CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 septembre 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président
Décision n° 10692 F
Pourvoi n° S 20-12.216
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 SEPTEMBRE 2021
1°/ Mme [G] [Q], épouse [D], agissant en qualité d'ayant droit de [P] [E], épouse [Q],
2°/ M. [Z] [D],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° S 20-12.216 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige les opposant à Mme [O] [S], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations écrites de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de Mme [Q] et de M. [D], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [S], après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Q] et M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [Q] et M. [D] et les condamne à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour Mme [Q] et M. [D]
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR débouté les exposants de l'ensemble de leurs demandes formées à l'encontre de Madame [S] et de les avoir condamnés au paiement de frais irrépétibles et aux dépens ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Madame [S] a exercé sa fonction de tutrice entre le 17 décembre 2009 et le 5 avril 2011 ; que dès sa désignation, elle a été confrontée aux graves tensions familiales qui opposaient M. [D] et sa fille ainsi que cela ressort des correspondances versées aux débats ; que par ailleurs, la majeure protégée a été hébergée à compter du 10 janvier 2010 au domicile de sa fille ;
Que l'intimée ne produit aucune pièce relative à l'établissement de l'inventaire prévu à l'article 503 du code civil ; que pour autant, ainsi que l'ont relevé les juges de première instance, aucun lien de causalité n'est démontré entre l'absence d'inventaire et l'insuffisance de ressources de [P] [E] épouse [Q] et les dépenses exposées par les époux [D] pour subvenir aux besoins de la majeure protégée ;
Que certes, Mme [Q] épouse [D] a informé Mme [S] d'actions judiciaires entreprises aux fins d'annulation des ventes de deux biens immobiliers situés à [Localité 1] et à [Localité 2] ; que dès le mois de février 2010, Mme [S] a écrit à Me [R] concernant les actions susvisées ; que saisie par le juge des tutelles qui lui avait transmis un courrier du 23 mars 2020, elle a répondu, suivant courrier du 30 mars 2010, que Mme [D] prenait à sa charge les procédures d'annulation des ventes ; que par courrier du 26 avril 2010, elle a interrogé Mme [Q] épouse [D] sur la prise en charge des frais de procédure et sur l'éventuelle acceptation de l'avocat, Me [R], de poursuivre l'instance dans le cadre d'une demande d'aide juridictionnelle ; que ces échanges contredisent la prétendue inertie ou la négligence de la tutrice ;
Que de surcroît, les appelants ne justifient pas avoir communiqué l'ensemble des pièces qui pouvait permettre à Mme [S] d'appréhender exactement la situation de la majeure protégée et la pertinence des actions engagées au regard, d'une part, de leur coût, et d'autre part, des dissensions familiales telles qu'elles ressortent notamment des écrits de M. [Q] et de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 28 octobre 2010 statuant dans un litige opposant M [D] et son beau-père ;
Que du reste, Mme [Q] épouse [D] a poursuivi, en sa qualité d'ayant droit, les actions relatives aux ventes immobilières litigieuses comme le démontre notamment le jugement du 20 novembre 2017 ;
Que dans un courrier du 18 janvier 2010, Mme [Q] épouse [D] mentionne qu'elle n'a pu avoir que des relevés CCP ; qu'elle ne démontre pas, de même que précédemment, avoir mis en mesure Mme [S] d'exercer des actions relatives à des détournements au préjudice de sa mère dans un contexte où la tutrice se heurtait dans le cadre de sa mission à des difficultés importantes, parmi lesquelles en outre celle de rencontrer [P] [E] épouse [Q] malgré ses sollicitations ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats que Mme [Q] épouse [D] souhaitait que Mme [S] demande réparation du préjudice corporel subi par [P] [E] épouse [Q] en raison des escarres présentés par cette dernière à sa sortie de l'hôpital en décembre 2009 au titre d'une maladie nosocomiale ; que par courrier du 29 mars 2010, Mme [S] a répondu qu'elle allait interroger le juge des tutelles sur une telle procédure ;
Que les premiers juges ont, à juste titre, au vu des éléments médicaux, retenu qu'il n'était pas justifié d'une infection nosocomiale de nature à engager une action en responsabilité médicale ;
Qu'il s'infère de ce qui précède que les appelants ne rapportent pas la preuve d'une faute commise par Mme [S] ; qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement sur le rejet des demandes indemnitaires des époux [D] ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE
«1. Sur l'absence de représentation aux fins d'annulation des ventes immobilières
Au soutien de sa demande, Mme [D] fait valoir qu'elle a introduit devant les tribunaux de Bobigny et de Paris deux actions pour voir annuler les actes de vente de biens immobiliers conclus deux ans avant la mesure de tutelle alors que Madame [Q] n'avait plus le discernement nécessaire, que de nombreux éléments permettaient de constater les abus de faiblesse, la maltraitance morale et financière dont Madame [Q] avait été la victime, que Madame [D] avait fourni tous les éléments en sa possession à Madame [S] dès janvier 2010 et qu'elle a néanmoins refusé de représenter les intérêts de sa protégée en justice.
Mme [S] fait valoir que pour qu'une action soit engagée pour le compte du majeur protégé, il convient d'obtenir préalablement une autorisation du juge des tutelles, que les documents justificatifs des actions judiciaires entreprises par Madame [D] n'ont jamais été adressés à Madame [S], que rien n'est produit en ce qui concerne le sort réservé à ces deux instances, ni sur leur chance de succès.
A titre préliminaire, il convient de rappeler que l'autorisation préalable du juge des tutelles est uniquement prévue avant toute action extra-patrimoniale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant d'actions judiciaires en annulation de contrats de vente immobilière (article 475 du code civil), de sorte que ni Madame [D], ni Madame [S] n'étaient tenues de solliciter l'autorisation du juge des tutelles.
D'une part, s'il est justifié de l'envoi d'un tirage de chaque assignation par le conseil de Madame [D] à Madame [S] le 4 février 2010, aucun élément ne permet d'établir que l'ensemble des pièces citées à leur appui lui a effectivement été communiqué de manière à lui permettre d'évaluer la pertinence et l'opportunité de telles actions. De surcroît, il est justifié par Madame [S] des motifs justifiant son choix de ne pas intervenir volontairement, à savoir le « conflit d'intérêt qui se pose dans les procédures engagées par Madame [D] en sa qualité de tutrice et également en son nom propre ». En effet, il ressort des pièces communiquées qu'un conflit familial massif opposait Madame [D] à son père, Monsieur [Q], que ce dernier avait co-signé les actes de vente contestés, que ce conflit a placé Madame [S] en difficulté pour rencontrer sa protégée maintenue au domicile de sa fille en dépit de son hospitalisation et pour accomplir son mandat. Un conflit d'intérêt opposait donc Madame [D] à son père et les actions judiciaires en cause tendaient en premier lieu à la défense des intérêts de la demanderesse. De sorte que le refus était justifié et qu'il n'est pas caractérisé de faute imputable à Madame [S] dans l'exercice de ses fonctions.
D'autre part, aucune pièce relative aux procédures en cause n'est produite : il est impossible de déterminer si l'assignation devant le tribunal de grande instance de Bobigny a été signifiée et enrôlée, si le mandataire judiciaire désigné en lieu et place de Madame [S] par le juge des tutelles de Senlis est intervenu volontairement pour régularisation des deux procédures, si une décision a été rendue par le tribunal de grande instance de Paris et/ou de Bobigny sur la validité, la recevabilité ou le bien fondé des poursuites engagées par Madame [D].
Ne s'agissant pas de l'introduction d'une demande mais de la régularisation de la procédure consécutive au jugement du tribunal de grande instance de Bobigny du 17 décembre 2009, Madame [D] ne peut engager la responsabilité du mandataire sans justifier préalablement de l'issue des procédures en cause dans la mesure où un mandataire a succédé à Madame [S]. De surcroît, il restait possible à Madame [D] d'introduire les actions en nullité en son seul nom postérieurement au décès de sa mère et antérieurement à la prescription quinquennale. De sorte qu'aucun préjudice et qu'aucun lien de causalité n'est établi.
En conséquence, la responsabilité de Madame [S] n'est pas mise en cause et les demandes formées de ce chef seront rejetées.
2. Sur l'absence d'inventaire
En application de l'article 503 du code civil « dans les trois mois de l'ouverture de la tutelle, le tuteur fait procéder, en présence du subrogé tuteur s'il a été désigné, à un inventaire des biens de la personne protégée et le transmet au juge. Il en assure l'actualisation au cours de la mesure. (
) Si l'inventaire n'a pas été établi ou se révèle incomplet ou inexact, la personne protégée et, après son décès, ses héritiers peuvent faire la preuve de la valeur et de la consistance de ses biens par tous moyens ».
Les époux [D] font valoir que Madame [O] [S] a commis une faute en omettant d'établir l'inventaire prévu par l'article susvisé, ce que la défenderesse conteste.
En l'espèce, il n'est pas justifié par Madame [S] de l'établissement de l'inventaire. Cependant, aucun lien de causalité ne saurait être établi entre l'absence d'inventaire et l'insuffisance des ressources de Madame [Q] justifiant que les époux [D] contribuent à sa prise en charge.
En conséquence, la demande formée par les époux [D] sera rejetée ». (jugement p 3 à 5).
1) ALORS, D'UNE PART, QUE selon l'article 421 du code civil, tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'en l'espèce, pour débouter les exposants de leurs demandes formées contre Mme [S], tutrice de Mme [Q], leur mère et belle-mère, la cour d'appel a retenu qu'ils « ne rapportent pas la preuve d'une faute commise par Mme [S] » (arrêt p 7 al. 2), après avoir pourtant elle-même relevé que celle-ci n'avait pas établi l'inventaire prévu à l'article 503 du code civil ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé ensemble les textes susvisés et l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil ;
2) ALORS QU' il appartient à la tutrice d'agir avec diligence dans l'intérêt de la personne protégée et, en cas de difficulté à remplir sa mission, de saisir le juge des tutelles, voire le ministère public pour ce faire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait débouter les exposants de leur action en responsabilité contre Mme [S], désignée tutrice de Mme [Q] de décembre 2009 à avril 2011, au prétexte de ses difficultés pour rencontrer sa protégée « malgré ses sollicitations », en raison d'un conflit familial, sans rechercher si la tutrice avait saisi le juge des tutelles pour l'en avertir et pour obtenir des pièces qui lui manqueraient pour appréhender exactement la situation de la majeure protégée et agir avec pertinence, et sans le constater, quand, précisément, la tutrice ne contestait pas avoir reçu le précédent inventaire établi par Mme [D], ni avoir eu l'assurance que celle-ci assumait les frais de justice des actions en nullité des ventes immobilières douteuses des deux logements de sa protégée au profit des consorts [I] et qu'il est constant qu'elle n'avait ni dressé de nouvel inventaire ni poursuivi les actions en nullité des actes de vente douteux des résidences principales successives de sa protégée; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé ensemble les articles 415, 416, 419, 421, 496, 1382, devenu l'article 1240, du code civil ;
3) ALORS, D'AUTRE PART, QUE suivant les mêmes principes, la cour d'appel ne pouvait débouter les exposants de leurs demandes de dommages et intérêts pour réparer leurs préjudices matériel et moral résultant de l'ensemble des fautes et négligences de la tutrice, Mme [S], au motif inexact et insuffisant qu'« aucun lien de causalité n'est démontré entre l'absence d'inventaire et l'insuffisance de ressources de [P] [E], épouse [Q] et les dépenses exposées par les époux [D] pour subvenir aux besoins de la majeure protégée » quand il lui appartenait de rechercher, comme elle y était invitée, si en s'abstenant d'établir son propre inventaire, lors de sa prise de fonction et de le comparer à celui établi préalablement par Mme [D], elle s'était dispensée de vérifier elle-même l'état des comptes bancaires dont l'exposante lui avait signalé qu'ils avaient été « vidés » par les consorts [I], ainsi que les conditions litigieuses et douteuses de la perte du patrimoine mobilier et immobilier de sa protégée au profit de ces tiers, bénéficiaires également des ventes des deux résidences principales des époux [Q] et de donations d'espèces, de sorte que dépouillée de son patrimoine et même du produit desdites ventes, il ne restait à cette dernière qu'une retraite de 600 €, insuffisante pour faire face au paiement de dépenses indispensables, pour le paiement des salaires et charges afférents aux personnes chargées de l'aider et des frais de procédure pour l'abus de droit dont elle avait été victime, ce qui avait obligé les époux [D] à les payer sur leurs deniers personnels, ainsi qu'une obligation alimentaire de 1 000 € mensuels, ce dont il résultait un lien de causalité entre les dommages matériels et moraux que la personne protégée, puis sa fille et son gendre, avaient subis et l'absence d'inventaire, d'une part, mais aussi avec les négligences et carences successives qu'ils reprochaient à Mme [S], faute pour celle-ci d'agir avec diligence et tenter de récupérer les actifs du patrimoine ainsi dilapidé, d'autre part ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 415, 416, 419, 421, 496, 1382 devenu 1240 du code civil ;
4) ALORS, ENFIN, QUE le tuteur doit agir avec diligence dans l'intérêt de la personne protégée et de son patrimoine pour assurer notamment sa dignité; qu'en l'espèce, les exposants dénonçant les carences de Mme [S], désignée tutrice de Mme [Q] de décembre 2009 à avril 2011, et le refus injustifié de celle-ci de poursuivre les actions judiciaires en nullité des ventes immobilières, que l'exposante avait introduites contre les consorts [I], la cour d'appel ne pouvait les débouter de leurs demandes au prétexte que la tutrice avait écrit quelques courriers début 2010 puis aux motifs généraux, inopérants d'un conflit familial et d'une difficulté à rencontrer la protégée et aux motifs infondés, et erronés que les exposants ne justifiaient pas lui avoir communiqué l'ensemble des pièces pour appréhender la situation de la majeure protégée et la pertinence des actions engagées, quand la cour d'appel devait rechercher et vérifier si, au contraire, en cause d'appel, les exposants justifiaient et détaillaient l'ensemble des pièces transmises, dont l'inventaire établi par Mme [D], lesquelles démontraient la réalité des actes de détournement d'argent et de patrimoine, d'abus de faiblesse, de causes de nullité des ventes immobilières, tous effectués dans des conditions douteuses par les consorts [I], qu'elle devait aussi vérifier si le coût des actions judiciaires était pris en charge par la fille de la protégée, mais aussi rechercher et constater quelles mesures effectives avaient été prises utilement par la tutrice pour agir dans l'intérêt de la personne protégée et de son patrimoine; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas non plus constaté que la tutrice justifiait avoir averti ou saisi le juge des tutelles pour résoudre les difficultés rencontrées ni même qu'elle aurait elle-même sollicité la communication de pièces complémentaires qui, prétendument, lui auraient manquées, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 415, 416, 419, 421, 496, 1382, devenu 1240 du code civil ;