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15/09/2021 | FRANCE | N°19-24814

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 15 septembre 2021, 19-24814


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

NL4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 septembre 2021

Cassation partielle

Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 539 F-D

Pourvoi n° Q 19-24.814

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [P] [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 septembre 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_______

__________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 S...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

NL4

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 septembre 2021

Cassation partielle

Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 539 F-D

Pourvoi n° Q 19-24.814

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [P] [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 septembre 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2021

M. [P] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 19-24.814 contre l'arrêt rendu le 12 février 2019 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [X] [Y], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à M. [V] [Y], domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Mouty-Tardieu, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. [Y], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Mouty-Tardieu, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 février 2019), [M] [Y] et [F] [O], son épouse, sont respectivement décédés les [Date décès 2] 2007 et [Date décès 1] 2010, laissant pour leur succéder leurs enfants, [X], [V] et [P].

2. Des difficultés sont survenues lors du partage de ces successions.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. M. [P] [Y] fait grief à l'arrêt de retenir que M. [V] [Y] disposait d'une créance de salaire différé à la charge de la succession de [M] [Y], alors « que sont réputés bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de 18 ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration ; qu'en l'espèce, pour allouer à M. [V] [Y] une somme de 1 573 euros comme salaire différé, la cour d'appel a relevé qu'il avait souscrit un contrat d'apprentissage avec son père pendant trois années et avait payé, pour la période du 15 juillet au 31 décembre 1964 et pour les années 1965 et 1966, une somme de 1 573 euros au titre d'un arriéré de cotisations ; qu'en statuant ainsi, sans constater l'absence de rémunération de M. [V] [Y] pendant les périodes où il aurait participé en qualité d'apprenti à l'exploitation agricole de son père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

4. Ayant soutenu, dans ses conclusions d'appel, que M. [V] [Y] ne formulait pas une demande de salaire différé en tant que tel, mais sollicitait simplement le remboursement d'une somme réglée afin de racheter des points retraite, M. [P] [Y] n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [P] [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de salaire différé, alors « que le bénéfice d'un salaire différé est subordonné à ce que le demandeur soit descendant d'un exploitant agricole, qu'il ait participé directement et effectivement à l'exploitation familiale après l'âge de 18 ans, qu'il n'ait été associé ni aux bénéfices ni aux pertes de l'exploitation et n'ait pas reçu de salaire en argent en contrepartie de la collaboration fournie ; qu'en l'espèce, pour débouter M. [P] [Y], né le [Date naissance 1] 1962, de sa demande de versement des salaires différés au titre des travaux agricoles réalisés en 1981, 1983, 1984 et 1985 dans l'exploitation de son père M. [M] [Y], décédé en 2007, la cour d'appel a, après avoir constaté que M. [P] [Y] avait travaillé sans être rémunéré quatre années dans la ferme de son père avant de s'installer à son compte, considéré qu'il avait agi en qualité d'aide familiale bénévole ; qu'en statuant ainsi, alors même que la qualité d'aide familiale bénévole était insuffisante pour exclure le bénéfice d'un salaire différé, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime :

6. Selon ce texte, les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers.

7. Pour rejeter la demande de M. [P] [Y], l'arrêt retient que ce dernier établit l'ensemble des éléments nécessaires à l'application de la présomption d'existence d'un contrat de travail. Il relève toutefois que M. [P] [Y] a travaillé pendant quatre années avec le statut d'aide familial bénévole, ce qui conduit à l'absence du bénéfice d'une créance de salaire différé.
8. En statuant ainsi, alors que la qualité d'aide familial n'exclut pas le bénéfice d'un salaire différé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de salaire différé de M. [P] [Y], l'arrêt rendu le 12 évrier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne M. [V] [Y] et Mme [X] [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [V] [Y] et Mme [X] [Y] à payer à la SCP Boulloche la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et signé par M. Hascher, conseiller, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché et signé et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. [P] [Y]

