LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 septembre 2021
Cassation
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1088 F-D
Pourvoi n° M 20-13.384
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 SEPTEMBRE 2021
La société Serviceplan Paris, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-13.384 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l'opposant à M. [X] [D], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la société Serviceplan Paris, de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [D], après débats en l'audience publique du 6 juillet 2021 où étaient présentes Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 décembre 2019), M. [D] a été engagé en qualité de « digital and integrated creative director » le 21 mars 2012 par la société Dufresne Corrigan Scarlett devenue la société Serviceplan Paris. Le 30 juillet 2014, il a reçu un courriel émanant du président de la société. Convoqué le lendemain à un entretien préalable à un éventuel licenciement, il a été licencié pour faute grave le 15 septembre 2014.
2. Contestant cette mesure, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, d'ordonner la remise au salarié de l'attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et du certificat de travail rectifiés, alors :
« 1°/ que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; qu'en retenant, pour décider que le courriel du 30 juillet 2014 s'analysait en une sanction disciplinaire et que le licenciement du salarié fondé sur les mêmes faits était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que l'employeur y stigmatisait et reprochait au salarié, au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés, des manquements qui avaient été ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, sans caractériser en quoi le courriel litigieux, qui, comme le soutenait l'employeur dans ses conclusions, se bornait à répondre aux accusations de harcèlement moral lancées par le salarié à l'encontre de son supérieur hiérarchique, mais ne contenait aucune mesure contraignante pour le salarié, aurait traduit la volonté de l'employeur d'exercer son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail ;
2°/ constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; que la cour d'appel énonce que, par le courriel du 30 juillet 2014 stigmatisant et reprochant au salarié, au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés, des manquements qui ont été ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, l'employeur avait déjà fait usage de son pouvoir disciplinaire, de sorte que la règle non bis in idem faisait obstacle au prononcé du licenciement fondé sur les mêmes faits ; qu'en constatant que le président de la société, faisait état, dans ce courriel, de ce que le supérieur hiérarchique du salarié, lisant ce courriel en copie, "[comprendrait] avant d'envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que [Monsieur [O] ait] préféré remettre les choses d'aplomb", sans rechercher si le président de la société n'avait pas expressément exclu de prendre, lui-même, toute mesure disciplinaire en relation avec les faits abordés dans le courriel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1331-1 du code du travail :
4. Selon ce texte, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
5. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt reproduit les termes du courriel litigieux adressé par le président au salarié et notamment son dernier paragraphe : « [S] qui me lit en copie comprendra avant d'envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que j'ai préféré remettre les choses d'aplomb (...) ». Il retient que cet écrit adresse de nombreux reproches détaillés au salarié en dénonçant son attitude conduisant finalement le président à y indiquer « remettre les choses d'aplomb » et ce en lien avec des faits précis, visés de nouveau dans le cadre du licenciement disciplinaire. Il ajoute que, quand bien même ce courriel intervenait en réponse à une mise en cause de son supérieur hiérarchique formulée par le salarié dans un courriel du 21 juillet 2014 qui évoquait une campagne de déstabilisation psychologique et une agression verbale à son égard, l'employeur stigmatisait et reprochait de la sorte au salarié, et ce au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés par l'intéressé, des manquements ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, en sorte que ce courriel, qui n'appelait pas d'autre explication du salarié et qui a été envoyé 24 heures avant l'engagement de la procédure de licenciement, s'analysait en une sanction disciplinaire. L'arrêt en déduit, l'employeur ayant déjà fait usage de son pouvoir disciplinaire, que la règle « non bis in idem » faisait obstacle au prononcé du licenciement.
6. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le courriel du 30 juillet 2014 ne traduisait pas la volonté du président de la société de sanctionner par lui-même les faits, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé en l'audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un et signé par Mme Mariette, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du président et du conseiller référendaire rapporteur empêchés, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour la société Serviceplan Paris
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné la société SERVICEPLAN PARIS à payer à Monsieur [D] les sommes suivantes : 46.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 6.230,73 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 22.657,20 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2.265,72 € à titre de congés payés afférents, d'AVOIR ordonné à la société SERVICEPLAN PARIS de remettre à Monsieur [D], dans le mois suivant la signification de l'arrêt, l'attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et le certificat de travail rectifiés, et d'AVOIR dit que les sommes à caractère salarial produiraient intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiraient intérêts au taux légal à compter de l'arrêt ;
