CIV. 1
NL42
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 septembre 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen faisant fonction de président
Décision n° 10611 F
Pourvoi n° J 20-11.220
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
La société Zohra, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 20-11.220 contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2019 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [X] [F], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Darret-Courgeon, conseiller, les observations écrites de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Zohra, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F], après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Darret-Courgeon, conseiller rapporteur, M. Girardet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Zohra aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Zohra
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué, après avoir constaté que maître [X] [F], notaire, n'avait pas satisfait à son obligation d'information à l'égard de la société Zohra, lors de la rédaction des actes de cession des 10 septembre 2009, 11 février 2011 et 19 août 2011, d'avoir débouté la société Zohra de ses demandes tendant à voir condamner maître [F] à lui payer la somme de 394.740 euros en réparation de son préjudice matériel et financier et celle de 30.000 euros en réparation des autres préjudices au titre de sa responsabilité civile professionnelle ;
Aux motifs que, « sur la faute du notaire, le notaire est tenu professionnellement de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente ; il est aussi tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours ; au cas d'espèce, sa responsabilité peut être engagée si les manquements déclaratifs du vendeur qui, en sa qualité d'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée se devait de remplir les déclarations auxquelles il était soumis de par son activité, ont été consécutifs à une information incomplète délivrée sur la fiscalité des mutations en cause ; l'intensité de ce devoir d'information et de conseil varie en fonction de l'objet du conseil fiscal attendu, s'il touche aux conséquences fiscales immédiates de l'acte, autrement dit au régime fiscal auquel l'opération est soumise, ou s'il concerne les conséquences fiscales médiates ou futures de l'acte, le notaire ne répond d'un défaut d'information et de conseil que si ce but était connu de lui ou s'il entrait nécessairement dans le périmètre du contrat ; la société Zohra allègue que le notaire a fait une erreur quant au régime fiscal applicable, dès lors que la TVA devait être ajoutée au prix de vente et réglée par le client, au lieu de quoi le notaire l'a assujettie au droit de mutation et a omis de compter la TVA en sus du prix hors taxe ; pour l'administration fiscale, elle aurait dû être soumise à la TVA sur marge en application des articles 257-1 et 268 du code général des impôts et a proposé une rectification concernant la taxe sur la valeur ajoutée pour la période du premier janvier 2009 au 21 décembre 2011 ; Me [F] soutient qu'en matière de vente immobilière, le notaire doit uniquement s'interroger sur le régime fiscal qui doit s'appliquer pour la liquidation des droits relatifs à l'opération d'acquisition et a le choix entre deux impositions possibles, soit la taxe sur la valeur ajoutée immobilière, soit le droit d'enregistrement (article 1594D CGI-4,80%) ; les cessions effectuées par la société Zohra l'ont été en sa qualité de marchand de biens tel que cela figure aux trois actes établis aux paragraphes relatifs aux déclarations fiscales et taxation des plus-values ; il est également indiqué aux actes que « cette mutation n'entre pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée » (acte du 10/9/2009 page 7), « pour la perception des droits le vendeur déclare ne pas être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée [?] En conséquence, la présente mutation n'entre pas dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée et est soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu à l'article 1594D du Code général des impôts qui est due par l' acquéreur » ( acte du 11/02/2011 page 8 et acte du19/8/2011 page 9) ; or la loi nº 2010-237 du 9 mars 2010 a modifié les termes de l'article 257 du code général des impôts et a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations qui n'y étaient pas antérieurement soumises, de sorte que les opérations réalisées par les marchands de bien, autres que les constructions, relevaient de la taxe sur la valeur ajoutée selon les règles de droit commun avec pour base d'imposition la marge et non la totalité du prix de vente, conformément à l'article L 257-6 a du code général des impôts abrogé par le texte susvisé ; en procédant de façon identique pour l'acte passé le 10 septembre 2009, donc avant cette réforme, et ensuite pour les actes passés en 2011, Me [F] a manifestement commis une faute sur le régime fiscal applicable et manqué à son devoir de conseil en la matière comme la jugé à bon droit le tribunal ; Sur le lien de causalité, la responsabilité du notaire peut être engagée s'il commet une faute ou une négligence dans l'accomplissement de sa mission, dès lors qu'il en résulte un préjudice indemnisable ; ainsi l'existence d'une faute du notaire ne suffit pas à engager sa responsabilité : il faut qu'il en résulte un préjudice qui ait bien été provoqué par celle-ci, c'est-à-dire qui soit en lien de causalité avec cette faute ; la responsabilité du notaire est écartée si l'accomplissement de son obligation n'aurait de toute façon pas découragé le contractant de réaliser l'opération dommageable ; l'intérêt pour le client de voir le notaire remplir son devoir d'information et de conseil en matière fiscale est de lui permettre de renoncer à l'opération envisagée en connaissance de cause ; c'est à celui qui prétend avoir subi des préjudices dans le cadre de l'opération ou au titre de la perte de chance d'avoir pu y renoncer, de prouver de manière certaine qu'en étant plus amplement informé, il n'aurait pas contracté ; en l'espèce, force est de constater que la société Zohra ne rapporte pas cette preuve, puisqu'elle n'invoque à l'appui de ses demandes que les conséquences du redressement fiscal dont elle a été l'objet ; l'impôt en soi n'est pas un préjudice indemnisable ; ensuite c'est le redevable fiscal, en règle générale, qui est responsable du bon accomplissement des formalités fiscales et, au vu des éléments versés aux débats relatifs à la procédure de redressement dont a été l'objet la société Zohra, il n'est pas contestable que celle-ci n'avait effectué aucune déclaration fiscale en 2009, 2010 et 2011, ni tenu de comptabilité régulière, les trois cessions en cause n'étant pas enregistrées, ni même les acquisitions des terrains vendus dans les stocks de la société, et plusieurs manquements en matière de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée ont été retenus par l'administration fiscale en dehors des trois cessions en cause ; le redressement a ainsi porté sur la taxe sur la valeur ajoutée à appliquer aux trois opérations d'acquisitions instrumentées par Me [F] mais aussi sur une rectification en matière d'impôt sur les sociétés pour omission de produits (les prix de vente encaissés), des charges comptabilisées à tort en immobilisations alors qu'il s'agit de travaux constituant le stock de marchand de biens, des charges non justifiées, tous manquements étrangers aux actes établis par le notaire et considérés comme délibérés par l'administration fiscale qui a appliqué une majoration de 40% à titre de pénalité ; les sommes que la société Zohra a dû payer au titre du redressement sont donc pour la plupart sans lien avec la faute du notaire, et pour le calcul de l'imposition sur marge auquel les trois ventes auraient dû être soumises, l'administration a retenu pour base le prix de vente hors taxe reconstitué et non un prix toutes taxes ; enfin, en tout état de cause, la taxe sur la valeur ajoutée a vocation à être reversée aux services fiscaux et ne peut en ellemême constituer un complément de prix qui aurait échappé à la société Zohra ; il sera également relevé que les trois cessions réalisées par la société Zohra l'ont été dans le cadre de son activité de marchand de biens, et que la vente du 19 août 2011 a été faite à l'un de ses associés Monsieur [G], et celle du 11 février 2011 à une société civile immobilière L'oeillet dont les deux associés sont également ceux de la société Zohra, Monsieur [G] et Madame [U] ; il est ainsi peu probable comme la société Zohra le soutient qu'elle aurait renoncé à vendre, dès lors qu'en ayant acquis (à Madame [U]) le 17/9/2009, le terrain loti elle avait souscrit l'engagement de le revendre dans un délai de 4 ans pour bénéficier des dispositions de l'article 1115 du code général des impôts, ni même qu'elle aurait vendu à un prix supérieur, incluant la taxe sur la valeur ajoutée ; au vu de ces constatations et la société Zohra ne rapportant pas la preuve qui lui incombe de ce que mieux informée elle aurait renoncé, le jugement qui a condamné Me [F] à lui payer une somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts sera infirmé ; par voie de conséquence la société ZOHRA sera déboutée de toutes ses autres demandes indemnitaires » (arrêt p. 7, § 7 à p. 9, § 6) ;
1°) Alors que le manquement du notaire à son obligation d'information et de conseil lui impose de réparer l'intégralité du préjudice causé à son client par une telle faute ; que la cour d'appel a constaté que la société Zohra avait fait l'objet d'une vérification de comptabilité par l'administration fiscale sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011, qu'une proposition de rectification lui avait été signifiée le 26 décembre 2012 portant rappels en matière de TVA pour les trois cessions des 10 septembre 2009, 11 février 2011 et 19 août 2011 (arrêt p. 2) et que maître [F], notaire, avait commis à l'égard de la société Zohra une faute sur le régime fiscal applicable en ne soumettant pas les trois ventes qu'elle avait réalisées à la TVA, manquant ainsi à son devoir de conseil en la matière (arrêt p. 8, §4) ; qu'il résulte de ces constatations que l'absence d'assujettissement des trois actes de cession à la TVA a été à l'origine du redressement fiscal dont la société Zohra a fait l'objet et qui a mis à sa charge non seulement la TVA mais également des pénalités et indemnités de retard ; qu'en retenant néanmoins l'absence de tout lien de causalité entre la faute retenue du notaire, consistant à ne pas avoir assujetti les ventes à la TVA, et le préjudice tenant notamment à un rappel de TVA, à des pénalités et indemnités de retard, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
2°) Alors que si le paiement d'un impôt légalement dû ne constitue pas un préjudice réparable, le paiement des intérêts et majorations de retard consécutifs au non-paiement de cet impôt est indemnisable, dès lors que le contribuable n'a pas acquitté à l'échéance l'impôt légalement dû à raison du manquement du notaire à son devoir de conseil ; que la société Zohra faisait valoir que le redressement fiscal dont elle avait fait l'objet en raison de la faute du notaire qui n'avait pas soumis les trois cessions immobilières à la TVA avait mis à sa charge non seulement la TVA, mais également des pénalités et indemnités de retard ; qu'en se bornant à affirmer, pour débouter la société Zohra de sa demande d'indemnisation au titre des pénalités et intérêts de retard dus à la suite du redressement fiscal dont elle avait fait l'objet, que l'impôt n'était pas un préjudice indemnisable, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions d'appelant n°3 de la société Zohra p. 4, §§ 4 et 5), si la réclamation des intérêts et majorations de retard consécutifs au non-paiement de la TVA était indemnisable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
3°) Alors que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l'acte auquel il prête son concours, notamment quant à ses incidences fiscales; qu'en se fondant, pour écarter l'existence d'un lien de causalité entre le manquement établi du notaire à son devoir de conseil, lequel n'avait pas assujetti les trois actes de cession à la TVA, et les préjudices subis par la société Zhora, sur la circonstance que le redressement fiscal avait porté non seulement sur la TVA à appliquer aux trois opérations d'acquisitions instrumentées par maître [F] mais aussi sur d'autres manquements étrangers aux actes établis par le notaire, la cour d'appel qui a statué par un motif inopérant, impropre à écarter le lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice subi par la société Zohra, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
4°) Alors qu'en relevant d'office le peu de probabilité que la société Zohra aurait renoncé à vendre dès lors qu'en ayant acquis à madame [U] le 17 septembre 2009 le terrain loti, elle avait souscrit l'engagement de le revendre dans un délai de quatre ans pour bénéficier des dispositions de l'article 1115 du code général des impôts, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
5°) Alors que, en tout état de cause, le manquement du notaire à son obligation d'information ou de conseil lui impose de réparer l'intégralité du préjudice causé à son client par une telle faute ; qu'en se bornant, pour écarter l'existence d'un lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice subi par la société Zohra, à énoncer qu'il était peu probable que celle-ci aurait renoncé à vendre dès lors qu'en ayant acquis à madame [U] le 17 septembre 2009 le terrain loti, elle avait souscrit l'engagement de le revendre dans un délai de quatre ans pour bénéficier des dispositions de l'article 1115 du code général des impôts, ni même qu'elle aurait vendu à un prix supérieur, incluant la taxe sur la valeur ajoutée, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions d'appelant n°3 de la société Zohra pp. 4 & 5), si la société Zohra subissait un préjudice du seul fait qu'en l'absence du manquement de maître [F] à son obligation de conseil et d'information, elle aurait eu le choix entre ne pas vendre, et donc ne pas payer la dite TVA, ou bien vendre pour un prix TTC à son acquéreur et ainsi être réglée de la TVA à payer au Trésor public, de sorte qu'elle n'aurait pas eu de rappel de TVA ni pénalités et indemnités de retard, ni perte sur les prix de vente des lots, ce dont il résultait qu'il existait un lien de causalité entre les manquements reprochés au notaire et le préjudice dont il était demandé réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu 1240 du code civil ;
6°) Alors que la chance perdue est caractérisée par la disparition de la probabilité d'obtenir un avantage ou par la disparition de la possibilité d'éviter une perte; qu'en retenant qu'il était peu probable que la société Zohra aurait renoncé à vendre, dès lors qu'en ayant acquis à madame [U] le 17 septembre 2009 le terrain loti, elle avait souscrit l'engagement de le revendre dans un délai de quatre ans pour bénéficier des dispositions de l'article 1115 du code général des impôts, ni même qu'elle aurait vendu à un prix supérieur, incluant la taxe sur la valeur ajoutée, quand l'absence de certitude sur le comportement qu'aurait eue la société Zohra n'était pas de nature à exclure l'existence de la perte de chance de ne pas vendre les lots, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
7°) Alors que constitue un préjudice réparable le fait pour une partie d'avoir été privée de la possibilité de prendre la décision que la protection de ses intérêts lui aurait dictée si elle avait été correctement informée ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'indemnisation de la société Zohra, que cette société ne prouvait pas de manière certaine qu'en étant plus amplement informée, elle n'aurait pas contracté, cependant que la société Zohra avait été privée de la possibilité de prendre la décision que la protection de ses intérêts lui aurait dictée si elle avait été correctement informée et avait ainsi subi un préjudice qui, même entaché d'un aléa, n'en était pas moins certain, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil.