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22/06/2022 | FRANCE | N°21-25215

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 juin 2022, 21-25215


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 juin 2022

Rejet

Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 418 F-D

Pourvoi n° S 21-25.215

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JUIN 2022

La société

L'Equipe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-25.215 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 juin 2022

Rejet

Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 418 F-D

Pourvoi n° S 21-25.215

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 JUIN 2022

La société L'Equipe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-25.215 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige l'opposant à la société Lekiosque.fr, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société L'Equipe, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Lekiosque.fr, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2021), au printemps 2020, la société SFR, ayant décidé d'externaliser son service de presse numérique destiné à ses abonnés à la société Lekiosque.fr, exerçant sous le nom commercial Cafeyn (la société Cafeyn), qui a une activité de distribution de presse numérique et de diffusion en ligne de contenus d'informations sur tous supports, a résilié son contrat de diffusion avec la société L'Equipe, éditeur de journaux et magazines dédiés au sport, à effet au 31 août 2020.

2. Les sociétés Cafeyn et L'Equipe, déjà liées par un accord de diffusion numérique de contenus, pour d'autres offres de diffusion destinées directement aux consommateurs, aux professionnels ou encore aux clients d'autres opérateurs de télécommunication, ont décidé de renégocier leurs relations commerciales afin d'aboutir à un accord global intégrant l'offre de diffusion des titres édités par la société L'Equipe aux abonnés SFR.

3. En vue de la formalisation d'un contrat-cadre, la société Cafeyn a adressé, le 25 novembre 2020, à la société L'Equipe un « Deal memo » résumant les principales conditions contractuelles devant régir leur partenariat, et prévoyant, s'agissant du titre L'Equipe, un droit de diffusion sur SFR du 21 juillet 2020 au 31 août 2021, renouvelable par tacite reconduction, pour des périodes de douze mois, sauf dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception au moins quatre mois avant le terme.

4. Les relations commerciales se sont poursuivies sans qu'aucun contrat-cadre n'ait finalement été formalisé entre les parties.

5. Par courriel du 19 mars 2021, la société L'Equipe a informé la société Cafeyn de sa volonté d'arrêter la distribution du titre L'Equipe sur le réseau SFR au 31 août 2021. Puis, le 16 avril 2021, elle a adressé à la société Cafeyn une lettre recommandée proposant la « résiliation amiable du contrat de distribution des titres du groupe L'Equipe », que la société Cafeyn a refusée.

6. Par lettre recommandée du 23 juin 2021 portant « résiliation du contrat de distribution des titres du groupe L'Equipe », la société L'Equipe a confirmé mettre unilatéralement fin au contrat au 31 décembre 2021, et au 31 août 2021 s'agissant de l'offre SFR.

7. Faisant valoir que, faute de respect par la société L'Equipe du délai de préavis de quatre mois convenu dans le « Deal memo » du 25 novembre 2020, l'accord concernant la diffusion via SFR était tacitement reconduit pour une durée de douze mois, la société Cafeyn a assigné la société L'Equipe en référé à heure indiquée aux fins d'obtenir le maintien, jusqu'au 31 août 2022, des relations contractuelles telles que définies dans ce document concernant la diffusion via SFR et qu'il lui soit ordonné de s'abstenir de tout agissement susceptible de perturber, par quelque moyen que ce soit, la distribution de ses titres via ce canal.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

8. La société L'Equipe fait grief à l'arrêt d'ordonner à titre de mesure conservatoire la suspension des effets de la dénonciation unilatérale suivant lettre du 23 juin 2021 du contrat la liant à la société Cafeyn et de lui ordonner par voie de conséquence de poursuivre l'exécution du contrat dans les conditions définies par le « Deal memo » du 24/25 novembre 2020, sous astreinte, alors :

« 1°/ que seul le trouble résultant d'une violation évidente d'une règle de droit est manifestement illicite ; qu'en matière contractuelle, il suppose que l'existence d'un contrat ou l'application d'une clause s'impose avec évidence ; qu'ainsi, la méconnaissance de clauses contractuelles par l'une des parties ne peut constituer un trouble manifestement illicite que le juge peut faire cesser en référé qu'à condition que ce contrat ait été formalisé ; qu'en retenant, pour considérer que l'existence d'un trouble manifestement illicite était caractérisé, que la société l'Equipe avait, à l'évidence, accepté les conditions juridiques et financières récapitulées dans le "Deal memo" des 24 et 25 novembre 2020, unilatéralement rédigé par la société Cafeyn, après avoir constaté qu'à la suite de cet envoi, aucun contrat-cadre n'avait été formalisé par les parties, et que l'acceptation de ce contrat par la société L'Equipe ne pouvait être déduite que de son comportement postérieur à l'envoi de ce document, ce dont il résultait que l'existence de ce contrat prétendument inexécuté ne pouvait pas être établie avec l'évidence qui s'impose en référé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 873 du code de procédure civile ;

