COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 septembre 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme MOUILLARD, président
Décision n° 10431 F
Pourvoi n° Y 19-12.793
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 SEPTEMBRE 2021
Mme [L] [Z], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 19-12.793 contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Banque CIC Est, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme [Z], de Me Le Prado, avocat de la société Banque CIC Est, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [Z] et la condamne à payer à la société Banque CIC Est la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme [Z].
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la société CIC Est n'avait pas commis de faute ni de manquement à son devoir de mise en garde lors de la souscription par Mme [L] [Z] du prêt personnel du 2 mai 2008, rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts de Mme [L] [Z] et condamné cette dernière à payer à la société CIC Est la somme de 63 052,18 euros, avec intérêts au taux contractuel de 5,5 % par an sur la somme de 53 422,98 euros, à compter du 8 février 2012, au titre du solde de ce prêt,
Aux motifs que « sur les fautes reprochées à la banque, en application des dispositions des articles 1134 et 1147 anciens du code civil dans leur version en vigueur jusqu'au 1er octobre 2016, la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenu à son égard, lors de la conclusion du contrat, d'un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques d'endettement excessif né de l'octroi du prêt ; que le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces produites que Mme [L] [Z] est la directrice générale de la société Est auto service, société anonyme immatriculée au registre du commerce et de sociétés depuis le 26 décembre 1991, dont le président du conseil d'administration est M. [W] [Z] et dont elle est administrateur avec M. [P] [Z] ; qu'elle est par ailleurs gérante de la société à responsabilité limitée Claye automobile service, qui a la même activité de réparation et d'entretien de véhicules automobiles légers que la société Est auto service, immatriculée depuis le 26 février 1996 et associée de la société à responsabilité limitée BSNM constituée avec M. [W] [Z] et M. [C] [Z], en septembre 1995, ayant pour activité la location commerciale d'établissement industriels et commerciaux dont il n'est pas contesté qu'elle a acquis en 1995 le terrain sur lequel a été construit et exploité un nouveau garage par la société Claye automobile service ; que l'attestation de Mme [U], expert-comptable, établie le 2 avril 2012 et produite aux débats par Mme [L] [Z], si elle fait état de difficultés rencontrées par les sociétés des consorts [Z] à compter d'un changement de concessionnaire imposé par la société Renault rappelle que la société Est auto service a d'abord été en 1987 une entreprise individuelle puis qu'elle s'est constituée sous forme de société anonyme en 1991 sous l'impulsion de ses dirigeants dont elle souligne le dynamisme et le professionnalisme, ceux-ci ayant ensuite décidé pour « développer la clientèle et cerner au mieux la rentabilité » et de créer une filiale, la société Claye automobile service afin d'étendre l'activité sur le secteur de Claye Souilly ; que Mme [U] précise que depuis le changement de concessionnaire, Mme [L] [Z] l'a « tenue informée régulièrement des difficultés qu'elle rencontrait dans son activité journalière » et qu'elle l'a « assistée à plusieurs reprises pour faire face à ses obligations tant administratives que financière » ; que les éléments produits par la société CIC Est démontrent qu'entre 1996 et 2006 la société Claye automobile service est passé d'un chiffre d'affaires de 628 837 euros à 946 670 euros, le chiffre d'affaires de la société Est auto service étant de 578 889 euros en 1998 ; que, pour sa part, Mme [L] [Z] indique que le même jour où elle a souscrit le prêt personnel litigieux, le 2 mai 2008, la société Claye automobile service dont elle est la gérante s'est vue consentir par la société CIC Est un prêt de restructuration d'un montant de 80 000 euros ; qu'ainsi, Mme [L] [Z] apparaît non comme occupant un poste de directrice générale de la société Est auto service dans une « micro entreprise familiale » à titre purement honorifique comme elle le soutient alors que la société serait dirigée par « les hommes de la famille » mais comme dirigeant et gérant