CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 avril 2022
Rejet non spécialement motivé
Mme TEILLER, président
Décision n° 10210 F
Pourvoi n° N 20-17.893
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
Mme [P] [J], épouse [S], domiciliée [Adresse 11], a formé le pourvoi n° N 20-17.893 contre l'arrêt rendu le 6 mars 2020 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ au GAEC [S], dont le siège est [Adresse 11],
2°/ à la société [X] [T], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [X] [T], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Kerneo,
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations écrites de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [J], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [X] [T], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [J]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la demande en paiement de la SCI Kernéo recevable, d'avoir dit n'y avoir lieu à déchéance du droit du prêteur aux intérêts, d'avoir condamné Mme [S] à payer à la Selarl [T], ès-qualités de liquidateur de la SCI Kernéo, une somme de 443.316,26 euros, avec intérêts de retard au taux de 6% l'an à compter du 1er janvier 2010 et capitalisation de ceux-ci par année entière du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2019, et d'avoir rejeté les demandes de mainlevée, de caducité, d'annulation et de réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire ;
Aux motifs que sur la caducité des inscriptions d'hypothécaire judiciaire, pour prétendre à la caducité des inscriptions d'hypothèque judiciaire, Mme [S] fait valoir qu'en méconnaissance de l'article 2412 du code civil, la SCI ne pouvait, sur la base d'un acte notarié, procéder à des inscriptions d'hypothèque judiciaire définitives et qu'après ses inscriptions provisoires, elle aurait dû l'assigner au fond pour obtenir un jugement ; qu'il résulte cependant des articles L. 111-3, L. 511-2, L. 531-1 et R. 531-1 du code des procédures civiles d'exécution que le créancier se prévalant d'un acte notarié revêtu de la formule exécutoire peut faire procéder à une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire sans autorisation préalable du juge de l'exécution, qu'aux termes des articles R. 532-5 et R. 532-6, cette mesure de sûreté doit être dénoncée dans les huit jours au débiteur qui peut en demander la mainlevée au juge de l'exécution jusqu'à l'inscription définitive d'hypothèque qui ne peut intervenir moins d'un mois après cette signification, et que, selon les articles R. 533-1 et R. 533-4 § 2°, la publicité définitive confirmant l'inscription provisoire doit être effectuée dans les deux mois courant à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la signification de cette inscription provisoire ; qu'il s'en évince qu'agissant en vertu de l'acte notarié des 23 et 26 janvier 2004, la SCI pouvait faire procéder à des inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire sans autorisation du juge de l'exécution, puis, en vertu de ce même acte, confirmer ces inscriptions par des inscriptions définitives sans avoir à saisir le juge du fond ; qu'étant rappelé que la SCI a fait procéder aux inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire le 11 avril 2011, que ces inscriptions ont été dénoncées aux époux [S] par acte du 19 avril 2011, que Mme [S] n'a pas saisi le juge de l'exécution d'une demande de mainlevée de ces inscriptions provisoires, et que les inscriptions définitives ont été effectuées le 1er juin 2011, le créancier s'est conformé aux textes précités, de sorte qu'il n'y a lieu à caducité des inscriptions ;
ALORS D'UNE PART QUE, un créancier ne peut faire procéder à une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sans autorisation préalable du juge de l'exécution que pour autant qu'il se fonde sur un titre exécutoire, lequel ne peut consister en un acte authentique que s'il est revêtu de la formule exécutoire; qu'en se bornant à relever, pour écarter la caducité des inscriptions d'hypothèque judiciaire prises par la SCI Kernéo, que cette dernière n'avait pas à obtenir l'autorisation du juge de l'exécution dès lors qu'elle avait fait procéder à ces inscriptions en vertu d'un acte notarié des 23 et 26 janvier 2004, sans constater que cet acte authentique comportait une formule exécutoire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 3 4° et 68 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991, devenus les articles L.111-3 et L.511-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
ALORS D'AUTRE PART QUE, à peine de caducité de la mesure conservatoire, le créancier doit, dans les huit jours de l'inscription provisoire d'une hypothèque, en informer ses débiteurs, par un acte d'huissier de justice adressé à chacun d'eux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que la SCI Kernéo avait fait procéder à des inscriptions d'hypothèque en vertu d'un acte notarié des 23 et 26 janvier 2004 aux termes duquel M. et Mme [S] étaient désignés comme étant, chacun, emprunteur ; qu'en considérant qu'il n'y avait pas lieu au prononcé de la caducité de l'inscription d'hypothèque judiciaire prise par la SCI Kernéo dès lors qu'elle l'avait dénoncée aux époux [S] par acte du 19 avril 2011, quand il lui appartenait de les en informer chacun, par acte séparé, la cour d'appel a violé l'article 255 du décret n°92-755 du 31 juillet 1992 devenu l'article R.532-5 du code des procédures civiles d'exécution ;
