LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 386 F-D
Pourvoi n° Z 21-11.307
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La Société de travaux d'assainissement et d'adduction d'eau (SOTRAE), société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Z 21-11.307 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Metz (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la commune d'[Localité 2], représentée par son maire en exercice, domicilié [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de La Société de travaux d'assainissement et d'adduction d'eau, de Me Balat, avocat de la commune d'[Localité 2], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, M. Mornet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 3 décembre 2020), selon conventions des 8 décembre 1998 et 24 mars 1999, le syndicat intercommunal des eaux du Soiron et le syndicat intercommunal d'assainissement Orne-Aval ont délégué la maîtrise d'ouvrage d'opérations de réhabilitation des réseaux d'eau potable et d'assainissement à la commune d'[Localité 2] (la commune) qui a confié ces marchés publics de travaux à la société Sotrae (la société).
2. Invoquant l'existence de désordres affectant la voirie concernée par ces travaux et d'une atteinte injustifiée à son domaine public routier, la commune a assigné la société devant le tribunal de grande instance en réparation de son préjudice. La société a soulevé, devant le juge de la mise en état, une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence, dire que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Thionville et de renvoyer l'affaire devant cette juridiction, alors « que l'attribution de compétence au juge judiciaire qui résulte de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière ne concerne que les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée, que cette contravention ait été poursuivie ou non ; qu'à ce titre, la connaissance d'une action en réparation d'un dommage causé au domaine public routier n'appartient au juge judiciaire que dans le seul cas d'existence d'une contravention à la police de la conservation de ce domaine telle que définie à l'article R. 116-2 du code de la voirie routière ; que dans les autres cas, le juge administratif est compétent pour connaître du dommage découlant de travaux publics ; qu'en l'espèce, en jugeant que le juge judiciaire était compétent pour connaître de la demande indemnitaire de la commune d'[Localité 2], fondée une prétendue contravention à la police de la conservation du domaine public routier, sans rechercher si une contravention à la police de la conservation du domaine public routier était constituée au regard des dispositions de l'article R. 116-2 du code de la voirie routière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 116-1 et R. 116-2 du code de la voirie routière, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :
4. Selon le premier de ces textes, la répression des infractions à la police de la conservation du domaine public routier est poursuivie devant la juridiction judiciaire sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence de la juridiction administrative. Selon le deuxième, seront punis d'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ceux qui, notamment, sans autorisation, auront empiété sur le domaine public routier ou accompli un acte portant ou de nature à porter atteinte à l'intégrité de ce domaine ou de ses dépendances, ainsi qu'à celle des ouvrages, installations, plantations établis sur ce domaine, occupé d'une façon non conforme tout ou partie du domaine ou de ses dépendances, effectué des dépôts ou exécuté un travail sur le domaine.
5. Il résulte des deux derniers que l'attribution de compétence au juge judiciaire qui résulte de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière ne concerne que les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée, que cette contravention ait été poursuivie ou non.
