COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 septembre 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme MOUILLARD, président
Décision n° 10454 F
Pourvoi n° N 19-10.230
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 22 SEPTEMBRE 2021
Mme [Z] [I], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 19-10.230 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 3], agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris,
2°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [I], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris et du directeur général des finances publiques, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et la condamne à payer au directeur général des finances publiques, agissant poursuites et diligences du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de [Localité 1], et au directeur général des finances publiques, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour Mme [I].
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme [I] de sa demande de décharge de la contribution exceptionnelle sur la fortune 2012 instituée par l'article 4 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 et mise à la charge des personnes assujetties à l'ISF ;
AUX MOTIFS QUE l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international » ; que les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes » ; que l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 2012 instaure à la charge des personnes redevables de l'ISF au titre de l'année 2012, une contribution exceptionnelle sur la fortune, calculée selon un barème progressif identique à celui qui avait été appliqué pour le calcul de l'ISF dû au titre de 2011, l'ISF dû pour 2012, avant imputation des réductions d'impôts étant déductible du montant de cette contribution ; que la Cour européenne a admis la rétroactivité d'une disposition de la loi fiscale si l'ingérence de l'Etat dans ce domaine répond à un but d'intérêt général et respecte un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux ; que c'est à juste titre, par des motifs qui sont adoptés, que le tribunal a retenu qu'il est permis au législateur de modifier des textes antérieurs en leur substituant d'autres dispositions, sous réserve de ne porter aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant et que Mme [I] n'établit pas que la CEF ne serait pas en cohérence avec l'intérêt général susvisé et l'objectif poursuivi par le législateur ; qu'en effet, l'exposé des motifs de l'article 4 de la loi de finances ci-dessus mentionnée précise qu'il "s'agit de contribuer au redressement des finances publiques et en particulier à l'atteinte de l'objectif de déficit public pour 2012 qui participe à la crédibilité internationale de la France, tout en cherchant à faire contribuer davantage les contribuables les plus fortunés de façon à assurer une répartition équitable de la charge fiscale supplémentaire que suppose ce redressement" ; qu'il résulte de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les Etats doivent veiller à maintenir un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la préservation du droit de propriété ; que la charge imposée aux contribuables ne doit pas être excessive ou porter fondamentalement atteinte à leur situation financière ; que tel n'est pas le cas si l'imposition revêt un caractère confiscatoire ; que ce caractère doit être apprécié en fonction des caractéristiques de l'imposition litigieuse ; que, s'agissant d'une imposition sur le patrimoine lui-même et non sur ses revenus, doit être pris en compte l'ensemble des biens et droits des contribuables y compris ceux non productifs de revenus ; qu'en instituant une contribution exceptionnelle - donc non pérenne - sur la fortune, le législateur a entendu mettre en place une imposition différentielle par rapport à l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012 ; qu'il a établi l'assiette de cette contribution selon les règles relatives à l'assiette de cet impôt ; qu'il a retenu des tranches et des taux d'imposition qui assurent, en prenant en compte à la fois la contribution exceptionnelle et l'impôt de solidarité sur la fortune, la progressivité de ces impositions acquittées en 2012 au titre de la détention d'un ensemble de biens et de droits ; qu'il est ainsi tenu compte des facultés contributives de chacun des redevables ; que si aucun dispositif de plafonnement - qui tend à éviter que le total des impôts payés au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune et de l'impôt sur le revenu excède un certain seuil - n'est prévu, l'absence d'un tel mécanisme ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire d'une imposition qui a pour objet de saisir la capacité contributive que constitue le patrimoine indépendamment des revenus du contribuable ; que cette contribution est établie après déduction de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012 ; qu'est déduit le montant brut de cet impôt sans remettre en cause les réductions imputées par le contribuable sur l'impôt de solidarité sur la fortune ; qu'en outre, le droit à restitution - le « bouclier fiscal » - acquis au titre des impositions afférentes aux revenus réalisés en 2010, en s'imputant sur l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012 pour les contribuables redevables de cet impôt, produit ses effets sur la cotisation d'impôt de solidarité sur la fortune due en 2012 ; que dans ces conditions, la déduction de l'ISF acquitté en juin 2012 du montant de la CEF, exigible en novembre 2012, constitue, quels que soient ses motifs, en pratique « une limitation des effets de la CEF » ; que par conséquent, l'application de taux proportionnels puis la déduction du montant de l'ISF, confèrent à l'imposition litigieuse une proportionnalité conforme aux dispositions invoquées ; que, de ce chef, cette contribution ne peut être regardée comme faisant peser une charge excessive sur les contribuables ; que cette disposition maintient ainsi un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits de l'homme, dont fait partie le droit de propriété ; qu'elle ne confère pas, en tant que telle, un caractère confiscatoire à l'imposition ; qu'elle ne méconnaît pas l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que si Mme [I] prétend que ces dispositions n'auraient pas permis au redevable d'aménager légalement sa situation patrimoniale et personnelle, il ne peut qu'être relevé, comme le tribunal l'a fait, qu'elle ne produit aux débats aucune pièce relative à ses revenus et à sa situation patrimoniale, ni à la répartition de son patrimoine et des liquidités dont elle disposait, ni enfin au montant des impositions qu'elle a acquittées en 2012, ni aux impositions au titre de l'année précédente ou de l'année suivante ; que la contribution exceptionnelle sur la fortune versée par Mme [I] s'est élevée à 614.744 euros, pour une base imposable de 54.398.421 euros ; qu'elle représente ainsi 1,13 % de son patrimoine imposable ; que, s'agissant d'une imposition du patrimoine, la capacité contributive ne s'apprécie pas par rapport aux seuls revenus, non révélés par Mme [I] ; qu'à défaut, le niveau de taxation pourrait dépendre des choix de gestion des redevables, certains pouvant privilégier la détention de biens ne procurant pas de revenus imposables ; que doit donc être prise en compte, pour apprécier le caractère excessif ou confiscatoire d'un impôt sur le patrimoine, la capacité contributive conférée au redevable par la détention des biens et droits composant ce patrimoine sans que soient retenus ses seuls revenus ; que la seule circonstance que le paiement de la contribution absorbe les revenus imposables du contribuable et l'oblige à mobiliser une partie de son patrimoine, ce dont Mme [I] ne justifie pas, ne suffit pas, en toute hypothèse, à établir le caractère confiscatoire de l'imposition ; que doit être pris en considération l'impact effectif de l'imposition sur la consistance même du patrimoine ; que si l'organisation du patrimoine de Mme [I] relève de sa liberté de choix, elle ne doit pas conduire à réduire une imposition fondée sur la détention d'un patrimoine ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, Mme [I] ne démontre donc pas que cette contribution, exceptionnelle, lui a imposé une charge excessive et que revêtant un caractère confiscatoire, elle a porté fondamentalement atteinte à sa situation financière ; que cette contribution n'a donc pas rompu en ce qui la concerne, le juste équilibre prescrit, notamment par l'article 1er du protocole précité, entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde de ses droits fondamentaux ; qu'elle n'a pas davantage entraîné de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, ni donc porté atteinte à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; (Sur la remise en cause d'une situation légalement acquise) : que le législateur ne saurait, sans motif légitime d'intérêt général suffisant, remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de situations légalement acquises ; que l'appelante dénonce l'artifice juridique consistant en la désignation de sa date d'entrée en vigueur comme fait générateur de la CEF et le fait qu'elle ait exclu de son champ d'application les personnes ayant transféré leur résidence avant