LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
Rejet
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 693 F-D
Pourvoi n° Z 21-15.401
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 NOVEMBRE 2022
Mme [R] [E], domiciliée [Adresse 3], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société LR Consulting, a formé le pourvoi n° Z 21-15.401 contre l'arrêt rendu le 22 février 2021 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [M] [X], domicilié [Adresse 1],
2°/ à Mme [S] [L], domiciliée [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de Mme [E], ès qualités, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [X], et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Colmar, 22 février 2021), la société LR Consulting a été mise en liquidation judiciaire le 23 septembre 2013, Mme [E] étant désignée liquidateur. Le liquidateur a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif M. [X], Mme [L] et M. [Y].
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [E], ès qualités, fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable car prescrite l'action en responsabilité introduite contre Mme [L], alors « que la convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et Monaco impose à l'huissier français devant signifier une assignation à une personne domiciliée à Monaco de transmettre l'acte au procureur monégasque, qui doit alors le remettre au destinataire ; que l'article 8 de la convention, qui prévoit que la signification est réputée exécutée à la date de la remise au destinataire, doit être interprété comme déterminant la date de la signification à l'égard du seul destinataire de l'acte, et non de son expéditeur, sans quoi l'action serait prescrite du seul fait que le procureur monégasque a transmis l'assignation à son destinataire après l'expiration du délai de prescription, ce qui porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ; que pour dire prescrite l'action en responsabilité exercée contre Mme [L] domiciliée à Monaco, la cour d'appel, appliquant la convention franco-monégasque, a retenu que même à l'égard de l'expéditeur, la signification de l'acte est réputée accomplie au jour de sa remise au destinataire et a relevé que l'huissier français a transmis l'assignation au procureur monégasque le 23 septembre 2016, jour de l'expiration du délai de prescription, mais que le procureur ne l'a remise à Mme [L] que le 2 novembre 2016 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait dépendre l'écoulement du délai de prescription d'un acte étranger au demandeur, a violé l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 8 de la convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir énoncé que la délivrance d'une assignation constitue une demande en justice qui interrompt la prescription de l'action et que l'article 8 de la convention bilatérale du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco, qui prime les dispositions nationales, prévoit qu'en matière civile et commerciale, la signification d'un acte, que ce soit vis-à-vis de l'émetteur ou du destinataire, le texte ne distinguant pas ces situations, sera réputée exécutée à la date de la remise ou du refus de l'acte dans les termes de l'article 7, l'arrêt constate que l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif de Mme [L], résidant à Monaco, a été transmise, pour remise à l'intéressée, par l'huissier de justice au procureur général de la Principauté de Monaco le 23 septembre 2016 et que la remise de l'acte à Mme [L] par l'autorité requise a eu lieu le 2 novembre 2016.
5. De ces énonciations et constatations, dont il résulte que, dans tous les cas, la transmission au procureur général de la Principauté de Monaco, le dernier jour du délai de prescription, ne permettait pas une remise de l'assignation dans les délais, l'arrêt déduit exactement, sans porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, que la signification à Mme [L] étant intervenue le 2 novembre 2016, après l'expiration du délai triennal de prescription qui avait commencé à courir le 23 septembre 2013, date de l'ouverture de la procédure collective, l'action dirigée contre Mme [L] était irrecevable comme prescrite.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [E], en qualité de liquidateur judiciaire de la société LR Consulting, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour Mme [E], en qualité de liquidateur judiciaire de la société LR Consulting.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Maître [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société LR Consulting, fait grief à la décision confirmative attaquée d'avoir déclaré irrecevable car prescrite l'action en responsabilité introduite comme Mme [L] ;
alors que la convention du 21 septembre 1949 relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et Monaco impose à l'huissier français devant signifier une assignation à une personne domiciliée à Monaco de transmettre l'acte au procureur monégasque, qui doit alors le remettre au destinataire ; que l'article 8 de la convention, qui prévoit que la signification est réputée exécutée à la date de la remise au destinataire, doit être interprété comme déterminant la date de la signification à l'égard du seul destinataire de l'acte, et non de son expéditeur, sans quoi l'action serait prescrite du seul fait que le procureur monégasque a transmis l'assignation à son destinataire après l'expiration du délai de prescription, ce qui porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ; que pour dire prescrite l'action en responsabilité exercée contre Mme [L] domiciliée à Monaco, la cour d'appel, appliquant la convention franco-monégasque, a retenu que même à l'égard de l'expéditeur, la signification de l'acte est réputée accomplie au jour de sa remise au destinataire et a relevé que l'huissier français a transmis l'assignation au procureur monégasque le 23 septembre 2016, jour de l'expiration du délai de prescription, mais que le procureur ne l'a remise à Mme [L] que le 2 novembre 2016 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait dépendre l'écoulement du délai de prescription d'un acte étranger au demandeur, a violé l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 8 de la convention relative à l'aide mutuelle judiciaire entre la France et la Principauté de Monaco.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Maître [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société LR Consulting, fait grief à la décision infirmative attaquée d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de M. [M] [X] au paiement d'une somme au titre de l'insuffisance d'actif ;
alors 1/ que le dirigeant qui a manqué à son obligation de tenir une comptabilité rigoureuse de l'entreprise ne peut se prévaloir de ce qu'il ignorait l'état de cessation des paiements ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande du liquidateur, qui invoquait un défaut de déclaration de cessation des paiements dont le tribunal avait reporté la date au maximum légal, soit 18 mois avant l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a retenu que M. [X] n'avait pas connaissance de l'état de cessation des paiements le 23 mars 2012, date retenue par le tribunal, ni dans les 45 jours qui ont suivi, pour en déduire que l'absence de déclaration de cessation des paiements n'était pas fautive ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que M. [X] avait manqué à son obligation d'établir la comptabilité définitive pour les années 2011 à 2013, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
alors 2/ qu'il ne peut être reproché au liquidateur judiciaire de ne pas démontrer que les fautes d'abstention de déclaration des paiements et de poursuite d'une activité déficitaire ont contribué à l'insuffisance d'actif, si aucune comptabilité rigoureuse n'était tenue par le dirigeant ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande du liquidateur, la cour d'appel a retenu que M. [X] avait commis une faute de gestion en ne déclarant pas l'état de cessation des paiements à partir d'août 2012 et en poursuivant l'exploitation postérieurement à cette date, mais que le liquidateur ne rapportait pas la preuve que ces fautes avaient contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que M. [X] n'avait pas établi la comptabilité pour les années 2011 à 2013, la cour d'appel, qui a fait peser sur le liquidateur une preuve impossible à établir, a violé l'article L. 651-2 du code de commerce, ensemble l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
alors 3/ que si l'entreprise est en état de cessation des paiements, la poursuite de son activité pendant 18 mois, sans l'appui d'une comptabilité rigoureuse, et l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans les 45 jours de la survenance de cette situation contribuent nécessairement à l'insuffisance d'actif ; que la cour d'appel a constaté qu'après que M. [X] a poursuivi l'exploitation d'une entreprise en cessation des paiements pendant 18 mois, sans l'appui d'une comptabilité fiable faute de l'avoir tenue, ladite entreprise affichait un passif admis à hauteur de 1 625 698,84 € ; qu'en estimant toutefois qu'il n'était pas établi que les fautes de gestion qu'elle a pourtant reconnues avaient contribué à l'insuffisance d'actif, la cour d'appel, faute d'avoir tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 651-2 du code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Maître [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société LR Consulting, fait grief à la décision infirmative attaquée d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de M. [M] [X] au paiement d'une somme au titre de l'insuffisance d'actif ;
alors 1/ que la loi du 9 décembre 2016, qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l'insuffisance d'actif, n'est pas applicable aux faits antérieurs à son entrée en vigueur ; qu'au cas présent, pour rejeter la demande du liquidateur formée par assignation du 10 octobre 2016 au titre de l'insuffisance d'actif révélée par la procédure de liquidation judiciaire ouverte contre la société LR Consulting le 23 septembre 2013, la cour d'appel a dit que M. [X] n'avait pas déclaré la cessation des paiements dans les 45 jours de sa survenue, soit au plus tard le 8 mai 2012, mais que cette omission n'excédait pas une simple négligence ne pouvant constituer une faute de gestion ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a appliqué la loi du 9 décembre 2016 à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, a violé l'article 2 du code civil par refus d'application, l'article L. 651-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 par fausse application, et l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme ;
alors 2/ que commet une faute de gestion le dirigeant social qui omet de déclarer la cessation des paiements, sans qu'il puisse se prévaloir de ce qu'il ignorait l'état de cessation des paiements de la société ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande du liquidateur, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que M. [X] ait eu connaissance de l'état de cessation des paiements le 23 mars 2012, ni dans les 45 jours qui ont suivi ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 ;
alors 3/ que l'existence d'une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 du code de commerce s'apprécie au plus tard au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir relevé que la facture du 2 mai 2011 constatant la vente de deux véhicules Ferrari GT2 à M. [W] était erronée dans la mesure où un jugement du 4 juillet 2016 avait retenu que la société LR Consulting était demeurée propriétaire de ces véhicules, a dit qu'à supposer que l'émission de cette facture constitue une faute, elle n'a contribué qu'à augmenter la dette due à la société Springbox au titre du gardiennage pendant l'action en revendication des véhicules ; qu'ensuite, la cour d'appel a retenu que la responsabilité de M. [X] ne pouvait être recherchée de ce chef dans la mesure où il justifiait de son intervention active courant 2018 auprès du liquidateur pour trouver un acquéreur à ces deux véhicules ; qu'en statuant ainsi, en considération de faits postérieurs au 23 septembre 2013, date du prononcé de la liquidation judiciaire de la société LR Consulting, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
alors 4/ que la cour d'appel, après avoir dit que la facture du 2 mai 2011 constatant la vente de deux véhicules Ferrari GT2 à M. [W] était erronée dans la mesure où un jugement du 4 juillet 2016 avait retenu que la société LR Consulting était demeurée propriétaire de ces véhicules, a dit qu'à supposer que l'émission de cette facture constitue une faute, elle n'a contribué qu'à augmenter la dette due à la société Springbox au titre du gardiennage pendant l'action en revendication des véhicules ; qu'ensuite, la cour d'appel a retenu que la responsabilité de M. [X] ne pouvait être recherchée de ce chef dans la mesure où il a effectué des démarches en vue d'obtenir un important remboursement de TVA afin de tenter d'augmenter d'autant l'actif de la société LR Consulting et qu'il n'avait pas cherché à fuir ses responsabilités, ayant, le 31 juillet 2013, racheté les parts de la société LR Consulting pour redevenir ainsi associé ; qu'en écartant ainsi la responsabilité de M. [X] par des considérations étrangères à la faute de gestion consistant en l'émission d'une facture erronée, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, violant ainsi l'article L. 651-2 du code de commerce.