LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er décembre 2021
Cassation partielle
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 840 F-D
Pourvoi n° C 19-22.135
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER DÉCEMBRE 2021
M. [G] [Y], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° C 19-22.135 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2019 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à M. [Z] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [E], et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2021 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 juin 2019), M. [E] a acquis un fonds de commerce, appartenant notamment à M. [Y]. Cet acte contenait une interdiction pour le cédant de se rétablir dans un rayon de cinq kilomètres du lieu d'exploitation du fonds cédé, pendant une durée de cinq années à compter du jour de l'entrée en jouissance du cessionnaire, fixé au 1er juin 2012.
2. Soupçonnant M. [Y] de participer activement à l'exploitation d'un fonds de commerce similaire, M. [E] l'a assigné en violation de la clause de non-rétablissement et en indemnisation de son préjudice. A titre reconventionnel, M. [Y] a demandé le rejet des rapports d'enquête privée versés aux débats par M. [E] au soutien de ses demandes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. M. [Y] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il l'a condamné à verser à M. [E] la somme de 3 160 euros avec intérêts à titre de remboursement des frais de détective privé et, l'infirmant pour le surplus, de le condamner à verser à M. [E] la somme de 99 171 euros avec intérêts, à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 3 000 euros avec intérêts, à titre de remboursement des frais d'expertise privée, alors :
« 1°/ que chacun a le droit au respect de sa vie privée ; qu'en se bornant à relever, pour refuser d'écarter des débats les deux rapports d'enquête privée produits par M. [E], qu'un tel procédé n'était "ni déloyal ni disproportionné" car le détective avait "utilisé une méthode de travail non intrusive" et avait "parfaitement respecté la vie privée" de M. [Y] et de sa compagne, dès lors qu'il avait "limité ses investigations dans le temps et dans l'espace", sans rechercher si la filature, dont elle constatait elle-même qu'elle avait en tout duré six mois, n'avait pas porté atteinte à leur vie privée en ce que le détective les avaient épiés et suivis du matin au soir, jusqu'à leur domicile dont il avait indiqué l'adresse, rapportant leurs faits et gestes et leurs moindres déplacements y compris d'ordre privés et en ce qu'il avait pris, à leur insu, six photographies de la compagne de M. [Y] et de ses employés, six photographies de M. [Y] et deux photographies de son véhicule quittant son domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en se bornant à relever, pour refuser d'écarter des débats les deux rapports d'enquête privée produits par M. [E], qu'ils étaient "particulièrement éclairants quant au rôle réel tenu par M. [Y] dans la gestion du fonds de commerce" de sa compagne, sans caractériser que ces rapports d'enquête étaient indispensables à l'exercice du droit de la défense de M. [E], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles 9 du code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
4. D'une part, après avoir constaté que le détective privé avait procédé à une surveillance de l'établissement concurrent de celui de M. [E] durant deux périodes distinctes, un mois en janvier 2016 puis cinq mois de janvier à mai 2017, et qu'il avait ainsi limité ses investigations dans le temps et l'espace, l'arrêt retient qu'ayant parfaitement respecté la vie privée des personnes objets de sa surveillance, le détective privé a utilisé une méthode non intrusive.
5. D'autre part, après avoir analysé le contenu des rapports d'enquête privée, l'arrêt retient qu'ils sont particulièrement éclairants quant au rôle réel tenu par M. [Y] dans la gestion du fonds de commerce.
6. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que les conditions de la surveillance privée de l'établissement concurrent n'avaient pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée de M. [Y] et que la production de ces pièces était nécessaire à la préservation des droits de M. [E], la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. M. [Y] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge ne peut se fonder exclusivement sur un rapport établi à la suite d'une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties ; qu'en se fondant exclusivement sur le rapport d'expertise privée établi par M. [W] en cours d'instance à la demande de M. [E], pour retenir l'existence d'une baisse de son chiffre d'affaire en lien de causalité avec le manquement imputé à M. [Y] et le condamner, en conséquence, à verser à M. [E] la somme de 99 171 euros, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
9. Il résulte de ce texte que, si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties.
10. Pour évaluer le préjudice de M. [E], l'arrêt se fonde exclusivement sur le rapport d'expertise amiable, établi non contradictoirement à sa demande et produit en cause d'appel, qui est contesté par M. [Y].
