LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
MA
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 mai 2021
Cassation
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 621 F-D
Pourvoi n° W 19-24.590
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2021
M. [O] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 19-24.590 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2019 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société SACICAP Sud Champagne, dont le siège est [Adresse 2], antérieurement la société Crédit immobilier de Champagne, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. [M], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société SACICAP Sud Champagne, après débats en l'audience publique du 30 mars 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Maron, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 26 septembre 2019), M. [M], engagé par la société Crédit immobilier de Champagne, devenue la société Sacicap Sud Champagne, en qualité de directeur général, a été licencié le 13 janvier 2005 pour faute grave. L'employeur a déposé plainte avec constitution de partie civile à l'encontre du salarié.
2. Par arrêt du 24 mars 2009, la cour d'appel a sursis à statuer sur le bien-fondé du licenciement contesté par le salarié, « dans l'attente du résultat de la procédure pénale en cours ».
3. Par arrêt du 5 novembre 2014, (Crim., 5 novembre 2014, pourvoi n° 13-85.751), la Cour de cassation a cassé et annulé par voie de retranchement l'arrêt rendu par la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon, en ses seules dispositions ayant prononcé une interdiction de gérer et maintenu toutes les autres dispositions.
4. Par courrier du 5 novembre 2015, resté vain, le président de la chambre sociale a sollicité des parties des informations sur l'état d'avancement de la procédure pénale afin de pouvoir envisager un nouvel audiencement de l'affaire.
5. Le salarié a déposé des conclusions au greffe le 31 octobre 2018 en demandant le rétablissement de l'affaire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de constater la péremption de l'instance et de déclarer irrecevables ses demandes, alors :
« 1°/ qu'en matière prud'homale, l'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans prévu à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que la procédure pénale, qui avait justifié le sursis à statuer prononcé par la cour d'appel de Dijon, a pris fin le 5 novembre 2014, et a énoncé que le délai de péremption avait couru à compter de cette date ; qu'en faisant courir le délai de péremption à compter de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 novembre 2014 qui avait mis un terme à la procédure pénale, la cour d'appel a violé les articles 386 du code de procédure civile et R. 1452-8 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2°/ qu'en matière prud'homale, l'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans prévu à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que par lettre du 5 novembre 2015, le président de la chambre sociale de la cour d'appel a demandé aux conseils des parties de l'informer de l'état d'avancement de la procédure pénale afin de pouvoir envisager un nouvel audiencement de l'affaire, que cette missive est restée sans réponse alors que les parties disposaient de l'information sollicitée et que dès lors, quel que soit le point de départ du délai de péremption retenu, soit le 5 novembre 2014, soit la lettre du 5 novembre 2015 mettant une diligence à la charge des parties, au 31 octobre 2018, l'instance était périmée ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que le 5 novembre 2015, seul le président de la cour d'appel ? et non la juridiction elle-même ? s'était adressé aux conseils des parties, de surcroît sans mettre aucune diligence particulière à leur charge autre que celle nécessaire à la réinscription de l'affaire, de sorte que la péremption d'instance ne pouvait être opposée, la cour d'appel a violé l'article R. 1452-8 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. L'employeur conteste la recevabilité du moyen en ce qu'il serait nouveau, le salarié ayant seulement soutenu devant la cour d'appel que ses demandes n'étaient pas prescrites.
8. Cependant, le moyen n'est pas nouveau, dès lors que le salarié avait contesté la péremption en se prévalant des dispositions de l'article R. 1452-8 du code du travail.
9. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 386 du code de procédure civile et l'article R. 1452-8 du code du travail, alors en vigueur :
10. Selon le second de ces textes, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
11. Pour dire l'instance périmée et déclarer irrecevables les demandes des parties, l'arrêt retient que quel que soit le point de départ du délai de péremption retenu, ou le 5 novembre 2014, date de l'arrêt de la chambre criminelle, ou le 5 novembre 2015, date de la lettre du président de la chambre sociale mettant une diligence à la charge des parties, l'instance était périmée le 31 octobre 2018, date à laquelle le salarié a demandé par lettre et dépôt de conclusions, le rétablissement de l'affaire.
12. En statuant ainsi, alors qu'aucune diligence faisant courir le délai de péremption n'avait été mise à la charge des parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Sacicap aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sacicap et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [M]
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la péremption de l'instance et d'avoir déclaré irrecevables les demandes de M. [M] ;
Aux motifs que l'article 386 du code de procédure civile dispose que l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; qu'aux termes de l'article R. 1452-8 du code du travail, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en l'espèce, le 28 juin 2006, l'employeur a porté plainte, avec constitution de partie civile, auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de Chaumont à l'encontre de M. [M] ; que cette cour, par arrêt du 24 mars 2009, a sursis à statuer sur le bien fondé du licenciement dans l'attente du résultat de la procédure pénale en cours ; que, par décision du 26 juin 2013, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon a déclaré le salarié coupable de trois faits constitutifs d'abus de confiance, et de quatre faits constitutifs du délit d'abus de biens sociaux, commis au préjudice de la société Sacicap Sud Champagne, et a relaxé l'intéressé pour le surplus ; que, par arrêt du 5 novembre 2014, la Cour de cassation a cassé et annulé, par voie de retranchement, l'arrêt de la cour d'appel du 26 juin 2013, en ses dispositions ayant prononcé à l'égard de M. [M] une peine d'interdiction de gérer, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; que cette dernière a été rendue par voie de retranchement, et donc, sans renvoi, de sorte que la procédure pénale, cause du sursis à statuer, a pris fin le 5 novembre 2014, que dès lors, le délai de péremption de deux ans, prévu par les articles susvisés, a couru à compter de cette date ; que par lettre du 5 novembre 2015, le président de la chambre sociale de la cour d'appel a demandé aux conseils des parties de l'informer de l'état d'avancement de la procédure pénale afin de pouvoir envisager un nouvel audiencement de l'affaire ; que cette missive est restée sans réponse alors que les parties disposaient de l'information sollicitée ; que M. [M] n'a demandé le rétablissement de l'affaire que par lettre et dépôt de conclusions, parvenues au greffe, le 31 octobre 2018 ; qu'en conséquence, quel que soit le point de départ du délai de péremption retenu, soit le 5 novembre 2014, soit la lettre du 5 novembre 2015, mettant une diligence à la charge des parties, au 31 octobre 2018, l'instance était périmée ; que les demandes du salarié et de l'employeur doivent, en conséquence, être déclarées irrecevables ;
Alors 1°) qu'en matière prud'homale, l'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans prévu à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que la procédure pénale, qui avait justifié le sursis à statuer prononcé par la cour d'appel de Dijon, a pris fin le 5 novembre 2014, et a énoncé que le délai de péremption avait couru à compter de cette date ; qu'en faisant courir le délai de péremption à compter de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 novembre 2014 qui avait mis un terme à la procédure pénale, la cour d'appel a violé les articles 386 du code de procédure civile et R. 1452-8 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
Alors 2°) qu'en matière prud'homale, l'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans prévu à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences expressément mises à leur charge par la juridiction ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que par lettre du 5 novembre 2015, le président de la chambre sociale de la cour d'appel a demandé aux conseils des parties de l'informer de l'état d'avancement de la procédure pénale afin de pouvoir envisager un nouvel audiencement de l'affaire, que cette missive est restée sans réponse alors que les parties disposaient de l'information sollicitée et que dès lors, quel que soit le point de départ du délai de péremption retenu, soit le 5 novembre 2014, soit la lettre du 5 novembre 2015 mettant une diligence à la charge des parties, au 31 octobre 2018, l'instance était périmée ; qu'en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que le 5 novembre 2015, seul le président de la cour d'appel?et non la juridiction elle-même?s'était adressé aux conseils des parties, de surcroît sans mettre aucune diligence particulière à leur charge autre que celle nécessaire à la réinscription de l'affaire, de sorte que la péremption d'instance ne pouvait être opposée, la cour d'appel a violé l'article R. 1452-8 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce.