LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 octobre 2021
Cassation sans renvoi
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 574 F-D
Pourvois n°
H 19-25.290
Z 19-25.697 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 6 OCTOBRE 2021
I - La société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, société coopérative de banque populaire, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 19-25.290 contre un arrêt rendu le 8 octobre 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, juge de l'exécution), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Y] [I],
2°/ à Mme [F] [H], épouse [I],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
3°/ à la trésorerie d'[Localité 1], dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la trésorie de Châlons-en-Champagne, dont le siège est [Adresse 6],
5°/ à la Caisse d'épargne et de prévoyance Grand Est Europe, société coopérative de banque populaire, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
II - 1°/ M. [Y] [I],
2°/ Mme [F] [H], épouse [I],
ont formé le pourvoi n° Z 19-25.697 contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :
1°/ à la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne,
2°/ à la trésorerie d'[Localité 1],
3°/ au Trésor public, dont le siège est [Adresse 7],
4°/ à la Caisse d'épargne Champagne Ardenne, domiciliée chez la société notariale Bouffin Briand Dufour, [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° H 19-25.290 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi n° Z 19-25.697 invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [I], après débats en l'audience publique du 29 juin 2021 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Avel, conseiller rapporteur, M. Girardet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 19-25.290 et Z 19-25.697 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à M. et à Mme [I] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la trésorerie d'[Localité 1], le Trésor public et la Caisse d'épargne Champagne Ardenne.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 8 octobre 2019), suivant acte notarié du 26 septembre 2012, la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) a consenti à M. et Mme [I] (les emprunteurs) un prêt de restructuration d'un montant de 122 500 euros sur une durée de cent quatre-vingt mois. Le 18 janvier 2016, M. [I] a été placé en liquidation judiciaire.
4. Après des incidents de paiement, la banque a, le 13 septembre 2018, fait délivrer aux emprunteurs un commandement de payer valant saisie immobilière sur un bien leur appartenant en indivision, et, le 20 novembre 2018, les a assignés en fixation de sa créance et en vente forcée de l'immeuble.
5. Les emprunteurs ont invoqué la fin de non-recevoir tirée de la forclusion.
Sur le moyen unique du pourvoi n° Z 19-25.697
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [I] font grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion et de dire que la créance de la banque n'était pas prescrite, alors « que tous les litiges nés des opérations de crédit à la consommation sont enfermés dans le délai biennal de forclusion, à plus forte raison lorsque les parties ont expressément soumis leurs relations contractuelles à ce délai, insusceptible d'interruption ; qu'en rejetant la fin de non-recevoir tirée de la forclusion, après avoir constaté que le prêt liant les parties n'était pas un prêt immobilier et qu'elles avaient expressément choisi de soumettre leur contrat au délai de forclusion biennal, la cour d'appel a violé l'article L. 311-52 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 311-52 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 :
7. Aux termes de ce texte, les actions en paiement engagées devant le tribunal d'instance à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion, cet événement étant caractérisé, notamment, par le premier incident de paiement non régularisé.
8. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion, après avoir constaté que le prêt alloué consistait en un prêt de restructuration destiné à regrouper plusieurs crédits, soumis aux dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation relatifs au crédit à la consommation, l'arrêt relève que l'action engagée par la banque s'analyse en une action aux fins de recouvrement forcé d'une créance reconnue par un titre exécutoire, de sorte que le délai applicable n'est pas le délai de forclusion mais le délai de prescription de l'article L. 137-2 du code de la consommation, qui avait été interrompu par la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur constituant une demande en justice.