le 4 juillet 2012 ; que selon elle, la loi a conduit en pratique à imposer le patrimoine de manière imprévisible et qu'elle est ainsi contraire à l'article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; mais que tel pourrait être le cas de la CEF si elle avait pour effet de remettre en cause la situation du contribuable qui pouvait s'estimer, avant son entrée en vigueur, libéré de l'impôt sur son patrimoine détenu au 1er janvier 2012 ; qu'une telle remise en cause suppose donc que, comme le sous-entend l'appelante, la CEF soit un complément de l'ISF ; que les règles concernant les biens imposables, les exonérations, l'évaluation de la valeur des biens et la déduction du passif sont identiques ; que la date retenue pour déterminer la valeur de cette assiette est identique ; mais que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date d'entrée en vigueur de la loi ; que, dès lors, la situation des contribuables assujettis à l'ISF dont la situation personnelle aura changé avant cette date - ou celle de la présentation du texte - sera différente ; que seuls en sont redevables les contribuables en vie à la date de son effet générateur et non leurs héritiers ; que son assiette est calculée différemment en cas de départ à l'étranger du contribuable entre le 1er janvier 2012 et la date de présentation du texte ; que cette contribution, exceptionnelle, constitue donc une taxe différentielle qui ne se confond pas avec l'ISF ; que l'évolution postérieure de l'ISF n'est pas de nature à remettre en cause le caractère spécifique de cette contribution ; que, comme l'a décidé le Conseil constitutionnel, cette imposition ne revêt donc aucun caractère rétroactif et n'affecte pas une situation légalement acquise ; que ce moyen sera rejeté ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la Cour européenne a admis la rétroactivité d'une disposition de la loi fiscale si l'ingérence de l'Etat dans ce domaine répond à un but d'intérêt général et respecte un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ; qu'il est à tout moment loisible au législateur de modifier des textes antérieurs en leur substituant, le cas échéant d'autres dispositions, sous réserve de ne porter aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; qu'or, Mme [I], qui se contente d'affirmations de principe, n'établit pas que cette contribution n'est pas en cohérence avec l'intérêt général énoncé et l'objectif poursuivi par le législateur, à savoir alourdir l'imposition pesant sur les contribuables détenteurs de patrimoines importants tout en renforçant la progressivité de cette imposition ; qu'en outre, si elle prétend que ces dispositions n'auraient pas permis au redevable d'aménager légalement sa situation patrimoniale et personnelle, elle ne produit aux débats aucune pièce justifiant de ses revenus et de sa situation patrimoniale, de la répartition de son patrimoine et des liquidités dont elle disposait, du montant des impositions qu'elle a acquittées en 2012, pas même ses déclarations au titre de l'ISF pour 2012, l'année précédente et l'année suivante, et pour la CEF en 2012 de nature à démontrer qu'il aurait été porté une atteinte à sa situation insuffisamment justifiée par un motif d'intérêt général ; qu'au surplus, comme le soutient à juste titre l'administration fiscale, si l'assiette de la contribution exceptionnelle sur la fortune est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, le fait générateur de cette imposition est la situation du contribuable à la date d'entrée en vigueur de ladite loi et ne sont redevables de cette contribution que les redevables en vie à la date du fait générateur ; qu'il est également prévu que les contribuables ayant quitté le territoire national entre le 1er janvier et le 4 juillet 2012 pourront déduire de l'assiette de cette contribution la valeur des biens qui ne sont pas situés en France ;
ALORS QUE le principe de sécurité juridique est un principe général de droit supérieur aux lois nationales et oblige les Etats en matière de prévisibilité des lois fiscales ; qu'en l'espèce, Mme [I] avait soutenu que la loi du 16 août 2012, prévoyant un fait générateur spécifique sur une base unique et figée huit mois avant son entrée en vigueur, venait amputer a posteriori et de manière imprévisible la valeur du patrimoine détenu par le contribuable au 1er janvier 2012 sans aucune possibilité d'anticipation et de prévision du supplément d'impôt ; qu'en décidant dès lors que « cette imposition ne revêt aucun caractère rétroactif et n'affecte pas une situation légalement acquise », la cour d'appel a violé l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.