Le premier moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [P] [Y] de sa demande de versement de salaires différés ;

Aux motifs qu'« au visa de l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime, [P] [Y] fait valoir qu'il doit bénéficier de salaire différé au titre de travaux agricoles réalisés en 1981, 1983, 1984 et 1985 ; à l'appui de sa demande il verse une attestation de la MSA démontrant son affiliation pour ces mêmes années en tant qu'aide familiale, selon les démarches de son père ; il affirme ne pas avoir été rémunéré pour cela et que [V] et [X] [Y] ne démontrent pas que la réception d'une maison et de terrasse de la part de ses défunts parents ; son frère [V] forme pareille demande pour une période ultérieure ;
Certes aux termes de l'article L 321-13 du code rural "les descendants d'un exploitant agricole âgé de plus de dix-huit qui participe directement et effectivement à l'exploitation sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé, sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers ; le taux annuel du salaire sera égal pour chacune des années de participation à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit à la date du règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivant de l'exploitant" ;

Au cas d'espèce, il ne peut s'agir que d'une créance que [P] [Y] est fondé à invoqué au jour du partage ;
Celle-ci n'était pas chiffrée précisément ; elle porte sur une somme de 54 135,46 € "à parfaire" à ce jour ;
S'agissant de cette demande en paiement de salaires différés formulée par [P] [Y], les intimés affirment qu'il n'était pas une aide mais travaillait à son compte depuis l'exploitation familiale et qu'il détient tout de même une maison et des terres qui seraient le financement de ce travail ;
Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention précise l'article 9 du code de procédure civile ;
[P] [Y] fait valoir qu'il a travaillé sans être rémunéré pendant quatre années dans la ferme de son père avant de s'installer à son compte ;
Il produit pour ce faire une attestation d'activité de la MSA (mutuelle santé agricole) non datée, qui fait apparaître la prise en compte de 4 trimestres de cotisations retraite pour chacune de ces années ; en outre il établit par de nombreux témoignages lesquels sont recevables s'agissant de faits juridiques, qui attestent pour les années concernées, de sa présence et de son travail effectif de [P] [Y] à la ferme de son père [W] [Y] ; par conséquent la présomption de l'existence d'un contrat de travail sus énoncée doit recevoir application ;
Cependant tel que relevé par les intimés, la dénomination d'aide familiale, est définie dans le cadre de l'article L 722-10 du même code, qui régit "l'affiliation à l'assurance obligatoire maladie, invalidité et maternité des personnes non salariées des professions agricoles" ; elle s'applique aux "aides familiaux" lesquels sont définis comme "des descendants ou ascendants, frères, soeurs et alliés au même degré du chef d'exploitation ou d'entreprise ou de son conjoint, âgés de plus de seize ans, visant sur l'exploitation ou l'entreprise et participant à sa mise en valeur comme non salarié" ;
Par conséquent il résulte des propres documents produits par l'appelant l'absence de bénéfice d'une créance de salaire différé ayant travaillé ces quatre années dans le cadre d'une aide familiale bénévole » (arrêt p 5, § 3 et suiv.) ;

Et aux motifs adoptés du jugement que « l'article L 321-13 du code rural dispose que les descendants d'un exploitant agricole, qui âgés de plus de 18 ans, participent directement et effectivement à l'exploitation sans être associés aux bénéfices et aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de salaires différés, sachant qu'en vertu de l'article L 321-18 du code rural, la preuve de la participation à l'exploitation agricole peut être rapportée par tous moyens.
M. [P] [Y] revendique une créance à ce titre pour la période du 1er janvier 1981 au 31 décembre 1981 et du 1er janvier 1983 au 31 décembre 1985. Il ne produit pour cette période aucun élément de preuve quant aux dates et à la nature des travaux pour que sa demande de salaire différé soit accueillie?» (jugement p 5, § 6 et suiv.) ;

