LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
Mme BÉLAVAL, conseiller le plus ancien
non empêché, faisant fonction de président
Arrêt n° 619 F-B
Pourvoi n° M 21-15.619
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue, société civile coopérative, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 21-15.619 contre l'arrêt rendu le 25 février 2021 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJ synergie - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Office notarial des comtés du Forez, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société [J] et associés - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à M. [K] [J], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller doyen, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MJ synergie - mandataires judiciaires, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [J] et associés - mandataires judiciaires et de M. [J], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents Mme Bélaval, conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président, Mme Vaissette, conseiller doyen rapporteur, M. Riffaud, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 25 février 2021), M. [G] a été mis en redressement judiciaire par un jugement du 13 novembre 2013 qui a désigné la Selarl MJ synergie, représentée par M. [J], en qualité de mandataire judiciaire. La créance de la Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue (la banque) a été admise au passif à titre privilégié à concurrence de 306 572,05 euros.
2. Pendant la période d'observation du redressement judiciaire, plusieurs terrains grevés par des inscriptions d'hypothèques et de privilège de prêteur de deniers de la banque ont été vendus et la SCP [N] [H], notaire ayant reçu les actes, a remis l'intégralité des prix de vente, soit 117 758,11 euros, à la société MJ synergie représentée par M. [J], par des virements des 4 septembre et 7 novembre 2014. Les demandes réitérées de la banque auprès du mandataire judiciaire pour obtenir le versement des sommes provenant des ventes de parcelles n'ont pas abouti, le mandataire judiciaire indiquant avoir remis les sommes en cause au débiteur.
3. Estimant que la responsabilité du mandataire judiciaire était engagée, la banque a, par un acte du 19 octobre 2016, assigné la Selarl MJ synergie, représentée par M. [J], en paiement de la somme de 117 758,11 euros outre intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en responsabilité en tant que dirigée contre la société MJ synergie, représentée par M. [J], alors « que le mandataire judiciaire exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société et ne peut plus exercer à titre individuel, de sorte qu'en cas de faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit mutuel à raison des fautes commises par M. [J], mandataire associé de la Selarl MJ synergie, ne pouvait être dirigée que contre M. [J] personnellement et non contre la Selarl MJ synergie, la cour d'appel a violé les articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société [J] et associés - mandataires judiciaires et M. [J] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau dès lors que la banque ne s'est pas prévalue devant la cour d'appel des dispositions des articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce et qu'il n'est pas de pur droit en ce qu'il repose sur le présupposé d'une faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions qui n'a pas été constatée par l'arrêt.
6. Cependant, le moyen, qui soutient la recevabilité de l'action en responsabilité introduite contre la société MJ synergie, à raison de l'allégation d'une faute de M. [J] dans l'exécution de sa mission, ne se réfère à aucun fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt.
7. Le moyen, de pur droit, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles R. 814-83, R. 814-84, R. 814-85, alinéa 2, et R. 814-86 du code de commerce :
8. Selon le premier de ces textes, lorsque le tribunal nomme une société en qualité de mandataire judiciaire, il désigne en son sein un ou plusieurs associés exerçant l'activité de mandataire judiciaire pour la représenter dans l'exercice du mandat qui lui est confié.
Il résulte des textes visés ensuite que l'associé d'une société de mandataires judiciaires, qui exerce ses fonctions au nom de la société, ne peut plus exercer sa profession à titre individuel et doit consacrer à la société toute son activité professionnelle.
9. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité dirigée contre la société MJ synergie, représentée par M. [J], l'arrêt retient que le mandataire judiciaire qui exerce son activité sous une forme sociale doit, si sa responsabilité est recherchée, être assigné personnellement, en tant que répondant sur son patrimoine des conséquences de ses fautes personnelles et que toute action initiée par voie d'assignation contre la société civile professionnelle dont il fait partie est irrecevable.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'à la date de la délivrance de l'assignation, la société MJ synergie, représentée par M. [J], était la titulaire du mandat judiciaire, de sorte que l'action en responsabilité, à raison des fautes reprochées dans l'exécution de la mission de mandataire judiciaire, était recevable contre cette société, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il déclare irrecevable l'action en responsabilité de la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue, en tant que dirigée à l'encontre de la société MJ synergie, représentée par M. [J], la condamne au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euros à la société MJ synergie, à la société [J] et associés - mandataires judiciaires et à M. [J] et aux dépens, et la déboute de sa réclamation fondée sur l'article 700 du code de procédure civile y compris en appel, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société MJ synergie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [J] et associés - mandataires judiciaires à payer à la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue.
La Caisse de Crédit Mutuel de Saint-Etienne Bellevue fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son action en responsabilité irrecevable en tant que dirigée à l'encontre de la SELARL MJ Synergie, représentée par maître [J] ;
1°) Alors que le mandataire judiciaire exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société et ne peut plus exercer à titre individuel, de sorte qu'en cas de faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit Mutuel à raison des fautes commises par maître [J], mandataire associé de la SELARL MJ Synergie, ne pouvait être dirigée que contre maître [J] personnellement et non contre la SELARL MJ Synergie, la cour d'appel a violé les articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce ;
2°) Alors que dans une société d'exercice libéral, la société est solidairement responsable avec ses associés des conséquences dommageables de leurs actes ; qu'il en résulte qu'en cas de faute d'un associé, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit Mutuel à raison des fautes commises par maître [J], mandataire associé de la SELARL MJ Synergie, ne pouvait être dirigée que contre maître [J] personnellement et non contre la SELARL MJ Synergie, la cour d'appel a violé l'article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990.