2°/ que seul le trouble résultant d'une violation évidente d'une règle de droit est manifestement illicite ; qu'en matière contractuelle, il suppose que l'existence d'un contrat ou l'application d'une clause s'impose avec évidence ; qu'en retenant, pour considérer que le "Deal memo" des 24 et 25 novembre 2020 valait contrat dont la méconnaissance constituait un trouble manifestement illicite, que la société L'Equipe avait, à l'évidence, accepté les conditions juridiques et financières récapitulées dans le "Deal memo" du 25 novembre 2020, unilatéralement rédigé par la société Cafeyn, après avoir admis que cette prétendue acceptation ne pouvait résulter que du rapprochement de nombreux indices, dont aucun ne pouvait à lui seul suffire à démontrer l'existence d'un contrat, ce dont il résultait que l'existence du contrat prétendument inexécuté ne pouvait pas être établie avec l'évidence qui s'impose en référé, la cour d'appel a violé, de plus fort, l'article 873 du code de procédure civile ;

3°/ que l'inexécution d'un contrat ne peut constituer un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile que lorsque le juge n'est pas tenu de se livrer à une interprétation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir rappelé que, pour caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite, il incombait à la société Cafeyn, d'une part, de rapporter la preuve évidente de l'accord non équivoque des parties sur le contenu du « Deal memo » du 25 novembre 2020 et, d'autre part, de démontrer que la société L'Equipe avait manifestement violé cet accord en y mettant fin de manière unilatérale sans respecter les formes et délais contractuellement prévus, l'arrêt relève qu'à la suite de l'envoi par la société Cafeyn à la société L'Equipe le 25 novembre 2020 d'un « Deal memo » résumant les conditions du partenariat, aucun contrat-cadre n'a finalement été formalisé entre les parties. Il retient que, néanmoins, la diffusion du titre L'Equipe sur le réseau SFR/Cafeyn, mise en oeuvre dès septembre 2020 sans attendre la formalisation d'un contrat-cadre, a continué au-delà du 25 novembre 2020 et a donné lieu à l'émission de plusieurs factures par la société L'Equipe sur la base des conditions financières prévues dans ce « Deal memo » et que, pendant trois mois après la réception de ce document, la société L'Equipe a poursuivi de manière non équivoque l'exécution du volet du partenariat relatif à la diffusion de son titre par le canal SFR/Cafeyn. L'arrêt retient également que l'intention de la société L'Equipe de maintenir cette diffusion résulte sans ambiguïté possible de son courriel du 18 décembre 2020 et de ses lettres des 22 janvier et 17 février 2021. Il relève enfin que, dans son courriel du 19 mars 2021 puis ses lettres des 16 avril et 23 juin 2021 relatifs à l'arrêt de la diffusion du titre L'Equipe sur le réseau SFR/Cafeyn, la société L'Equipe se prévaut systématiquement de la date du 31 août 2021, prévue dans le « Deal memo » comme étant le terme de son « engagement initial d'un an » ou encore « la date de l'échéance » de ce volet du contrat, de sorte qu'elle ne peut, d'un côté, soutenir qu'elle n'a pas accepté les stipulations y figurant relatives à la durée de la diffusion et, de l'autre, se prévaloir de cette même clause pour définir la fin de son engagement contractuel. L'arrêt en déduit qu'il ressort de ces éléments, et plus particulièrement de la poursuite de la diffusion du titre L'Equipe via le réseau SFR/Cafeyn après l'envoi du « Deal memo » de novembre 2020, que la société L'Equipe a, à l'évidence, accepté que les conditions contractuelles de la diffusion du quotidien L'Equipe sur le réseau SFR/Cafeyn soient fondées sur ce document.

10. L'arrêt retient ensuite que la clause relative à la durée du contrat prévoit qu'il est « renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de 12 mois sauf dénonciation par LRAR au moins 4 mois avant le terme » fixé au 31 août 2020 et qu'à l'évidence, ni le courriel du 19 mars 2021, eu égard à sa forme, ni la lettre recommandée du 16 avril 2021, aux termes de laquelle la société L'Equipe s'est limitée à proposer à la société Cafeyn une résiliation amiable soumise à l'accord des deux parties, qui a été refusée par la société Cafeyn, n'ont eu pour effet de mettre valablement fin au contrat. Il relève enfin que la lettre recommandée avec accusé de réception du 23 juin 2021 portant résiliation du contrat n'a pas été envoyée au moins quatre mois avant son terme et que la société L'Equipe a donc manifestement mis unilatéralement un terme au contrat en ce qui concerne la diffusion de son titre sur le réseau SFR/Cafeyn, au mépris des conditions convenues dans le « Deal memo ».