effectivement depuis plus de quinze ans la société Est auto service au quotidien ainsi que sa filiale la société Claye automobile service depuis de très nombreuses années et avec succès ; que son implication dans ces deux sociétés, comme dans la troisième société familiale, la société BNSM dont elle est associée, est confirmée par la teneur des courriers qu'elle adresse en 2012 à la société CIC Est et au président du tribunal de commerce de Meaux dans lesquels elle réclame des délais de paiement dans l'attente de rentrées de fonds et dénonce des erreurs de gestion de la banque quant au rejet de certains chèques sur le compte de la société BNSM alors que la situation financière de celle-ci permettait de les régler ; que, dans ces conditions, il apparaît qu'au vu de son expérience dans la vie des affaires depuis plus de quinze ans comme dans la gestion d'au moins deux sociétés ayant connu un développement commercial important et présentant des chiffres d'affaires non négligeables et contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge, Mme [L] [Z] est tout à fait en mesure d'apprécier la portée de l'obligation de remboursement qu'elle contractée en souscrivant le 2 mai 2008 un prêt personnel d'un montant de 70 000 euros remboursable par 84 mensualités d'un montant de 1 005,90 euros alors même qu'elle ne disposait que d'un salaire de 1 370 euros et de revenus déclarés en 2008 à hauteur de 1 420 euros seulement par mois (14 639 + 2 406/12) ; que, de même, Mme [L] [Z] est parfaitement au fait, ce qu'elle ne conteste pas, de la situation financière exacte des sociétés dont elle tire ses revenus, en particulier de la société Est auto service, à laquelle les fonds empruntés étaient manifestement destinés et ne soutient d'ailleurs pas que la société CIC Est aurait disposé sur ses capacités de remboursement comme sur les risques de cet apport en compte courant effectué à l'aide du prêt litigieux de renseignements qu'elle aurait pu elle-même ignorer, étant précisé que les échéances du prêt litigieux ont été régulièrement honorées pendant deux ans ; que, dès lors, Mme [L] [Z] étant un emprunteur averti, la société CIC Est n'était pas débitrice à son encontre d'un devoir de mise en garde, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être imputée à ce titre et que le jugement entrepris est infirmé de ce chef ; que, par ailleurs, Mme [L] [Z] justifie par la production de l'attestation de Mme [U], expertcomptable, qu'à la suite de ce changement de concessionnaire la société Est auto service a connu des difficultés dans son activité ainsi que sa filiale, la société Claye automobile service créée pour exploiter un garage Renault, construit sur une nouvelle zone d'activité ; que les pièces versées aux débats par la banque confirment qu'en 2007 et 2008 le chiffre d'affaires de ces deux sociétés a significativement diminué par rapport à l'année précédente même s'il convient de relever qu'il s'est redressé en 2010 pour la société Est auto service et qu'elles ont toutes deux poursuivi leur activité jusqu'en 2013 avant d'être déclarées en liquidation judiciaire puis radiées du registre du commerce et des sociétés de Meaux suite à la clôture des procédures pour insuffisance d'actif le 8 septembre 2014 pour la société Est auto service et le 22 mai 2017 pour la société Claye automobile service, soit plusieurs années après l'octroi du prêt litigieux à Mme [L] [Z] du 2 mai 2008 ; que, de plus, alors que Mme [L] [Z] est directrice générale de la société Est auto service et gérante de la société Claye automobile service à laquelle la société CIC Est accorde un crédit de restructuration d'un montant de 80 000 euros le même jour, elle ne démontre pas avoir emprunté la somme de 70 000 euros à titre personnel sous la contrainte de la banque, laquelle ne conteste pas que cette somme ait eu vocation à abonder la trésorerie de la société Est auto service ; que, de même, Mme [L] [Z] ne rapporte pas la preuve que par cette opération la banque a délibérément porté atteinte à ses intérêts alors qu'un crédit consenti directement au profit de la société Est auto service, dont elle se serait portée caution, lui aurait permis de bénéficier de la réglementation protectrice des cautions personnes physiques et aurait imposé à la société CIC Est d'établir une fiche de renseignements sur ses capacités financières faisant ressortir qu'elles n'étaient pas suffisantes ; qu'en effet, outre qu'aucun élément ne démontre que la banque lui a imposé