9.En statuant ainsi, alors que l'action de la banque tendait, au moyen de la saisie immobilière, à obtenir le paiement de sa créance, de sorte qu'était applicable le délai de forclusion, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi n° H 19-25.290, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable la demande de vente forcée présentée par la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne ;
Condamne la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juridictions du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, demanderesse au pourvoi n° H 19-25.290
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la procédure de saisie immobilière engagée par la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne portant sur un bien immobilier appartenant en indivision à M. [Y] [I] et Mme [F] [H] ;
aux motifs qu' « aux termes de l'article R. 322-15 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution, "à l'audience d'orientation, le juge de l'exécution, après avoir entendu les parties présentes ou représentées, vérifie que les conditions des articles L. 311-2, L. 311-4 et L. 311-6 sont réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes et détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée" ; que selon l'article L. 311-2, "tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéderà une saisie immobilière ... " ; qu'il est constant qu'en l'espèce la BPALC est munie d'un titre exécutoire, à savoir l'acte notarié de prêt du 26 septembre 2012, constatant une créance liquide et exigible ; que l'article L. 311-4 du code des procédures civiles d'exécution ne s'applique que lorsque le titre exécutoire est une décision de justice, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'il résulte de l'article L. 311-6 que la saisie immobilière peut porter sur tous les droits réels afférents aux immeubles susceptibles de faire l'objet d'une cession ; qu'en l'espèce, il est constant que M. [I] et Mme [H] sont propriétaires indivis du bien immobilier saisi ; que les débiteurs invoquent cependant l'interdiction des poursuites à l'encontre de M. [I] à la suite de la clôture pour insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire en application de l'article L. 643-11 du code de commerce ; que la BPALC ne répond pas sur ce point ; qu'aux termes de l'article L. 643-11 alinéa 1er du code de commerce, le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ; que ces dispositions s'appliquent tant aux actions en paiement en vue d'obtenir un titre exécutoire qu'aux actions en recouvrement engagées en vertu d'un titre exécutoire ; qu'en l'espèce, la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de M. [I] a été prononcée pour insuffisance d'actif par jugement du 21 mars 2017 ; que la BPALC ne justifie pas, et ne soutient même pas, pouvoir bénéficier d'une des exceptions prévues par l'article L.643-11, étant précisé qu'il n'a pas été prononcé de faillite personnelle à l'égard de M. [I] ; que dès lors, la banque est dépourvue du droit d'agir contre M. [I] ; que si le jugement de clôture ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice de leurs actions contre le débiteur, cette exception purement personnelle à ce dernier ne peut pas être opposée par le codébiteur solidaire ; qu'ainsi, la BPALC a le droit de recouvrer sa créance sur le patrimoine de Mme [H], qui n'a pas fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire ; que toutefois la présente procédure portant sur un bien immobilier indivis, c'est à juste titre que Mme [H] soutient que le créancier poursuivant aurait dû intenter une action en licitation partage ; que, dans ces conditions, les droits indivis de M. [I] et Mme [H], codébiteurs solidaires, dans l'immeuble saisi ne peuvent faire l'objet d'une procédure de saisie immobilière, en raison d'une part de l'interdiction de poursuites à l'égard de M. [I], et d'autre part du caractère indivis du bien saisi obligeant le créancier à recourir à la procédure de licitation partage par une action oblique en application de l'article 815-17 du code civil ; qu'il en résulte que la présente procédure de saisie immobilière n'est pas recevable en ce que les conditions de l'article L. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies » ;