ALORS ENFIN QUE sous couvert d'interprétation, les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant, pour écarter la caducité des inscriptions d'hypothèque judiciaire prises par la SCI Kernéo au titre d'une créance détenue à l'encontre de M. et Mme [S], co-emprunteurs, qu'elles leur avaient été dénoncées par acte du 19 avril 2011, quand ce document mentionne que cet acte n'a été signifié qu'à Mme [S], la cour d'appel a violé l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la demande en paiement de la SCI Kernéo recevable, d'avoir dit n'y avoir lieu à déchéance du droit du prêteur aux intérêts, d'avoir condamné Mme [S] à payer à la Selarl [T], ès-qualités de liquidateur de la SCI Kernéo, une somme de 443.316,26 euros, avec intérêts de retard au taux de 6% l'an à compter du 1er janvier 2010 et capitalisation de ceux-ci par année entière du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2019, et d'avoir rejeté les demandes de mainlevée, de caducité, d'annulation et de réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire ;
Aux motifs que, sur la prescription, il est constant devant la cour que l'acte des 23 et 26 janvier 2004 est un contrat de prêt ; que n'étant pas destiné à financer une acquisition ou des travaux immobiliers, et excédant le plafond de 21 500 euros prévu par les articles L. 311-3 et D. 311-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause, cette opération de crédit ne se trouvait pas soumise aux dispositions de ce code, notamment à la forclusion biennale de l'article L. 311-37 alors en vigueur ; que d'autre part, l'action de la SCI n'étant pas dirigée contre une consommatrice pour des biens ou services qu'elle lui aurait fournis au titre de son activité professionnelle, la prescription biennale de l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation n'est pas applicable ; que les poursuites ainsi que la demande en paiement des sommes dues au titre de ce prêt se trouvent par conséquent soumises au délai de prescription de droit commun, de trente ans prévu par l'article 2262 ancien du code civil ramené à cinq ans par l'article 2224 issu de la loi du 17 juin 2008 ; qu'il est par ailleurs de principe qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des échéances impayées se prescrit à compter de leurs dates d'exigibilité successives, l'action en paiement du capital dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité, à moins que l'exécution du contrat ne soit allé jusqu'à son terme ; et qu'il est aussi de principe que, lorsque le créancier et le débiteur sont convenus que les intérêts à échoir se capitaliseront à la fin de chaque année pour produire eux-mêmes intérêts, ils constituent non plus des intérêts mais un nouveau capital qui s'ajoute à l'ancien, de sorte que la prescription applicable n'est plus celle de l'article 2277 du code civil dans sa rédaction en vigueur avant la loi du 17 juin 2008, mais la prescription trentenaire, ramenée à cinq ans par cette loi ; qu'en l'occurrence, le contrat de prêt des 23 et 26 janvier 2004 stipule que l'emprunteur s'engage à rembourser le montant du prêt de 312.520,49 euros dans un délai de six ans à compter du 1er janvier 2004, soit au plus tard le 31 décembre 2009, que, jusqu'à son remboursement total, le prêt serait productif d'intérêts au taux de 6 % l'an payables annuellement à compter du 1er janvier 2005, et que tous intérêts échus et non payés se capitaliseront de plein droit par années entières et produiront eux-mêmes intérêts ; que Mme [S] prétend que cette clause de capitalisation serait nulle parce qu'interdite dans les prêts consentis à des particuliers, mais, s'il est exact que la capitalisation des intérêts de retard est prohibée pour les prêts soumis au code de la consommation, il a été précédemment relevé que l'opération de crédit litigieuse se trouve exclue du champ d'application des prêts régis par le code de la consommation ; que du fait de l'existence de cette clause, les échéances d'intérêts du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2009, devenues un nouveau capital, ne se trouvaient pas soumises à la prescription quinquennale de l'article 2277 ancien du code civil, mais à la prescription de droit commun, comme l'échéance en capital du 31 décembre 2009 qui n'a jamais été déchue de son terme ; qu'en effet, il était convenu entre les parties que le montant du prêt ne deviendrait, en cas de défaillance de l'emprunteur dans son obligation de paiement des échéances, immédiatement exigible « qu'un mois après commandement de payer demeuré infructueux et contenant déclaration par le prêteur de son intention d'user du bénéfice de la clause », ce que la SCI n'a jamais fait ; qu'il résulte de ce qui précède que le délai de prescription de l'action en paiement de la SCI est venu à expiration : le 17 juin 2013 pour des annuités du 1er janvier 2005 au 1er janvier 2008, le 1er janvier 2014 pour l'annuité du 1er janvier 2009, le 31 décembre 2009 [en réalité 2014] pour l'échéance en capital et intérêts du 31 décembre 2009 ; que cependant, la prescription a été interrompue par l'acte de dénonciation d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire du 19 avril 2011 ; qu'en effet, aux termes de l'article 71 de la loi du 9 juillet 1991 alors en vigueur, la notification au débiteur de l'exécution d'une mesure conservatoire interrompt la prescription de la créance cause de cette mesure ; qu'un nouveau délai de cinq ans a donc recommencé à courir à compter du 19 avril 2011, si bien que la créance de la SCI, dont la demande en paiement a été formée par conclusions du 16 janvier 2014, n'est prescrite en aucune de ses composantes ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement attaqué et de déclarer les demandes de la SCI recevables ;
ALORS QUE lorsque l'inscription d'hypothèque provisoire est fondée sur une reconnaissance de dettes notariée détenue à l'égard de plusieurs emprunteurs, l'interruption du délai de prescription de la créance résultant de la dénonciation au débiteur de cette inscription exige qu'elle ait été signifiée à chacun d'eux ; qu'en l'espèce, par acte du 14 avril 1991, la SCI Kernéo a pris une inscription d'hypothèque provisoire sur diverses parcelles appartenant à M. et Mme [S] en vertu d'un acte authentique de reconnaissance de dette en date des 23 et 26 janvier 2004 les désignant comme coemprunteurs ; qu'en jugeant que la dénonciation d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire effectuée le 19 avril 2011 par un seul acte d'huissier avait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription de l'action en paiement de la SCI Kernéo, qui selon ses propres constatations venait à expiration le 17 juin 2013 pour les annuités du 1er janvier 2005 au 2008, le 1er janvier 2014 pour l'annuité du 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2014 pour l'échéance en capital et intérêts du 31 décembre 2009, quand la créancière, qui se prévalait d'une créance à l'égard de M. et de Mme [S], n'avait fait délivrer qu'un seul acte de dénonciation, lequel n'avait été signifié qu'à Mme [S], la cour d'appel a violé l'article 71 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la demande en paiement de la SCI Kernéo recevable, d'avoir dit n'y avoir lieu à déchéance du droit du prêteur aux intérêts, d'avoir condamné Mme [S] à payer à la Selarl [T], ès-qualités de liquidateur de la SCI Kernéo, une somme de 443.316,26 euros, avec intérêts de retard au taux de 6% l'an à compter du 1er janvier 2010 et capitalisation de ceux-ci par année entière du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2019, et d'avoir rejeté les demandes de mainlevée, de caducité, d'annulation et de réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire ;
Aux motifs que, sur la validité et la portée des inscriptions d'hypothèque judiciaire, pour conclure à l'annulation des inscriptions d'hypothèque judiciaire en ce qu'elles portent sur des biens de communauté, Mme [S] soutient qu'à défaut de mention expresse de l'acte de prêt, les époux emprunteurs, mariés sous le régime légal de communauté, n'ont pu engager les biens communs mais seulement leurs biens propres ; qu'il résulte à cet égard de l'article 1415 du code civil que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un emprunt, à moins que celui-ci n'ait été contracté avec le consentement exprès de l'autre conjoint ; que cependant, aux termes de l'acte des 23 janvier et 26 janvier 2004, il est stipulé que les époux [S] seront tenus solidairement, et, s'étant engagés dans les mêmes termes à rembourser la même dette née du prêt conclu au surplus solidairement entre eux, ils ont nécessairement engagé les biens communs ; que par ailleurs, pour conclure à la réduction de ces inscriptions d'hypothèque judiciaire, Mme [S] prétend que les affectations hypothécaires conventionnelles, prises en vertu des actes des 23 et 23 janvier 2004 et 29 octobre 2004, auraient dû suffire à garantir le bon remboursement de la créance, et que la mesure conservatoire supplémentaire serait superflue ; qu'il résulte à cet égard de l'article 2444 du code civil que le débiteur peut réclamer la réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire lorsque celles-ci sont excessives, et qu'elles sont réputées telles lorsqu'elles grèvent plusieurs immeubles dont la valeur de quelques-uns d'entre eux excède une somme égale au double du montant de la créance en principal et accessoires augmenté du tiers ; mais que Mme [S] ne fournit aucun élément de nature à démontrer qu'eu égard au montant de la créance de la SCI en principal et intérêts, et à la valeur des biens affectés en hypothèque conventionnelle, il y aurait lieu de réduire les inscriptions d'hypothèque judiciaire ;
ALORS QUE, la solidarité ne se présume pas et doit être expresse ; qu'en se bornant à relever, pour considérer que la mesure conservatoire prise par la SCI Kernéo avait pu porter sur les parcelles YR [Cadastre 10], [Cadastre 1] et [Cadastre 9], biens communs aux époux [S], que s'étant engagés dans l'acte authentique des 23 et 26 janvier 2004 dans les mêmes termes à rembourser la même dette née du prêt conclu au surplus solidairement entre eux, ils avaient nécessairement engagé leurs biens communs, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions récapitulatives d'appel de Mme [S], p. 12), si en affectant dans ce même acte les seules parcelles YR [Cadastre 2], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] en remboursement de la somme de 152 449,02 €, les époux [S] n'avaient pas entendu limiter à ces biens communs leur solidarité, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1202, devenu 1310, du code civil.