CIV. 1
NL4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 juin 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10476 F
Pourvoi n° C 20-13.606
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2021
Mme [E] [F], domiciliée [Adresse 1]), a formé le pourvoi n° C 20-13.606 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations écrites de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [F], après débats en l'audience publique du 13 avril 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour Mme [F]
D'AVOIR déclaré Mme [E] [F] irrecevable à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française, dit qu'elle est réputée avoir perdu la nationalité française le 16 août 2012, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil, AUX MOTIFS QU'« Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile par la production du récépissé délivré le 10 avril 2019. ; Mme [E] [F] soutient qu'elle est française pour être née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1], Pondichéry (Union indienne) de [D] [P], née le [Date naissance 2] 1945 en Inde anglaise, laquelle a acquis la nationalité française en raison de son mariage le [Date mariage 1] 1960 avec M. [G] [F], né le [Date naissance 3] 1933 à [Localité 1], Ponchéry (Etablissements français de l'Inde), et l'a conservée de plein droit, comme née hors des établissements français de l'Inde et donc non saisie par le traité de cession franco-indien signé le 28 mai 1956 et entré en vigueur le 16 août 1962. ;
L'article 30-3 du code civil dispose que : « Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera plus admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français ». ; Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 du code civil en déterminant la date à laquelle la nationalité française a été perdue. ; Cette fin de non-recevoir suppose que les conditions prévues par le texte précité soient réunies de manière cumulative. ; L'application de l'article 30-3 du code civil est en conséquence, subordonnée à?la réunion des conditions suivantes : d'une part, l'absence de résidence en France pendant plus de 50 ans du parent français, et d'autre part l'absence de possession d'état de Français, non seulement de l'enfant lui-même mais également de son parent français, le demandeur devant en outre résider ou avoir résidé habituellement à l'étranger. ; C'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont considéré que les conditions de l'article 30-3 du code civil étaient réunies, que [E] [F] n'est pas recevable à faire la preuve qu'elle a, par filiation, la nationalité française et qu'elle est réputée avoir perdu la nationalité française le 16 août 2012. ; Il doit être ajouté que l'article 30-3 du code civil interdit, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude.
Edictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir. ; La lère chambre civile de la Cour de cassation a dit en conséquence, dans son arrêt rendu le 13 juin 2019 (pourvoi n°18-16.838, publié), que «la solution retenue par l'arrêt du 28 février 2018 (lère Civ., pourvoi n° 17-14.239) doit, donc, être abandonnée ». ; En cause d'appel, Mme [E] [F] soutient que le ministère public l'a privée de tous ses droits à la nationalité française en instruisant l'affaire au-delà de la période de cinquante ans, en violation du principe d'égalité des armes prévu par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'en tout état de cause l'article 30-3 du code civil ne lui est pas applicable. ; Mais, d'une part, s'il ressort de la lettre adressée le 14 février 2006 par le service de la nationalité du consulat général de France à Ponchéry que Mme [E] [F] avait entrepris diverses démarches pour l'obtention d'un certificat de nationalité à son nom, elle n'a pas formé d'action en justice jusqu'au 4 octobre 2016, date de son assignation.
Comme le rappelle justement le ministère public, l'article 29-3 du code civil prévoit que « Toute personne a le droit d'agir pour faire décider qu'elle a ou qu'elle n'a point la qualité de Français », sans que cette action soit préalablement soumise à un refus de délivrance d'un certificat de nationalité française. Il appartenait donc à Mme [E] [F] d'agir avant le délai prévu par l'article 30-3 du code civil pour se voir reconnaître la qualité de Française. ; D'autre part, dès lors que par le Traité, signé le 28 mai 1956, entré en vigueur le 16 août 1962, la France a cédé à l'Union indienne la souveraineté sur les Etablissements français de Pondichéry, Karilcal, Mahé et Yanaon, alors considérés comme des territoires d'outre-mer, les personnes de ces territoires transférées à un Etat étranger doivent être considérées depuis la date d'entrée en vigueur du Traité de cession comme ayant résidé à l'étranger et sont soumises à ce texte. ; Le jugement est donc confirmé. ; Succombant à l'instance, Mme [E] [F] ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et doit être condamnée aux dépens» ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' « Aux termes de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé. En l'espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 2 décembre 2016. La condition de l'article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. ; En application de l'article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code. ; Mme [E] [F], qui justifie de son identité par la production de sa carte nationale d'identité indienne, se dit française en raison de son lien de filiation à l'égard de sa mère Mme [P], née le [Date naissance 2] 1945 en Inde anglaise, laquelle a acquis la nationalité française en raison de son mariage le [Date mariage 1] 1960 avec M. [G] [F], né le [Date naissance 3] 1933 à Nedouncadou, Pondichéry (Inde), et ce en application de l'article 37 du code de la nationalité française dans sa rédaction de l'ordonnance du 19 octobre 1945 (tel que rendu applicable outre-mer par le décret n°53-161 du 24 février 1953) et l'a conservée de plein droit, comme née hors des établissements français de l'Inde et donc non saisie par le traité de cession franco- indien signé le 28 mai 1956 et entré en vigueur le 16 août 1962. / N'étant pas titulaire d'un certificat de nationalité française, lequel lui a été refusé le 11 décembre 2012 par le greffier en chef du Service de la nationalité des français nés et établis hors de France, Mme [E] [F] supportera donc la charge de la preuve, pour le cas où la fin de non-recevoir tirée de l'article 30-3 du code civil opposée par le ministère public serait rejetée. ; Selon cet article, lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français. ; Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française, dans les termes de l'article 23-6 du code précité, lequel impose de mentionner, dans le jugement, la date à laquelle la nationalité française a été perdue, ou, le cas échéant, la date à laquelle elle avait été perdue par les auteurs de l'intéressé, en précisant que ce dernier n'a jamais été français. ; Pour l'application de l'article 30-3 précité, il convient de déterminer : - d'une part, si les conditions qu'il pose sont remplies, à savoir que le demandeur réside ou ait résidé habituellement à l'étranger et que ses ascendants dont il tiendrait par filiation la nationalité française, soient demeurés fixés à l'étranger pendant plus de cinquante ans ;/ - d'autre part, si le demandeur ou son parent susceptible de lui transmettre la nationalité française n'a pas eu la possession d'état de Français, laquelle ferait alors obstacle à la fin de non-recevoir instaurée par ce texte. ; En l'espèce, l'intéressée réside habituellement à Pondichery (Inde) où elle se domicilie dans son assignation et dans ses conclusions et ne dispose d'aucun élément de possession d'état de française. Quant à Mme [P], sa mère, qui ne bénéficie pas davantage d'une possession d'état de française, il résulte de l'acte de mariage apostillé et de son livret de famille qu'elle est restée fixée à l'étranger, à savoir en Inde, depuis le 16 août 1962 date de l'accession à l'indépendance de ce territoire, pour y être née, s'y être mariée et y avoir eu ses enfants. ; Dès lors, les conditions exigées par l'article 30-3 susvisé s'avérant remplies, il convient de déclarer Mme [E] [F] irrecevable à faire la preuve qu' elle a, par filiation, la nationalité française et de dire, conformément à l'article 23-6 précité, que l'intéressée, à supposer qu'elle soit née française, a perdu cette nationalité le 16 août 2012, soit à la date anniversaire des cinquante ans de la fixation de ses ascendants à l'étranger. ; Aux tenues de l'article 28 du code civil, mention sera portée, en marge ; de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant ; pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la ; réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, cette mention sera en l'espèce ordonnée. ; En application de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [E] [F] qui succombe sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles » ;
ALORS QUE l'égalité des armes implique le maintien d'un juste équilibre entre les parties et qu'il soit ainsi offert à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; que le certificat de nationalité française constitue une présomption simple de nationalité française ; qu'ainsi, un délai excessif d'instruction d'une demande de certificat de nationalité française conduisant à ce que soit acquis le délai de cinquante ans prévu par l'article 30-3 du code civil, à la date de la décision de l'administration, méconnait l'égalité des armes ; qu'il importe peu à cet égard qu'une action soit ouverte, par ailleurs, à toute personne d'agir pour faire décider qu'elle a ou non la qualité de français, le litige sur la nationalité française ne se présentant pas de la même manière pour la personne, suivant qu'elle est ou non titulaire d'un certificat de nationalité française ; qu'il est constant que Mme [F] a formé une demande tendant à la délivrance d'un certificat de nationalité française le 3 septembre 2005 et qu'une décision n'est intervenue sur cette demande que le 25 décembre 2012, le délai d'instruction ayant ainsi laissé expirer le délai de cinquante ans prévu par l'article 30-3 du code civil ; qu'en excluant toute méconnaissance du principe d'égalité des armes, au motif inopérant que Mme [F] avait la possibilité, durant l'instruction de sa demande, d'agir en justice sur le fondement de l'article 29-3 du code civil pour faire décider qu'elle avait ou non la nationalité française, la cour d'appel a violé les articles 30 et 30-3 du code civil ensemble le principe d'égalité des armes garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.