alors que le créancier de l'indivision, qui préexistait à l'ouverture de la procédure collective d'un des indivisaires, peut poursuivre la saisie et la vente de l'immeuble indivis et en conserver le prix à concurrence de sa créance avant tout partage ; qu'en l'espèce, la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne était créancière de l'indivision existant entre M. [Y] [I] et Mme [F] [H] avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de M. [I] ; qu'elle pouvait en conséquence poursuivre la saisie et la vente de l'immeuble indivis avant tout partage ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la procédure de saisie immobilière engagée par la banque, que les droits indivis de M. [I] et Mme [H], codébiteurs solidaires, dans l'immeuble saisi ne pouvaient faire l'objet d'une procédure de saisie immobilière en raison, d'une part, de l'interdiction des poursuites à l'égard de M. [I], et, d'autre part, du caractère indivis du bien saisi obligeant le créancier à recourir à la procédure de licitation partage, la cour d'appel a violé l'article 815-17 du code civil, ensemble l'article L. 643-11 du code de commerce. Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I], demandeurs au pourvoi n° Z 19-25.697
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion invoquée par M. et Mme [I] et d'avoir dit que la créance de la Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne n'était pas prescrite ;
Aux motifs que le prêt liant les parties n'était pas un crédit immobilier mais un prêt de restructuration destiné à regrouper plusieurs crédits ; qu'il ressortait de l'offre préalable de crédit acceptée par les emprunteurs que ce contrat était soumis aux dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation relatifs au crédit à la consommation, peu important qu'il ait ensuite fait l'objet d'un acte notarié ; que l'offre de crédit faisait expressément mention des dispositions de l'article L. 311-52 du code de la consommation relatives au délai biennal de forclusion ; que toutefois, l'action engagée par la banque n'était pas une action en paiement devant le tribunal d'instance mais une action en recouvrement forcé d'une créance reconnue par un titre exécutoire ; que la forclusion n'était applicable qu'aux délais pour agir en reconnaissance d'un droit de créance ; que s'agissant d'une procédure de saisie immobilière, qui tendait à exécuter un titre, le délai applicable n'était donc pas le délai de forclusion de l'article L. 311-52 mais le délai de prescription de l'article L. 137-2 dans sa rédaction en vigueur avant le 1er juillet 2016 ; que l'article L. 137-2 ancien disposait que l'action des professionnels pour les biens ou services fournis aux consommateurs se prescrivait par deux ans ; que ce texte, de portée générale, s'appliquait à tous les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur et aussi bien aux actions en paiement en vue d'obtenir un titre exécutoire qu'aux actions en recouvrement engagées en vertu d'un titre exécutoire ; que s'agissant d'une dette payable par termes successifs la prescription se divisait comme la dette elle-même et courait à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance de sorte que, si l'action en paiement des mensualités se prescrivait à compter de leurs dates d'échéances successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrivait à compter de la déchéance du terme emportant son exigibilité ; que la déclaration de créance à la procédure collective du débiteur constituait une demande en justice interruptive de prescription, effet se prolongeant jusqu'à la clôture de la procédure collective ; que la banque avait déclaré sa créance entre les mains de Me [K], liquidateur judiciaire de M. [I], par courrier recommandé du 18 janvier 2016 réceptionné le 20 janvier 2016 ; que la clôture de la liquidation avait été prononcée le 21 mars 2017 et la prescription interrompue à compter du 20 janvier 2016 jusqu'au 21 mars 2017, date à laquelle un nouveau délai de deux ans avait commencé à courir ;
qu'aux termes de l'article 2245 alinéa premier du code civil, « l'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers » ; que l'effet interruptif de prescription de la déclaration de créance valait aussi bien à l'égard de M. [I] qu'à l'égard de sa femme ; que le commandement de payer valant saisie immobilière signifié aux débiteurs le 13 septembre 2018 avait été délivré dans le nouveau délai de deux ans, de sorte que la prescription n'était pas acquise, étant précisé au surplus que le délai de prescription avait également été interrompu par la délivrance d'un commandement de payer en vue de la saisie-vente du 8 août 2018 ; qu'aucune fraction de la dette n'était prescrite et ce, pour aucun des codébiteurs solidaires ;
Alors que tous les litiges nés des opérations de crédit à la consommation sont enfermés dans le délai biennal de forclusion, à plus forte raison lorsque les parties ont expressément soumis leurs relations contractuelles à ce délai, insusceptible d'interruption ; qu'en rejetant la fin de non-recevoir tirée de la forclusion, après avoir constaté que le prêt liant les parties n'était pas un prêt immobilier et qu'elles avaient expressément choisi de soumettre leur contrat au délai de forclusion biennal, la cour d'appel a violé l'article L. 311-52 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige.