardé à vue, en premier lieu, d'affirmer à voix haute lors d'une perquisition réalisée immédiatement après son placement en garde à vue "je suis prêt à faire une connerie", en deuxième lieu, de s'opposer avec violence à l'enlèvement du cordon de son survêtement, quand le dépôt d'objets coupants, de lacets ou de ceinture est prévu afin d'éviter des risques de suicide, en troisième lieu, de se taper à deux reprises la tête sur un distributeur de boisson, en quatrième lieu, de refuser de s'alimenter à l'heure du déjeuner, en cinquième lieu, de faire les cents pas dans sa cellule durant toute l'après-midi avant le passage à l'acte, en sixième lieu, d'indiquer à haute voix "se sentir oppressé en cellule" et "d'en avoir marre d'être en garde à vue pour rien", tous ces éléments ayant conduit le chef du commissariat à exiger qu'il fasse l'objet d'une surveillance particulière ; qu'en considérant, pour écarter toute faute lourde de l'Etat, que rien ne permettait d'identifier une fragilité particulière de [Y] [F] et que les services de police avaient pris des précautions adaptées aux éléments portés à leur connaissance pour prévenir tout geste suicidaire en se bornant à procéder au retrait du cordon du pantalon de survêtement et en regardant régulièrement les images de vidéo surveillance, la cour d'appel a méconnu le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a retenu, au vu des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, d'une part, que rien ne permettait d'identifier une fragilité particulière de [Y] [F] et de supposer un passage à l'acte en dépit d'un incident lié au retrait du cordon de son pantalon de survêtement, d'autre part, que les services de police avaient pris des précautions adaptées aux éléments portés à leur connaissance pour prévenir tout geste suicidaire en procédant au retrait du cordon et en regardant régulièrement les images de la vidéo-surveillance, même si celle-ci permettait seulement de visualiser, avec une image floue, les déplacements en cellule, enfin, que, si les murs de la cellule présentaient des trous, le mode opératoire choisi était difficilement prévisible, alors que la fabrication du dispositif de pendaison et l'exécution du geste fatal étaient intervenus dans un court laps de temps.

6. Sans méconnaître les dispositions de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, a pu en déduire qu'une faute lourde n'était pas caractérisée, justifiant ainsi légalement sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mmes et MM, [R], [P], [X], [J] et [W] [F] et Mme [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.

Le conseiller referendaire rapporteur le president

Le greffier de chambre

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SARL Le Prado-Gilbert, avocat aux Conseils, pour Mmes [P], [K] et [L] [F], MM. [R], [W] et [J] [F] et Mme [E]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Mmes [S] [E] et Mme [L] [F] reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR déclaré irrecevables leurs actions ;

ALORS QUE si le droit d'accès aux tribunaux n'est pas absolu, les limitations prévues par les législations nationales ne doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit d'accès s'en trouve atteint dans sa substance même ; que la qualité pour agir d'une personne doit s'apprécier au regard des circonstances exceptionnelles lorsqu'elles existent ; qu'en déclarant les actions de Mme [S] [E] et de Mme [L] [F] irrecevables pour ne pas avoir justifié leur lien de parenté avec la victime faute d'avoir versé aux débats des documents d'état civil, quand les circonstances exceptionnelles liées au suicide en garde à vue de [Y] [F], alors âgé de 21 ans, dans des conditions extrêmement choquantes rendaient excessif le fait d'exiger de la grand-mère et de la petite soeur de la victime la production d'éléments d'état civil, la cour d'appel a méconnu l'article 31 du code de procédure civil, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Mme [S] [E], Mmes [P], [L] et [X] [F] et MM. [R], [J] et [W] [F] reprochent à l'arrêt attaqué DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes ;

1°/ ALORS QUE la faute lourde à laquelle est subordonnée la responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice s'entend de toute déficience caractérisée par une faute ou une série de faits traduisant l'inaptitude de ce service à remplir la mission dont il est investi ; que constitue une faute lourde le seul fait de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat, après avoir relevé qu'il résultait des pièces du dossier que les murs de la cellule dans laquelle la victime a été placée présentaient plusieurs trous dont certains tranchants, que l'état de la cellule avait fait l'objet d'un rapport le 23 février 2009 demandant une restructuration de l'ensemble du poste de police afin de procéder à une mise aux normes des cellules dans le souci de l'accueil humain et sécurisé des personnes interpellées, trois mains courantes sur le mauvais état de ces cellules ayant été dressées entre 2007 et 2009, ce dont il résultait que la cellule en cause présentait un risque pour la sécurité des gardés à vue, ce qui était confirmé par le fait que [Y] [F] avait pu passer, dans les trous du mur, un tissu noué sur l'extérieur pour confectionner un moyen de pendaison, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ ALORS QUE constitue une faute lourde le fait de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue et dont le système de vidéo-surveillance ne permet pas de s'assurer de leur sécurité, celui-ci transmettant une image floue de l'intérieur de la cellule ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat après avoir relevé qu'il résultait des pièces du dossier, d'une part, que les murs de la cellule dans laquelle la victime a été placée présentaient plusieurs trous dont certains tranchants, que l'état de la cellule avait fait l'objet d'un rapport le 23 février 2009 demandant une restructuration de l'ensemble du poste de police afin de procéder à une mise aux normes des cellules, dans le souci de l'accueil humain et sécurisé des personnes interpellées, trois mains courantes sur le mauvais état de ces cellules ayant été dressées entre 2007 et 2009, ce dont il résultait que la cellule en cause présentait un risque pour la sécurité des gardés à vue, ce qui était confirmé par le fait que [Y] [F] avait pu passer, dans les trous du mur, un tissu noué sur l'extérieur pour confectionner un moyen de pendaison, et, d'autre part, que le système de vidéo-surveillance transmettait une image floue de l'intérieur de la cellule, empêchant une surveillance adaptée aux risques que présentait la cellule, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ ALORS QUE, subsidiairement, constitue une faute lourde le fait de placer en garde à vue, dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue et dont le système de vidéosurveillance ne permet pas de s'assurer de leur sécurité, un individu, qui montre, par son comportement, une vulnérabilité particulière ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la présence d'angles morts n'empêchait pas toute surveillance effective du gardé à vue (conclusions, p. 9), et si le fait, pour le chef de poste de l'après-midi, d'avoir insisté auprès de l'adjoint de sécurité sur une vigilance accrue concernant [Y] [F] en raison de l'incident du matin relatif au cordon de son survêtement ne révélait pas sa particulière vulnérabilité (conclusions, p. 12), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ ALORS QUE, subsidiairement, même lorsqu'il n'est pas établi que les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance d'un risque réel et immédiat qu'un individu gardé à vue, considéré comme étant en situation de vulnérabilité, attente à sa vie, l'article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impose aux forces de l'ordre des Etats membres de prendre préventivement des précautions élémentaires afin de minimiser tout risque potentiel en vue de la protection de la vie de celui-ci ; que ne constituent pas des précautions élémentaires préventives le fait, pour les autorités nationales, de placer un individu en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présente un risque pour la sécurité des gardés à vue, deux tentatives de suicide y ayant d'ores et déjà eu lieu et dont le système de vidéosurveillance ne permet pas de s'assurer de sa sécurité, celui-ci transmettant une image floue de l'intérieur de la cellule et comportant des angles morts, sans avoir mis en oeuvre les mesures nécessaires pour mettre fin à ces désordres et dysfonctionnement ; qu'en considérant qu'aucune faute lourde ne pouvait être retenue à l'encontre de l'Etat quand, en premier lieu, [Y] [F] a été placé en garde à vue dans une cellule dont l'état des murs présentait un risque pour sa sécurité, des trous y existant et pouvant y être creusés afin de réaliser un système de pendaison, cette dangerosité étant confirmée par deux tentatives de suicide commises peu avant son placement en garde à vue, en deuxième lieu, le système de vidéosurveillance transmettait une image floue de l'intérieur de la cellule et présentait des angles mort, ce dont il résultait que [Y] [F] ne pouvait être surveillé de manière effective par les forces de l'ordre, et, en dernier lieu, les autorités nationales n'avaient pas mis en oeuvre les mesures recommandées pour remédier à la dangerosité de la cellule et au dysfonctionnement du système de surveillance, la cour d'appel a méconnu le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ ALORS QUE, plus subsidiairement, lorsque les autorités savaient ou auraient dû savoir qu'il y avait un risque réel et immédiat qu'un gardé à vue, considéré en situation de particulière vulnérabilité, attente à sa vie, elles doivent prendre toutes les mesures que l'on peut raisonnablement attendre d'elles pour prévenir ce risque ; que révèle un risque réel et immédiat pour sa vie dont les forces de l'ordre avaient ou devaient nécessairement avoir connaissance, le fait, pour un gardé à vue, en premier lieu, d'affirmer à voix haute lors d'une perquisition réalisée immédiatement après son placement en garde à vue « je suis prêt à faire une connerie », en deuxième lieu, de s'opposer avec violence à l'enlèvement du cordon de son survêtement, quand le dépôt d'objets coupants, de lacets ou de ceinture est prévu afin d'éviter des risques de suicide, en troisième lieu, de se taper à deux reprises la tête sur un distributeur de boisson, en quatrième lieu, de refuser de s'alimenter à l'heure du déjeuner, en cinquième lieu, de faire les cents pas dans sa cellule durant toute l'après-midi avant le passage à l'acte, en sixième lieu, d'indiquer à haute voix « se sentir oppressé en cellule » et « d'en avoir marre d'être en garde à vue pour rien », tous ces éléments ayant conduit le chef du commissariat à exiger qu'il fasse l'objet d'une surveillance particulière ; qu'en considérant, pour écarter toute faute lourde de l'Etat, que rien ne permettait d'identifier une fragilité particulière de [Y] [F] et que les services de police avaient pris des précautions adaptées aux éléments portés à leur connaissance pour prévenir tout geste suicidaire en se bornant à procéder au retrait du cordon du pantalon de survêtement et en regardant régulièrement les images de vidéo surveillance, la cour d'appel a méconnu le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le greffier de chambre


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 21-20029
Date de la décision : 18/01/2023
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

ETAT - Responsabilité - Fonctionnement défectueux du service de la justice - Faute lourde - Exclusion - Cas - Précautions adaptées

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 2 - Droit à la vie - Violation - Défaut - Applications diverses

Ayant retenu, au vu des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, d'une part, que rien ne permettait d'identifier une fragilité particulière d'un gardé à vue et de supposer un passage à l'acte en dépit d'un incident lié au retrait du cordon de son pantalon de survêtement, d'autre part, que les services de police avaient pris des précautions adaptées aux éléments portés à leur connaissance pour prévenir tout geste suicidaire en procédant au retrait du cordon et en regardant régulièrement les images de la vidéo-surveillance, même si celle-ci permettait seulement de visualiser, avec une image floue, les déplacements en cellule, enfin, que, si les murs de la cellule présentaient des trous, le mode opératoire choisi était difficilement prévisible, alors que la fabrication du dispositif de pendaison et l'exécution du geste fatal étaient intervenus dans un court laps de temps, c'est sans méconnaître les dispositions de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'une cour d'appel a pu en déduire qu'une faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat n'était pas caractérisée


Références :

Article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire

article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 25 mai 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 18 jan. 2023, pourvoi n°21-20029, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 07/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2023:21.20029
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