6. Pour retenir la compétence de la juridiction judiciaire, après avoir constaté que les travaux à l'origine des désordres dont la commune demande réparation, ont le caractère de travaux publics, l'arrêt retient que la commune invoque la responsabilité de la société dans l'emploi de matériaux de remblais en contravention formelle avec les dispositions du marché, de manière délibérée pour économiser de manière substantielle sur les coûts des produits mis en oeuvre, qu'il s'agit d'une faute caractérisée à l'origine du dommage causé à une dépendance du domaine public communal et constitutive d'une atteinte injustifiée à l'intégrité de ce domaine et que, dès lors que la commune se prévaut d'une faute détachable du marché de travaux publics et d'une infraction à la police de la conservation du domaine public routier, elle est recevable à agir devant la juridiction judiciaire.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher si une contravention à la police de la conservation du domaine public routier était constituée au regard des dispositions de l'article R. 116-2 du code de la voirie routière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la commune d'[Localité 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour La Société de travaux d'assainissement et d'adduction d'eau.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré mal fondées les exceptions d'incompétence soulevées par la société Sotrae, d'AVOIR dit que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Thionville, compétent pour statuer sur la demande de la commune d'[Localité 2] et d'AVOIR renvoyé l'affaire au tribunal judiciaire de Thionville ;
AUX MOTIFS QUE sur le bienfondé de l'exception d'incompétence, la juridiction administrative est compétente pour connaître des dommages de travaux publics, en cours d'exécution ou achevés, même lorsqu'ils sont réalisés ou ont été réalisés par des personnes privées et que les travaux dont s'agit sont exécutés ou ont été exécutés dans un but d'intérêt général et pour le compte d'une personne publique ; qu'en l'espèce, il est établi que l'ensemble des travaux qui sont, selon la commune d'[Localité 2], à l'origine des désordres dont elle demande réparation, ont été exécutés par la SA Sotrae pour le compte du syndicat intercommunal des eaux du Soiron et du syndicat intercommunal d'assainissement Orne-Aval, selon un contrat de marché public de travaux du 30 novembre 1999 ; qu'il s'agit de travaux exécutés dans un but d'intérêt général pour le compte ou dans l'intérêt d'une personne publique, ce dont il résulte qu'ils ont bien le caractère de travaux publics relevant de la juridiction de l'ordre administratif ; que mais la commune d'[Localité 2] a saisi le tribunal de grande instance de Thionville, sur le fondement des dispositions des articles 1382 et suivants anciens du code civil et 1240 et suivants nouveaux de ce code et L. 116-6 et suivants du code de la voirie routière, en invoquant dans son assignation introductive d'instance « la responsabilité de la défenderesse dans l'emploi de matériaux de remblais en contravention formelle avec les dispositions du marché » et en indiquant notamment : « la fourniture et l'emploi de ces matériaux a été faite de manière délibérée pour "économiser" de manière substantielle sur les coûts des produits mis en oeuvre, ce qui est constitutif d'un dol. / Il s'agit donc d'une faute caractérisée, à caractère délictuel ou quasi délictuel, à l'origine du dommage causé à une dépendance du domaine public communal et constitutive d'une atteinte injustifiée à l'intégrité du domaine affecté à la circulation générale, ce qui justifie la réparation demandée et que l'expert avait chiffré sauf à parfaire à 500 950,31 frais d'expertise inclus, soit 601 140,37 €? Toute atteinte au domaine public communal et tout fait susceptible d'en compromettre l'intégrité matérielle et de le rendre impropre à sa destination constitue une contravention de voirie, en l'occurrence, s'agissant du domaine public routier, d'une contravention de petite voirie. L'article L. 116-6 du code de la voirie routière al. 1 précise que "l'action en réparation de l'atteinte portée au domaine public routier? est imprescriptible". Si l'action pénale se prescrit comme en matière de contravention, l'action en réparation est pour sa part imprescriptible, et peut être exercée sur le fondement de droit commun des art. 1382 et s. du c. civ. » ; que la commune d'[Localité 2], dès lors qu'elle prétend, ainsi qu'il ressort de ce qui précède, à l'existence d'une faute détachable du marché de travaux publics et d'une infraction à la police de la conservation du domaine public routier relevant de l'appréciation du juge judiciaire et à la réparation de leurs conséquences dommageables, est recevable à agir devant le juge civil ; que c'est à tort que le juge de la mise en état a fait droit à l'exception d'incompétence, en portant une appréciation sur la faute et l'infraction alléguées par la commune d'[Localité 2], alors qu'il appartenait au seul juge du fond de dire si les faits que celle-ci reproche à la SA Sotrae sont susceptibles de constituer une faute détachable du marché de travaux public et/ou une infraction à la police de la conservation du domaine public routier et d'en déterminer, le cas échéant, les conséquences dommageables ; que l'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée, en ce qu'elle a déclaré l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la SA Sotrae bien fondée ; qu'aux termes de l'article 46 du code de procédure civile, en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre le juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; que la commune d'[Localité 2] agissant sur le fondement des dispositions des articles 1382 et suivants anciens du code civil et 1240 et suivants nouveaux de ce code et L. 116-6 et suivants du code de la voirie routière, et la SA Sotrae ayant son siège social dans le ressort du tribunal judiciaire de Thionville, il convient de déclarer la SA Sotrae mal fondée en ses exceptions d'incompétence, de les rejeter et de dire que l'instance se poursuivre devant le tribunal judiciaire de Thionville, compétent pour statuer sur la demande de la commune d'[Localité 2] ;
1) ALORS QUE le juge administratif est seul compétent pour connaître des demandes en réparation de dommages de travaux publics, que ces demandes soient adressées à la collectivité maître de l'ouvrage, à l'entrepreneur ou à un sous-traitant ; qu'en jugeant que le juge judiciaire était compétent pour connaître de la demande formée par la commune d'[Localité 2], après avoir pourtant constaté qu'elle tendait à la réparation de désordres résultant de travaux publics, effectués dans le cadre d'un marché public de travaux conclu avec la société Sotrae, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2) ALORS QUE l'attribution de compétence au juge judiciaire qui résulte de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière ne concerne que les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée, que cette contravention ait été poursuivie ou non ; qu'il appartient dès lors au requérant de caractériser l'existence d'une contravention au regard des dispositions de l'article R. 116-2 du code de la voirie routière et au juge saisi de s'en assurer ; qu'en jugeant d'une part, que le juge de la mise en état avait à tort fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société Sotrae en portant une appréciation sur l'infraction alléguée par la commune d'[Localité 2] et, d'autre part, que le juge judiciaire était compétent pour connaître de la demande formée par la commune d'[Localité 2] dès lors que la commune prétendait à l'existence d'une infraction à la police de la conservation du domaine public routier, quand la contravention alléguée devait être constituée, ce qu'il appartenait au juge de vérifier, la cour d'appel a violé l'article L. 116-1 du code de la voirie routière, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
3) ALORS QUE l'attribution de compétence au juge judiciaire qui résulte de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière ne concerne que les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée, que cette contravention ait été poursuivie ou non ; qu'à ce titre, la connaissance d'une action en réparation d'un dommage causé au domaine public routier n'appartient au juge judiciaire que dans le seul cas d'existence d'une contravention à la police de la conservation de ce domaine telle que définie à l'article R. 116-2 du code de la voirie routière ; que dans les autres cas, le juge administratif est compétent pour connaître du dommage découlant de travaux publics ; qu'en l'espèce, en jugeant que le juge judiciaire était compétent pour connaître de la demande indemnitaire de la commune d'[Localité 2], fondée une prétendue contravention à la police de la conservation du domaine public routier, sans rechercher si une contravention à la police de la conservation du domaine public routier était constituée au regard des dispositions de l'article R. 116-2 du code de la voirie routière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
4) ALORS QUE l'attribution de compétence au juge judiciaire qui résulte de l'article L. 116-1 du code de la voirie routière ne concerne que les cas dans lesquels une contravention à la police de la conservation du domaine public routier est constituée, que cette contravention ait été poursuivie ou non ; qu'à ce titre, la connaissance d'une action en réparation d'un dommage causé au domaine public routier n'appartient au juge judiciaire que dans le seul cas d'existence d'une contravention à la police de la conservation de ce domaine telle que définie à l'article R. 116-2 du code de la voirie routière ; que dans les autres cas, le juge administratif est compétent pour connaître du dommage découlant de travaux publics ; qu'en l'espèce, en jugeant que le juge judiciaire était compétent pour connaître de la demande indemnitaire de la commune d'[Localité 2], quand cette demande tendait à la réparation de désordres résultant de travaux publics entrepris dans le cadre d'un marché public de travaux publics et qu'aucune infraction à la police de conservation du domaine public routier au sens de l'article R. 116-2 du code de la voirie routière n'était caractérisée ou même simplement alléguée, la cour d'appel a violé l'article L. 116-1 du code de la voirie routière, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.