11. En statuant ainsi, sans fonder sa décision sur d'autres éléments du débat ou de preuve, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne M. [Y] à payer à M. [E] la somme de 99 191 euros à titre de dommages-intérêts et, y ajoutant, le condamne à payer la somme de 3 000 euros à titre de remboursement des frais d'expertise privée, chacune avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne M. [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [E] et le condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [Y].
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté que M. [Y] avait commis une faute contractuelle en relation causale avec le préjudice subi par M. [E] d'AVOIR, en conséquence, confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait condamné M. [Y] à verser à M. [E], la somme de 3 160 euros avec intérêts légaux à compter de la date de l'assignation, à titre de remboursement des frais de détective privé et, l'infirmant pour le surplus, d'AVOIR, condamné M. [Y] à verser à M. [E] la somme de 99 171 euros avec intérêt légaux à compter de la date de l'arrêt, à titre de dommages et intérêt et d'AVOIR, condamné M. [Y] à verser à M. [E] la somme de 3 000 euros avec intérêt légaux à compter de la date de l'arrêt, à titre de remboursement des frais d'expertise privée ;
AUX MOTIFS QUE sur la violation de la clause de non-rétablissement ; qu'à titre liminaire, il convient d'approuver le premier juge en ce qu'il a rejeté la demande de M. [G] [Y] visant à voir écarter des débats les rapports établis par le Groupement de Recherche et d'investigation sur les périodes de janvier 2016 et de janvier à mai 2017 ; que, c'est en effet à tort qu'en page deux de ses conclusions l'intimé utilise l'épithète "stipendié" pour tenter de discréditer les investigations menées par ce groupement, certes en contrepartie d'une rémunération versée par le demandeur, le recours par le cessionnaire aux services d'un détective privé, pour mettre en évidence les éventuels manquements du cédant à son obligation résultant de la clause de non-rétablissement contenue dans l'acte de cession du 21 mai 2012, ne pouvant en effet être qualifié ni de déloyal ni de disproportionné, le détective missionné, qui a limité ses investigations dans le temps et dans l'espace, ayant ainsi utilisé une méthode de travail non intrusive, qui a parfaitement respecté la vie privée des personnes objets de sa surveillance ; que, par ailleurs, les rapports rédigés par le Groupement de Recherche et d'Investigation étant particulièrement éclairants quant au rôle réel tenu par M. [Y] dans la gestion du fonds de commerce propriété de Mme [L] [X], rôle ne se limitant nullement à une simple assistance de sa compagne, ainsi que soutenu à tort par l'intimé dans ses conclusions, il convient également de confirmer le jugement en ce que, dans ses motifs, il a retenu la violation par le cédant de la clause du contrat de cession prohibant tout rétablissement sur une période de cinq ans et dans un rayon de cinq kilomètres du fonds cédé, étant observé sur ce point que si les attestations produites par M. [E] corroborent les constatations effectuées par le détective, les propres attestations versées aux débats par M. [Y], très imprécises voire silencieuses sur la question de la présence de M. [Y] dans l'établissement, ne contredisent pas radicalement de telles constatations ; que, sur le préjudice ; qu'en cause d'appel, M. [E] verse aux débats un rapport d'expertise amiable émanant de M. [W], expert-comptable, qui a été missionné par lui afin de déterminer le préjudice subi du fait de l'installation de M. [Y], par l'intermédiaire de Mme [X], à 500 mètres de son affaire, en violation de la clause de non-rétablissement prévue par l'acte de cession du 21 mai 2012 ; que, certes, ainsi que le fait observer à juste titre l'intimé, le lien de causalité existant entre d'une part la réduction du chiffre d'affaires réalisé par le cessionnaire entre octobre 2015, date de la réinstallation indirecte de M. [Y] au [Adresse 1], et le mois de mai 2017, terme de l'interdiction de rétablissement, d'autre part la concurrence illégitime dont a été victime M. [E] de la part du