11. De ces énonciations, constatations et appréciations, dont elle a exactement déduit que l'exécution en connaissance de cause du contrat par la société L'Equipe établissait, avec l'évidence requise en référé, son acceptation, c'est à juste titre que la cour d'appel a retenu que la violation de la clause relative à sa durée, qu'elle n'a pas interprétée contrairement à ce qui est soutenu par la troisième branche, constituait un trouble manifestement illicite qu'il y avait lieu de faire cesser.

12. Le moyen, qui manque en fait dans sa troisième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société L'Equipe aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société L'Equipe et la condamne à payer à la société Lekiosque.fr la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société L'Equipe.

La société L'Equipe fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné à titre de mesure conservatoire la suspension des effets de la dénonciation unilatérale par la société L'Equipe suivant courrier du 23 juin 2021 du contrat la liant à la société Lekiosque.fr (Cafeyn) concernant la diffusion de ses titres sur le réseau SFR/Cafeyn, d'avoir ordonné par voie de conséquence à la société L'Equipe de poursuivre l'exécution du contrat dans les conditions définies par le "Deal Memo" du 24/25 novembre 2020, et ce jusqu'à qu'il soit éventuellement statué par un juge du fond sur la validité de sa résiliation et au plus tard jusqu'au prochain terme dudit contrat, à savoir le 31 août 2022, sauf nouvelle résiliation anticipée valable par l'une et/ou l'autre des parties et d'avoir dit que l'injonction faite à la société L'Equipe de poursuivre l'exécution du contrat est assortie d'une astreinte provisoire de 10 000 euros par jour de non-diffusion du titre l'Equipe par le canal SFR/Cafeyn qui serait directement liée à des manquements de la société L'Equipe à ses obligations contractuelles, et ce passé un délai de 8 jours à compter du caractère exécutoire du présent arrêt :

1°) ALORS QUE seul le trouble résultant d'une violation évidente d'une règle de droit est manifestement illicite ; qu'en matière contractuelle, il suppose que l'existence d'un contrat ou l'application d'une clause s'impose avec évidence ; qu'ainsi, la méconnaissance de clauses contractuelles par l'une des parties ne peut constituer un trouble manifestement illicite que le juge peut faire cesser en référé qu'à condition que ce contrat ait été formalisé ; qu'en retenant, pour considérer que l'existence d'un trouble manifestement illicite était caractérisé, que la société l'Equipe avait, à l'évidence, accepté les conditions juridiques et financières récapitulées dans le « Deal Mémo » des 24 et 25 novembre 2020, unilatéralement rédigé par la société Cafeyn, après avoir constaté qu'à la suite de cet envoi, aucun contrat cadre n'avait été formalisé par les parties, et que l'acceptation de ce contrat par la société l'Equipe ne pouvait être déduite que de son comportement postérieur à l'envoi de ce document, ce dont il résultait que l'existence de ce contrat prétendument inexécuté ne pouvait pas être établie avec l'évidence qui s'impose en référé, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 873 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE seul le trouble résultant d'une violation évidente d'une règle de droit est manifestement illicite ; qu'en matière contractuelle, il suppose que l'existence d'un contrat ou l'application d'une clause s'impose avec évidence ; qu'en retenant, pour considérer que le « Deal Mémo » des 24 et 25 novembre 2020 valait contrat dont la méconnaissance constituait un trouble manifestement illicite, que la société l'Equipe avait, à l'évidence, accepté les conditions juridiques et financières récapitulées dans le « Deal Mémo » du 25 novembre 2020, unilatéralement rédigé par la société Cafeyn, après avoir admis que cette prétendue acceptation ne pouvait résulter que du rapprochement de nombreux indices, dont aucun ne pouvait à lui seul suffire à démontrer l'existence d'un contrat, ce dont il résultait que l'existence du contrat prétendument inexécuté ne pouvait pas être établie avec l'évidence qui s'impose en référé, la cour d'appel a violé, de plus fort, l'article 873 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE l'inexécution d'un contrat ne peut constituer un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile que lorsque le juge n'est pas tenu de se livrer à une interprétation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21-25215
Date de la décision : 22/06/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 28 octobre 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 22 jui. 2022, pourvoi n°21-25215


Composition du Tribunal
Président : Mme Darbois (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SAS Hannotin Avocats, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.25215
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