1°) Alors que le bénéfice d'un salaire différé est subordonné à ce que le demandeur soit descendant d'un exploitant agricole, qu'il ait participé directement et effectivement à l'exploitation familiale après l'âge de 18 ans, qu'il n'ait été associé ni aux bénéfices ni aux pertes de l'exploitation et n'ait pas reçu de salaire en argent en contrepartie de la collaboration fournie ; qu'en l'espèce, pour débouter M. [P] [Y], né le [Date naissance 1] 1962, de sa demande de versement des salaires différés au titre des travaux agricoles réalisés en 1981, 1983, 1984 et 1985 dans l'exploitation de son père M. [M] [Y], décédé en 2007, la cour d'appel a, après avoir constaté que M. [P] [Y] avait travaillé sans être rémunéré quatre années dans la ferme de son père avant de s'installer à son compte, considéré qu'il avait agi en qualité d'aide familiale bénévole ; qu'en statuant ainsi, alors même que la qualité d'aide familiale bénévole était insuffisante pour exclure le bénéficie d'un salaire différé, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) Alors que la cour d'appel a rejeté la demande de versement des salaires différés formée par M. [P] [Y] tout en constatant que ce dernier avait effectivement travaillé pendant quatre ans dans la ferme de son père sans rémunération ; qu'en rejetant sa demande, sans constater que les conditions prévues par l'article L 321-13 du code rural et de la pêche maritime pour bénéficier de salaires différés sollicités par M. [P] [Y] n'étaient pas réunies, à savoir qu'aux dates litigieuses, M. [Y] n'était pas âgé de 18 ans, qu'il n'avait pas participé à l'exploitation de la ferme de son père et qu'il avait perçu une rémunération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte.

Le second moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir jugé que M. [V] [Y] disposait d'une créance de salaire différé de 1 573 € à la charge de la succession de [M] [Y] ;

Aux motifs que « sur la demande de salaires différés formulée par [V] [Y], celui-ci précise avoir travaillé avec son père de 1964 à 1969 sans percevoir de rémunération, ce qui lui a notamment imposé de racheter ses points de retraite ;
[P] [Y] s'y oppose en indiquant que payée en 2005, cette demande en remboursement de sommes est prescrite ;
Cependant, la prescription de l'article 2224 du code civil qui au demeurant était de 10 ans en 2005, ne s'applique pas à une demande portant sur la prise en compte de sommes dues accessoirement à un salaire ;
Par conséquent, la demande est recevable ;
En outre, [V] [Y] justifie avoir souscrit un contrat d'apprentissage avec son père le 8/07/1964 pour une durée de trois années ;
il résulte de la lettre de l'Urssaf du 8/04/2005 qu'il n'a pas été déclaré par son père pour cette période au titre de l'assurance vieillesse ; de plus il établit avoir payé une somme de 1 573 € au titre de cotisations s'agissant de charges accessoires au salaire d'apprenti, il justifie ainsi du bien fondé de sa créance au titre du salaire différé ;
Le jugement déféré sera infirmé sur ce point » (arrêt p 6, § 3 et suiv.) ;

Alors que sont réputés bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de 18 ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration ; qu'en l'espèce, pour allouer à M. [V] [Y] une somme de 1 573 € comme salaire différé, la cour d'appel a relevé qu'il avait souscrit un contrat d'apprentissage avec son père pendant trois années et avait payé, pour la période du 15 juillet au 31 décembre 1964 et pour les années 1965 et 1966, une somme de 1 573 € au titre d'un arriéré de cotisations ; qu'en statuant ainsi, sans constater l'absence de rémunération de M. [V] [Y] pendant les périodes où il aurait participé en qualité d'apprenti à l'exploitation agricole de son père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.321-13 du code rural et de la pêche maritime.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-24814
Date de la décision : 15/09/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, 12 février 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 15 sep. 2021, pourvoi n°19-24814


Composition du Tribunal
Président : Mme Auroy (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Boulloche

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.24814
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