cédant, relève de la seule appréciation des juridictions et nullement de la compétence de l'expert ; qu'en conséquence, c'est à tort que M. [W], expert-comptable pourtant inscrit sur la liste des experts judiciaires de la cour d'appel de Nancy et partant, ayant une parfaite connaissance des limites d'une mission d'expertise, fut-elle simplement privée, a cru devoir mentionner en exergue du paragraphe IV de son rapport consacré au préjudice subi par M. [E] que celui-ci est la conséquence d'une réduction de chiffre d'affaires consécutive à l'installation de Monsieur [G] à 500 mètres de son exploitation ; que, toutefois, nonobstant cette imprudence purement rédactionnelle commise par M. [W], force est de constater que les constatations de ce dernier, relatives à l'activité économique du fonds de commerce cédé de janvier 2011 à décembre 2017, sont exemptes d'insuffisances ou de motifs d'incohérence ; qu'en effet, la méthode utilisée par l'expert judiciaire s'est bornée à mettre en évidence, après une hausse régulière de 2011 à 2014, la réduction en 2016 du chiffre d'affaires réalisés par l'appelant et sa stagnation en 2017, étant précisé que l'étude ainsi réalisée tient compte des phénomènes normaux de saisonnalité ; qu'en outre, pour réfuter le moyen selon lequel cette évolution néfaste ne serait que la résultante d'un marché du tabac dépressif dans le département de la Meurthe et Moselle, et ne serait alors pas en lien avec la concurrence subie par M. [E] à compter d'octobre 2015, du fait de la proche installation des consorts [Y]-[X], M. [W] s'est livré à une analyse comparative des livraisons de tabac en volume et en valeur, sur la période considérée, en France et sur le département de la Meurthe et Moselle, démontrant qu'à partir de 2016 et en 2017, M. [E] a connu une évolution inverse à celle du marché global, étant précisé que les éléments chiffrés émanant de la confédération des buralistes, sur la période de 2012 à 2017, sont versés aux débats ; que le manque à gagner de recettes de l'appelant d'octobre 2015 à mai 2017 a en conséquence été déterminé à partir de la tendance qui était observée par l'exploitation depuis janvier 2011 jusqu'à septembre 2015, date charnière correspondant au début de la concurrence illégitime exercée par M. [Y], et l'expert a ensuite appliqué un taux de marge moyen annuel à partir des taux de la profession, limité à 6,80 % pour l'année 2015, 7 % pour l'année 2016 et 7,5 % pour 2017 ; que, si les taux en vigueur dans la profession utilisés par l'expert-comptable sont contestés par l'intimé, force est néanmoins de constater qu'ils ne sont pas contredits par le moindre élément émanant de celui-ci, M. [Y] s'étant ainsi borné à produire les attestations mentionnées ci-avant, ainsi que l'acte notarié d'acquisition du fonds de commerce de Mme [X] ; que, dès lors, il convient de juger d'une part que M. [E] rapporte à suffisance la preuve du préjudice allégué, d'autre part que ledit préjudice se trouve en relation causale avec la faute contractuelle commise par M. [Y], le rapport d'expertise ne faisant ainsi nullement état de causes objectives, exclusives de l'activité concurrentielle exercée par M. [Y], pouvant expliquer la diminution de l'activité du commerce de M. [E] sur la période considérée ; qu'à cet égard, il n'est d'ailleurs pas indifférent de relever que si M. [Y] conteste cette relation causale mise en évidence par l'expert, il ne produit une fois encore aucun élément tangible permettant de simplement accréditer la thèse de l'absence de causalité existant entre le fait générateur de responsabilité, et le préjudice subi par la victime ; qu'en définitive, il y a donc lieu de condamner M. [Y] à verser à M. [E] la somme de 99 171 euros à titre de réparation du préjudice économique subi par le cessionnaire, avec intérêts légaux à compter de la date de l'arrêt, montant correspondant à l'estimation calculée par M. [W] ; que le jugement doit en conséquence être infirmé en ce qu'après avoir estimé que M. [E] ne rapportait pas suffisamment la preuve de son préjudice, il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts ; que, sur les autres prétentions ; que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné M. [Y] à verser à M. [E] une somme de 3 160 euros avec intérêts légaux à compter de la date de l'assignation, à titre de remboursement des frais de détective privé, ces frais, consécutifs à la faute commise par M. [Y], se justifiant en effet par la nécessité d'établir le comportement fautif de ce dernier ; qu'il sera cependant complété par la précision de la date de ladite assignation, soit le 12 janvier 2017 ; qu'il convient en outre de condamner M. [Y] à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros à titre de remboursement des frais d'expertise privée, avec intérêts légaux à compter de la date de l'arrêt ; que le jugement doit être confirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance ; que l'intimé, partie perdante, doit être condamné aux dépens d'appel ; que l'appelant ayant exposé des frais irrépétibles afin de faire valoir ses droits, il convient de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sans que la partie adverse puisse prétendre à une telle indemnité ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE sur l'interdiction de se rétablir ; que l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile, le rapport de surveillance privée est admis et les constatations effectuées par un enquêteur privé sont admissibles en justice selon les mêmes modalités et sous les mêmes réserves que tout autre mode de preuve ; que le rapport de surveillance privée ne peut être rejeté au seul motif que le détective était payé et sa valeur probante est appréciée souverainement par les juges du fond ; qu'en l'espèce, l'acte de cession du fonds de commerce en date du 21 mai 2012 prévoit une interdiction du cédant de se rétablir à compter du jour de l'entrée en jouissance du cessionnaire dans un rayon de 5 km du lieu d'exploitation du fonds cédé et ce pendant cinq années ; que le terme est donc échu au 1er juin 2017 ; que le 23 novembre 2015, Monsieur [Y] s'est vu signifier à personne, par huissier de justice, une sommation d'avoir à cesser immédiatement et sans délai toute activité au [Adresse 1] alors qu'il se tenait derrière la caisse de l'établissement de sa compagne ; qu'il résulte du rapport établi par Monsieur [J] [C], détective privé, que ce dernier a procédé à une surveillance de l'établissement de Madame [X] sur deux périodes à savoir janvier 2016 et de janvier 2017 à mai 2017 ; que cette limitation dans le temps et dans l'espace amène à dire que le procédé n'est pas disproportionné ; que le détective privé a constaté que le couple arrive ensemble le matin au commerce et s'occupe de son ouverture, Monsieur [Y] veillant à la mise en place de la terrasse ; que le soir, Monsieur [Y] participe à la fermeture de l'établissement ; que Monsieur [Y] occupe une place importante puisqu'il est noté que le commerce est ouvert en retard lors de son absence et les clients questionnent régulièrement les employés en demandant "où est le patron" ; que Monsieur [Y] a l'apparence du gérant de l'établissement ; que le détective privé souligne qu'en 2017, Monsieur [Y] a changé d'attitude, participant toujours à l'ouverture et à la fermeture du commerce mais étant moins présent la journée ; qu'il s'installe derrière le comptoir mais ne sert plus les clients sauf quand ils sont nombreux ou qu'il les tonnait ; qu'il résulte également de l'attestation établie par Madame [P] en date du 3 mars 2016 qu'elle a été employée par Madame [X] au sein du bar tabac à compter du 12 octobre 2015 et que si cette dernière était la gérante officielle, c'était Monsieur [Y] qui en réalité était gérant et "tirait les ficelles" ; que le 12 mars 2017, Monsieur [I] atteste avoir été approché par Monsieur [Y] afin qu'il rédige une attestation selon laquelle Monsieur [Y] ne se trouve jamais dans les locaux et n'y travaille pas ; que Monsieur [Y] fournit quant à lui des attestations qui datent toutes de février 2017 ; qu'elles relatent la bonne ambiance de l'établissement, la sympathie de Madame [X] et de ses employées ; que, néanmoins, elles attestent toutes de la présence de Monsieur [Y] dans l'établissement le matin et le soir ; qu'elles sont silencieuses sur son rôle mais dans tous les cas concordantes avec