le prêt personnel litigieux et que la société CIC Est relève, sans être contredite sur ce point, que les fonds empruntés ont été transférés par Mme [L] [Z] à la société Est auto service sous la forme d'un apport sur son compte courant d'associée qu'elle avait donc vocation à récupérer, l'argument de Mme [L] [Z] postule qu'elle aurait été forcément déchargée de son engagement de caution en cas de défaillance de la débitrice principale et de demande en paiement formée à son égard en raison de la disproportion avérée du cautionnement à ses biens et revenus, alors qu'une telle décharge ressort de l'appréciation d'un juge et que la capacité de la caution à faire face à son engagement ne s'apprécie pas seulement au moment de la souscription de celui-ci mais également au moment où elle est appelée en paiement ; qu'enfin, il résulte des pièces produites que les fonds prêtés à Mme [L] [Z], crédités sur son compte bancaire personnel le 5 mai 2008, ont été effectivement transférés le même jour vers la société Est auto service sans que l'absence de production par la banque d'un ordre de virement écrit émanant de Mme [L] [Z] ne caractérise un faute de l'établissement bancaire dès lors qu'il n'est pas nécessaire pour établir la volonté de Mme [L] [Z] de voir procéder à cette opération pour laquelle elle ne conteste pas avoir donné son accord et dont elle n'a jamais remis en cause la validité depuis 2008 ; que, dans ces conditions, il n'est pas plus établi que la société CIC Est aurait commis une faute en imposant à Mme [L] [Z] le prêt personnel litigieux dans l'intention de nuire à ses intérêts ; que, par conséquent, la demande en paiement de dommages-intérêts formée par Mme [L] [Z] est rejetée et le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il lui a alloué une somme de 4 722,07 euros en réparation du préjudice subi en raison de la perte de chance de ne pas contracter le prêt du 2 mai 2008 » ;
Alors 1°) que la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenu à son égard, lors de la conclusion du contrat, d'un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt ; que, pour dispenser la banque de son devoir de mise en garde envers l'emprunteur, la cour d'appel s'est fondée sur ses fonctions de dirigeant et gérant de la société Est auto service et de sa filiale, la société Claye automobile service, ainsi que sur son implication dans ces deux sociétés, comme dans la troisième société familiale, la société BNSM dont elle est associée ; qu'en déduisant ainsi la qualité d'emprunteur averti de Mme [Z] de cette seule circonstance, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à établir que l'emprunteur était averti, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Alors 2°) que l'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public, ce qui est le cas des dispositions protectrices de la caution personne physique issues de l'article L. 332-1 du code de la consommation ; que, pour écarter la faute de la banque qui avait fait souscrire à Mme [Z] un prêt personnel, destiné au soutien de l'activité de la société dont elle était le dirigeant, au lieu de faire souscrire ledit prêt à la société, avec le cautionnement de son dirigeant, ne pouvant être manifestement disproportionné à ses biens et revenus, la cour d'appel a relevé que cette société avait poursuivi son activité plusieurs années après l'octroi de ce prêt, puis a énoncé que Mme [Z] ne démontrait pas avoir emprunté la somme de 70 000 euros à titre personnel sous la contrainte de la banque, ni ne rapporte la preuve que par cette opération la banque a délibérément porté atteinte à ses intérêts, dès lors qu'aucun élément ne démontrait que la banque lui a imposé le prêt personnel litigieux et que les fonds empruntés avaient été transférés sous la forme d'un apport sur son compte courant d'associée qu'elle avait vocation à récupérer ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant relevé que la banque ne contestait pas que cette somme ait eu vocation à abonder la trésorerie de la société Est auto service et que la caution ne disposait que d'un salaire de 1 370 euros et de revenus déclarés en 2008 à hauteur de 1 420 euros seulement par mois (14 639 + 2 406/12), par des motifs impropres à faire ressortir l'absence de volonté de la banque d'éluder les dispositions protectrices et d'ordre public de l'article L. 332-1 du code de la consommation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition, ensemble l'article 6 du code civil.