AUX MOTIFS QUE, « Sur le licenciement : en application de l'article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ; la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que la charge de la preuve incombe à l'employeur qui l'invoque ; en l'espèce, M. [D] fait tout d'abord valoir que la lettre de licenciement du 15 septembre 2014 lui reproche exactement les mêmes faits que ceux déjà sanctionnés dans le mail du 30 juillet 2014 de l'employeur et invoque une violation par ce dernier de l'article L. 1331-1 du code du travail, ensemble le principe « non bis in idem » selon lequel un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour un même fait ; la SAS SERVICEPLAN PARIS, anciennement dénommée DUFRESNE CORRIGAN SCARLETT, réplique que le mail du 30 juillet 2014 ne peut être assimilé à une mesure disciplinaire et qu'elle se devait de répondre aux graves accusations portées par le salarié dans son propre mail du 21 juillet 2014 ; dans son mail du 30 juillet 2014 le président de la société DUFRESNE CORRIGAN SCARLETT indiquait notamment à M. [D] que : « (?) le problème principal ne vient pas de ce relationnel sur lequel tu te focalises et qui a surtout pour objet de déplacer le débat mais de ton attitude et des faits précis qui, surtout au cours de ces derniers mois, ont totalement modifié les relations que nous devons avoir les uns envers les autres, et surtout à l'égard du travail qui nous est confié. (?) Ceci traduit bien ce que nous ressentons tous dans l'agence : tu es un électron libre, en fait ingérable, totalement personnel.(...) [S], en réalité, n'a fait que te rappeler à l'ordre ou te marquer son mécontentement sur un certain nombre de sujets précis. Pour faire court, je ne reviendrai que sur les plus récents : (?) tu as totalement disparu de la circulation les 19 et 20 juin (?) le 3 juillet dernier (?) tu as pris cette initiative sans concertation et en évinçant le reste de l'équipe (?) le 9 juillet dernier (?) comportement inadmissible (?) le 18 juillet toujours en décalé avec l'équipe(?) Si [S] t'a recadré sur ton attitude, c'est parfaitement logique (?) remise en cause d'une attitude qui avait nui à tout le monde (?) te faire tatouer un ours géant dans le dos. Si cette information est exacte, elle est consternante. (?) mêler ainsi des satisfactions personnelles à son travail est inacceptable et décrédibilise l'image de sérieux que nous devons donner? (?) cette attitude générale et tous ces faits bien précis sont à mettre en parallèle avec ce que tu appelles un harcèlement alors qu'il ne s'agit que de la contestation de tes méthodes de travail et à plusieurs reprises de tes propositions créatives qui, souvent, ne sont pas au niveau de ce que l'agence serait en droit d'attendre (?) Trop souvent nos attentes ont été déçues. (?) manque d'accompagnement des équipes qui est malheureusement la conséquence d'une façon toujours très personnelle de se mettre en avant peut être pour tenter de briller. (?) [S] qui me lit en copie comprendra avant d'envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que j'ai préféré remettre les choses d'aplomb car la goutte d'eau qui a fait déborder le vase n'est pas celle que tu crois? » ; ce courriel fait le constat de nombreux manquements au-delà d'une simple insuffisance professionnelle et imputés à M. [D] et ces mêmes faits seront repris dans la lettre de licenciement pour faute grave ; ledit courriel adresse ainsi de nombreux reproches détaillés au salarié en dénonçant son attitude conduisant finalement le président à y indiquer « remettre les choses d'aplomb » et ce en lien avec des faits précis, visés de nouveau dans le cadre du licenciement disciplinaire ; quand bien même ce courriel intervenait en réponse à une mise en cause de son supérieur hiérarchique formulée par M. [D] dans un courriel du 21 juillet 2014 qui évoquait une campagne de déstabilisation psychologique et une agression verbale à son égard, l'employeur stigmatisait et reprochait de la sorte au salarié, et ce au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés par le salarié, des manquements ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, en sorte que ce courriel, qui n'appelait pas d'autre explication du salarié et qui a été envoyé 24 heures avant l'engagement de la procédure de licenciement, s'analysait en une sanction disciplinaire ; l'employeur ayant déjà fait usage de son pouvoir disciplinaire, la règle « non bis in idem » faisait obstacle au prononcé du licenciement ; il s'ensuit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ; Sur les conséquences financières : à la date de son licenciement M. [D] avait une ancienneté de 2 ans et demi au sein de l'entreprise qui employait de façon habituelle plus de 11 salariés ; en application de l'article L. 235-3 du code du travail, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant brut des salaires qu'il a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement ; au-delà de cette indemnisation minimale, et tenant compte notamment de l'âge, de l'ancienneté du salarié et des circonstances de son éviction, de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle, étant observé qu'il justifie avoir été indemnisé par Pôle emploi sur la période du 27 octobre 2014 au 31 janvier 2016, il convient de condamner l'employeur au paiement d'une indemnité totale de 46 000 euros à ce titre ; il y a lieu de faire droit à ses autres demandes liés à la rupture de la relation de travail en lui allouant les sommes de : - 6 230,73 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, - 22 657,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois) et 2 265,72 euros à titre de congés payés afférents » (arrêt pp. 4 à 6) ;
ALORS QUE 1°) constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; qu'en retenant, pour décider que le courriel du 30 juillet 2014 s'analysait en une sanction disciplinaire et que le licenciement du salarié fondé sur les mêmes faits était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que l'employeur y stigmatisait et reprochait au salarié, au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés, des manquements qui avaient été ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, sans caractériser en quoi le courriel litigieux, qui, comme le soutenait l'employeur dans ses conclusions (pp. 14 à 18), se bornait à répondre aux accusations de harcèlement moral lancées par le salarié à l'encontre de son supérieur hiérarchique, mais ne contenait aucune mesure contraignante pour le salarié, aurait traduit la volonté de l'employeur d'exercer son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail ;
ALORS QUE 2°) constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; que la cour d'appel énonce que, par le courriel du 30 juillet 2014 stigmatisant et reprochant au salarié, au-delà d'une simple contestation des faits dénoncés, des manquements qui ont été ultérieurement invoqués à l'appui de la rupture, l'employeur avait déjà fait usage de son pouvoir disciplinaire, de sorte que la règle non bis in idem faisait obstacle au prononcé du licenciement fondé sur les mêmes faits ; qu'en constatant que le président de la société, Monsieur [O], faisait état, dans ce courriel, de ce que le supérieur hiérarchique de Monsieur [D], lisant ce courriel en copie, « [comprendrait] avant d'envisager la suite à donner à une situation devenue de plus en plus difficile et incohérente, que [Monsieur [O] ait] préféré remettre les choses d'aplomb », sans rechercher si le président de la société n'avait pas expressément exclu de prendre, lui-même, toute mesure disciplinaire en relation avec les faits abordés dans le courriel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail.