Demande d'avis
n° A 22-70.008
Juridiction : le tribunal judiciaire de Paris
LC82
Avis du 7 septembre 2022
n° 15010 B
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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COUR DE CASSATION
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Deuxième chambre civile
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse nationale des Barreaux français, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [W], épouse [V], et les conclusions de M. de Monteynard, avocat général, entendu en ses observations orales ;
Enoncé de la demande d'avis
1. La Cour de cassation a reçu le 30 mai 2022, une demande d'avis formée le 25 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, dans une instance opposant Mme [W], épouse [V], à la Caisse nationale des barreaux français.
2. La demande est ainsi formulée :
« L'article R. 173-15, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale qui prévoit que les majorations de durée d'assurance prévues à l'article L. 351-4 du même code sont accordées, par priorité, par le régime général de sécurité sociale lorsque l'assuré a été affilié successivement, alternativement ou simultanément à ce régime et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses, porte-t-il une atteinte excessive au droit fondamental garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signé à [Localité 1] le 20 mars 1952, qui implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants ? »
Examen de la demande d'avis
3. Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.
4. Le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application des dispositions susvisées, qui impliquent un rapport raisonnable de proportionnalité, exprimant un juste équilibre entre ce droit individuel et le droit reconnu aux Etats de réglementer sa mise en oeuvre conformément à l'intérêt général.
5. L'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale prévoit une majoration de la durée d'assurance de quatre trimestres au bénéfice des femmes assurées sociales, pour chacun de leurs enfants, au titre de l'incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, ainsi que, au bénéfice de l'un ou de l'autre des deux parents assurés sociaux, une majoration de durée d'assurance de quatre trimestres, attribuée pour chaque enfant mineur au titre de son éducation pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption.
6. Il résulte de l'article L. 653-3 du code de la sécurité sociale que les assurés relevant du régime des avocats bénéficient des majorations de durée d'assurance prévues par le texte précité, adaptées en tant que de besoin par décret pour tenir compte des modalités particulières de calcul de la pension de ce régime.
7. L'article R. 653-4 du même code précise que pour les avocats exerçant à titre libéral, sont comptées comme périodes d'assurance dans le présent régime : (...) 5°) les périodes attribuées au titre des majorations de durée d'assurance pour enfants mentionnées à l'article L. 351-4, lorsque l'assuré n'a relevé d'aucun autre régime que celui de la Caisse nationale des barreaux français, ou lorsque celle-ci a compétence pour attribuer ces majorations en application de l'article R. 173-15.
8. L'article L. 171-1 du code de la sécurité sociale prévoit que des règles de coordination sont applicables aux travailleurs qui passent d'une organisation spéciale de sécurité sociale, de celle applicable aux travailleurs indépendants ou de celle applicable aux autres assurés du régime général à l'autre, ainsi qu'aux travailleurs exerçant simultanément une activité relevant d'une de ces organisations. Ces règles sont fixées par décret.
9. L'article R. 173-15 du code de la sécurité sociale dispose, en son premier alinéa, que les majorations de durée d'assurance prévues à l'article L. 351-4 sont accordées, par priorité, par le régime général de sécurité sociale lorsque l'assuré a été affilié successivement, alternativement ou simultanément à ce régime et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses.
10. Ce dispositif se borne à fixer une règle de coordination en matière d'assurance vieillesse entre les différents régimes de sécurité sociale consistant à donner la priorité à l'un des régimes auquel un assuré social a été affilié pour l'attribution des majorations de durée d'assurance pour enfants, sans remettre en cause le droit des assurés sociaux d'en bénéficier.
11. Par ses effets sur les « coefficients de proratisation » résultant des durées respectives d'affiliation aux différents régimes qui dépendent des caractéristiques du parcours professionnel de chaque assuré, il ne porte pas, par lui-même, une atteinte à la substance du droit à pension des assurés sociaux qui ont été affiliés successivement, alternativement ou simultanément au régime général et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses.
12. Il en résulte que les dispositions de l'article R. 173-15, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ne constituent pas une ingérence dans le droit à pension garanti par l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas susceptibles de recevoir application dans la procédure de saisine pour avis suivie devant la Cour de cassation.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
EST D'AVIS QUE les dispositions de l'article R. 173-15, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ne constituent pas une ingérence dans le droit à pension garanti par l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que, par application de l'article 1031-6 du code de procédure civile, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 7 septembre 2022, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 6 septembre 2022 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, Mme Coutou, M. Rovinski, Mmes Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mmes Vigneras, Dudit, M. Labaune, conseiller référendaire, M. de Monteynard, avocat général, Mme Catherine, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.