le rapport du détective privé qui relate sa présence dans l'établissement durant ces périodes ; qu'aucune attestation n'indique clairement que Monsieur [Y] ne travaille pas au sein de l'établissement de Madame [X] ; que le 27 mai 2017, soit quelques jours avant la fin de validité de l'interdiction de se rétablir, Monsieur [Y] s'est vu signifier à personne, par huissier de justice, à 7 heures 15, une sommation d'avoir à cesser immédiatement et sans délai toute activité au [Adresse 1] alors qu'il servait un café à un client au sein de l'établissement de sa compagne ; que tous ces éléments constituent des preuves suffisantes à établir que Monsieur [Y] s'intéresse particulièrement à l'établissement de Madame [X], se livrant à une activité similaire de celle de l'établissement cédé à Monsieur [E] ; qu'en outre, Monsieur [Y] est d'autant plus intéressé qu'un nantissement à son profit portant sur la somme de 90.000 euros a été inscrit sur l'établissement de Madame [X] le 27 octobre 2015 ; que, par conséquent, Monsieur [Y] a bien violé l'interdiction de se rétablir fixée dans l'acte de cession de fonds de commerce ; (?) que seuls les frais de détective privé engendrés pour faire établir la violation de l'interdiction de se rétablir seront réglés à Monsieur [E] par Monsieur [Y] ; que, par conséquent, Monsieur [Y] sera condamné à verser à Monsieur [E] la somme de 3 160 euros à ce titre avec intérêt légal à compter de la signification de l'assignation ; que, sur les demandes accessoires ; que Monsieur [Y] qui succombe à l'instance, sera condamné aux entiers dépens, sur le fondement de l'article 696 du Code de procédure civile y compris les frais d'huissier du 23 novembre 2015 (87,56 euros) et du 27 mai 2017 (318,14 euros) ; que, condamné aux dépens, Monsieur [Y] versera une somme qu'il est équitable de fixer à 1 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) ALORS QUE chacun a le droit au respect de sa vie privée ; qu'en se bornant à relever, pour refuser d'écarter des débats les deux rapports d'enquête privée produits par M. [E], qu'un tel procédé n'était « ni déloyal ni disproportionné » car le détective avait « utilisé une méthode de travail non intrusive » et avait « parfaitement respecté la vie privée » de M. [Y] et de sa compagne, dès lors qu'il avait « limité ses investigations dans le temps et dans l'espace » (arrêt, p. 4 dern. al. à p. 5 al. 1er ; jugement, p. 3, al. 9), sans rechercher si la filature, dont elle constatait elle-même qu'elle avait en tout duré six mois, n'avait pas porté atteinte à leur vie privée en ce que le détective les avaient épiés et suivis du matin au soir, jusqu'à leur domicile dont il avait indiqué l'adresse, rapportant leurs faits et gestes et leurs moindres déplacements y compris d'ordre privés et en ce qu'il avait pris, à leur insu, six photographies de la compagne de M. [Y] et de ses employés, six photographies de M. [Y] et deux photographies de son véhicule quittant son domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°) ALORS QUE le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en se bornant à relever, pour refuser d'écarter des débats les deux rapports d'enquête privée produits par M. [E], qu'ils étaient « particulièrement éclairants quant au rôle réel tenu par M. [Y] dans la gestion du fonds de commerce » de sa compagne (arrêt, p. 5, al. 2), sans caractériser que ces rapports d'enquête étaient indispensables à l'exercice du droit de la défense de M. [E], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 du code civil, ensemble les articles 9 du code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°) ALORS QUE le juge ne peut se fonder exclusivement sur un rapport établi à la suite d'une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties ; qu'en se fondant exclusivement sur le rapport d'expertise privée établi par M. [W] en cours d'instance à la demande de M. [E], pour retenir l'existence d'une baisse de son chiffre d'affaire en lien de causalité avec le manquement imputé à M. [Y] et le condamner, en conséquence, à verser à M. [E] la somme de 99 171 euros (arrêt, p. 5, al. 3 à p. 6, dern. al.), la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.