CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 décembre 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 10692 F
Pourvoi n° J 19-24.947
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2021
1°/ la société Guyon Daval, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société LC,
2°/ la société LC, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], représentée par son liquidateur judiciaire la société Guyon-Daval,
3°/ Mme [M] [E], épouse [S], domiciliée [Adresse 3],
4°/ M. [V] [S], domicilié [Adresse 3],
5°/ Mme [L] [S], épouse [B], domiciliée [Adresse 2],
tous trois agissants en qualité d'ayant droit de [W] [S],
ont formé le pourvoi n° J 19-24.947 contre l'arrêt rendu le 3 septembre 2019 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de la société Guyon Daval, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société LC, de la société LC, de Mme [E], M. [S] et de Mme [S], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, M. Besson, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Guyon Daval agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société LC, Mme [E], épouse [S], M. [S], Mme [S], épouse [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société Guyon Daval, la société LC, de Mme [E], épouse [S], M. [S] et Mme [S], épouse [B]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté l'Eurl LC, représentée par son liquidateur judiciaire la SCP Guyon-Duval, de sa demande tendant à la condamnation de la société Axa France à lui payer la somme de 169.400 € au titre de l'indemnisation de la valeur vénale du fonds de commerce ;
AUX MOTIFS QUE la société Axa France Assurances explique qu'en exécution de la police signée par la gérante de la société, la valeur vénale du fonds de commerce n'était pas garantie en cas de cessation de l'activité, cette stipulation, habituelle dans ce type de contrats, valablement acceptée par le souscripteur n'étant pas entachée de nullité et constituant le périmètre de la garantie, laquelle est exclue dès lors que la poursuite de l'activité n'a jamais été envisagée, que le bail commercial a été résilié en vertu de l'article 1722 du code civil et que les consorts [S] n'ont évoqué que très opportunément plusieurs années après le sinistre leur volonté d'une reprise de l'activité ; que les appelants font pour leur part grief au jugement déféré d'avoir omis de statuer sur la nullité de la clause d'exclusion de garantie fondée sur l'article 1170 du code civil et en poursuivent le prononcé à hauteur de cour, considérant qu'en plus d'être rédigée en caractères peu apparents et de façon non formelle et limitée, elle prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur et doit donc être réputée non écrite ; qu'ils rappellent en outre que le fonds de commerce était assuré contre le risque incendie et que le paragraphe 2.2 des conditions générales stipulait une garantie de la valeur vénale du fonds en cas de perte totale de celui-ci, arguant que les dispositions particulières contenant l'exclusion litigieuse ne sont pas opposables à l'assurée, faute d'avoir été signées par sa gérante ;
qu'en premier lieu, il n'est pas contestable que les conditions générales invoquées par une partie n'ont d'effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ; qu'en l'espèce la société Axa France Assurances verse aux débats l'original du contrat nº 3666586604 « conditions particulières multirisque professionnelle » signé le 15 mai 2012 par [W] [S], gérante de la société, qui porte la mention suivante figurant en caractères très apparents, en tête de contrat : « Ces conditions particulières jointes aux conditions générales 690200J et à la notice d'information responsabilité civile dans le temps 490009 dont le souscripteur reconnaît avoir reçu un exemplaire, constituent le contrat d'assurance » ; que dans ces conditions, et alors que chaque rubrique figurant aux conditions particulières et notamment celle relative à la perte de valeur vénale, renvoie à un article (en l'occurrence l'article 2.2) des conditions générales, il ne peut être sérieusement soutenu que lesdites conditions ne sont pas opposables à l'assurée, alors que sa gérante en a nécessairement pris connaissance ou, à tout le moins, a été mise en mesure de le faire par l'assureur, lors de la souscription ; que l'article 2.2 des conditions générales portant sur la perte de la valeur totale du fonds prévoit, en complément des exclusions communes, une exclusion de cette garantie en cas de « cessation définitive de votre activité » ; que si l'article 1170 du code civil, invoqué par les appelants, dispose que toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, il ne peut être valablement argué de ce que l'exclusion de la garantie « valeur vénale du fonds de commerce » serait de nature à neutraliser totalement l'engagement de l'assureur à garantir la société et à priver économiquement la police souscrite de toute raison d'être, dès lors qu'elle demeurait assurée de son préjudice matériel, déjà indemnisé en l'occurrence, et de la perte de la valeur vénale du fonds en cas de poursuite de l'activité commerciale, sinon dans les lieux sinistrés, à tout le moins en un autre lieu ; que par ailleurs si l'article L. 112-4 du code des assurances dispose que les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents, tel est le cas de la clause d'exclusion litigieuse, puisque celle-ci figurant dans le cours de l'article 2.2 est insérée dans un bandeau grisé, appelant l'attention du souscripteur, rédigée en caractères gras et son titre en caractères gras également étant d'une police de format supérieur en ces termes : « En complément des exclusions communes, n'est pas garantie la perte de valeur résultant : - d'une grève de votre personnel, - d'un retard qui vous serait imputable dans la reprise de votre activité, - de la cessation définitive de votre activité » ; que cette clause est parfaitement circonscrite et d'un champ d'application limité tout en étant dépourvue d'ambiguïté ; que, par ailleurs, si les appelants prétendent d'une part que la cessation définitive de l'activité n'est pas démontrée en l'espèce et que cette notion ne peut se confondre avec une cessation temporaire du fait du sinistre et du décès de la gérante et, d'autre part, que l'impossibilité de la reprise d'activité incombe à l'assureur et à sa résistance à garantir son assurée dans les termes du contrat, encore faudrait-il qu'un repreneur se soit manifesté auprès de l'administrateur provisoire afin d'envisager dès après le sinistre l'indemnisation de la valeur vénale du fonds de commerce pour l'assureur et les modalités d'exercice de l'activité poursuivie et notamment le nouveau lieu d'établissement pour l'administrateur provisoire ; qu'il a été démontré qu'interrogé par la SCP Laureau-Jeannerot, les ayant-droits de [W] [S] ont répondu qu'ils n'étaient pas intéressés par la poursuite de l'activité de la société de la défunte jusqu'à ce que très opportunément, plus de trois ans après le sinistre et connaissance prise de la clause d'exclusion litigieuse, ils ne se manifestent pour invoquer une intention contraire ; qu'il suit de là qu'ensuite du décès de la gérante et de l'absence de repreneur de l'activité, la cessation définitive de l'activité de la société est acquise en l'espèce et que c'est à bon droit que la société Axa France Assurances a opposé une exclusion de garantie alors que dans le même temps aucun des griefs articulés par les appelants à l'encontre de cette clause n'est opérant ; que le jugement déféré qui a débouté la société dûment représentée, de sa demande d'indemnisation au titre de la valeur vénale du fonds de commerce doit être confirmé de ce chef ;
ALORS QU' on ne peut interpréter les clauses claires et précises d'un contrat à peine de dénaturation et que les juges ne peuvent dénaturer les documents qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, les conditions particulières de la police d'assurance souscrite par l'Eurl LC auprès de la compagnie Axa (p. 4) prévoit l'indemnisation de la perte de la valeur vénale du fonds de commerce dans la limite de 181.728 €, l'article 2.2 des conditions générales de la police d'assurance précisant que la perte totale du fonds de commerce est indemnisée par la société Axa, sauf en cas de cessation définitive de l'activité de l'assuré ; qu'en considérant que la société Axa France Assurances était fondée à opposer à l'Eurl LC représentée par son liquidateur judiciaire la clause d'exclusion relative à la cessation d'activité de l'assurée, au motif que, pour que la garantie soit acquise, encore fallait-il « qu'un repreneur se soit manifesté auprès de l'administrateur provisoire afin d'envisager dès après le sinistre l'indemnisation de la valeur vénale du fonds de commerce pour l'assureur et les modalités d'exercice de l'activité poursuivie et notamment le nouveau lieu d'établissement pour l'administrateur provisoire » (arrêt attaqué, p. 6 in fine), cependant que cette intervention d'un repreneur « dès après le sinistre » n'était nullement exigée par le contrat d'assurance, de sorte que la volonté des consorts [S] de reprendre l'activité de l'Eurl LC devait être prise en considération même si elle ne s'était pas exprimée « dès après le sinistre », la cour d'appel a ajouté à la clause d'exclusion de garantie une condition qu'elle ne comporte pas et a violé tout à la fois l'article 1192 du code civil et le principe selon lequel il est interdit aux juges de dénaturer les écrits soumis à leur examen.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté l'Eurl LC, représentée par son liquidateur judiciaire, la SCP Guyon-Duval, de sa demande tendant à la condamnation de la société Axa France à lui payer les sommes de 101.100 € au titre de la perte de chance de dégager des bénéfices durant les cinq années ayant suivi l'incendie, 50.000 € au titre de la mise en liquidation judiciaire de la société et 20.000 € au titre du retard d'indemnisation de la valeur du fonds de commerce ;
AUX MOTIFS QUE la société Axa France Assurances soutient que son règlement à hauteur de la somme de 43.103 € est satisfactoire puisque égal à la dernière estimation du préjudice réalisée par le cabinet Jacquemet sans pour autant s'opposer à une éventuelle expertise sur ce point, sachant toutefois qu'il ne reste plus aucun bien à évaluer sur site ; qu'elle estime pour le surplus les demandes d'indemnisation adverses fondées sur la perte de chance d'exploitation et le préjudice de liquidation judiciaire totalement déconnectées de la réalité juridique et factuelle ; que la société sollicite au-delà de sa demande d'indemnisation de la perte de la valeur vénale du fonds de commerce à hauteur de 169.400 €, la condamnation de son assureur à lui verser les sommes de 101.100 € au titre de la perte de chance de dégager des bénéfices durant les cinq années ayant suivi l'incendie, 50.000 € au titre de la mise en liquidation judiciaire de la société, et 20.000 € au titre du retard d'indemnisation de la valeur du fonds de commerce ; que l'indemnisation d'un préjudicie lié au retard de versement de l'indemnité due au titre de la valeur vénale du fonds de commerce ne saurait prospérer, dès lors qu'il a été précédemment démontré que ce poste de préjudice n'était pas garanti par la société Axa France Assurances en raison de la clause d'exclusion applicable en cas de cessation définitive de l'activité commerciale ; que les appelants ne sauraient dans ces conditions prétendre que le refus opposé par la société Axa France Assurances à la demande d'indemnisation de la valeur vénale du fonds de commerce aurait conduit à une liquidation judiciaire, qui serait imputable à l'assureur ; que pour les mêmes motifs il ne saurait être imputé à l'intimée une quelconque perte de chance au titre de bénéfice sur une durée arbitrairement fixée à cinq ans postérieurement au sinistre ; que la société sera déboutée de ses demandes au titre de ces divers préjudices, de même que de sa demande d'expertise à l'effet d'évaluer le préjudice lié à la valeur du fonds de commerce et à la perte de chance ;
ALORS QUE la cassation qui interviendra sur le premier moyen de cassation, qui critique le chef de dispositif de l'arrêt attaqué déboutant l'Eurl LC, représentée par son liquidateur judiciaire, de sa demande tendant à la condamnation de la société Axa France à l'indemniser au titre de la valeur vénale du fonds de commerce, entraînera, par voie de conséquence, l'annulation du chef de dispositif de l'arrêt attaqué déboutant l'Eurl LC, représentée par son liquidateur judiciaire, de ses autres demande indemnitaires pour la raison que le poste de préjudice « perte de la valeur vénale du fonds de commerce » n'était pas garanti par la société Axa France, par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile.