LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 mai 2021
Rejet
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 619 F-D
Pourvois n°
N 19-21.638
P 19-21.639 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 MAI 2021
M. [O] [J], domicilié [Adresse 1], a formé les pourvois n° N 19-21.638 et P 19-21.639 contre deux arrêts rendus les 8 novembre 2017 et 22 mai 2019 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale) dans les litiges l'opposant à la société [Personne physico-morale 1], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de chacun de ses pourvois, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [J], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société [Personne physico-morale 1], après débats en l'audience publique du 30 mars 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Maron, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 19-21.638 et P 19-21.639 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Rennes, 8 novembre 2017 et 22 mai 2019), M. [J] a été engagé le 1er juin 2015 par la société [Personne physico-morale 1] en qualité de négociateur immobilier, moyennant une période d'essai de trois mois, rompue par l'employeur le 25 juillet 2015.
3. Le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande du salarié tendant à la nullité de la rupture de la période d'essai en ce qu'elle reposait sur une discrimination fondée sur son orientation sexuelle et a condamné l'employeur à lui payer des dommages-intérêts.
4. L'employeur a interjeté appel le 3 novembre 2016.
5. La cour d'appel a été saisie par l'employeur en déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté sa demande tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions d'appel du salarié, adressées au greffe de la juridiction par son représentant, défenseur syndical, suivant lettre simple. Par arrêt infirmatif du 8 novembre 2017, elle a déclaré irrecevables ces conclusions et le salarié irrecevable à conclure.
6. Par arrêt du 22 mai 2019, statuant au fond, la cour d'appel a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° N 19-21.638, dirigé contre l'arrêt du 8 novembre 2017
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses conclusions et de le déclarer irrecevable à conclure, alors « que les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe ; dans ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué ; qu'il en résulte qu'hormis le cas de la déclaration d'appel qui doit faire l'objet d'une remise par tradition manuelle, le défenseur syndical peut remettre les actes de procédure au greffe par l'envoi d'un courrier ; qu'en décidant, pour déclarer irrecevables les conclusions remises au greffe par courrier du défenseur syndical, qu'il ne résulte pas de l'article 930-2 du code de procédure civile, que ce soit dans l'ancienne ou la nouvelle version, de distinction entre l'acte d'appel et les autres actes de procédure en ce qui concerne les modalités à observer par le défenseur syndical, la cour d'appel a violé l'article 930-2 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2012-634 du 20 mai 2016. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel, qui a relevé que selon l'article 930-2 du code de procédure civile dans sa version issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, les actes de procédure effectués par le défenseur syndical pouvaient être établis sur support papier et remis au greffe, a retenu à bon droit que les conclusions du défenseur syndical devaient, comme la déclaration d'appel, faire l'objet d'une remise matérielle au greffe de la juridiction, et non être envoyées par lettre, ce dont elle a exactement déduit que les conclusions étaient irrecevables.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi P 19-21.639, dirigé contre l'arrêt du 22 mai 2019
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en dommages-intérêts au titre de la nullité de la rupture, alors « que lorsque survient un litige relatif à l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le salarié présente des éléments de fait en laissant supposer l'existence et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que pour infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la rupture nulle car fondée sur un motif discriminatoire, la cour d'appel qui a constaté que l'attestation de Mme [S] en donne des exemples précis et répétés de propos homophobes tenus par M. [H], directeur de l'agence, à l'égard de l'exposant, a retenu que la simple référence à des attestations émanant d'une seule et même source, Mme [S] en, non corroborée par d'autres éléments, ne permet pas de retenir le caractère discriminatoire de la rupture, alors même que de multiples attestations versées par la société décrivent M. [H] comme humain, à l'écoute des salariés et bienveillant, et que l'employeur, qui apporte des éléments sur l'appréciation des aptitudes et de la motivation du salarié pendant la période d'essai et les risques d'évolution conflictuelle de la relation, avait embauché l'exposant malgré la connaissance qu'il avait de son orientation sexuelle ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si les éléments produits par le salarié tels qu'ils ressortent du jugement, laissaient supposer l'existence d'une discrimination et si l'employeur prouvait que la décision de rupture de la période d'essai était justifiée par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
11. Sous le couvert de grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, par une décision motivée, déduit que l'employeur rapportait la preuve d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai deux mille vingt et un.
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [J], demandeur au pourvoi n° N 19-21.638
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables les conclusions de l'exposant et d'AVOIR déclaré celui-ci irrecevable à conclure.
AUX MOTIFS QUE l'article 930-2 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable avant le décret du 10 mai 2017, résultant du décret du 20 mai 2016, mentionnait que les dispositions de l'article 930-1 du code de procédure civile n'étaient pas applicables au défenseur syndical, que les actes de procédure effectués par le défenseur syndical pouvaient être établis sur support papier et remis au greffe, que dans ce cas la déclaration d'appel était remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux, la remise étant constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un devait être immédiatement restitué ; que le décret de 2017 a ajouté après la mention que "les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe", la mention "ou lui être adressés par lettre recommandée avec accusé de réception" et, après "la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. Le greffe constate la remise par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué" a ajouté "lorsque la déclaration d'appel est effectuée par voie postale, le greffe enregistre l'acte à sa date et adresse un récépissé par lettre simple" ; que si des précisions sont ainsi apportées relativement aux diligences du greffe en cas de remise ou d'envoi d'un acte d'appel, il ne résulte pas de l'article 930-2 du code de procédure civile, que ce soit dans l'ancienne ou la nouvelle version, de distinction entre l'acte d'appel et les autres actes de procédure en ce qui concerne les modalités à observer par le défenseur syndical ; que par ailleurs, même en retenant que le décret du 10 mai 2017, qui a expressément prévu la possibilité d'envoi des actes de procédure par LR-AR, excluant ainsi la lettre simple, n'ajoute pas au texte antérieur et est simplement interprétatif, comme l'a considéré le conseiller de la mise en état, il précise les conditions de validité d'un envoi postal, qui ne correspondent pas aux modalités dont a usé M. [J] puisqu'il a réalisé un envoi d'acte par lettre simple ; que les conclusions de la partie appelante adressées par lettre simple au greffe le 27 mars 2017 doivent donc être déclarées irrecevables, et l'appelante, qui n'a pas régulièrement conclu dans son délai, irrecevable à conclure ; que l'irrecevabilité des pièces, qui n'est pas de la compétence du conseiller de la mise en état, n'est pas soutenue en déféré.
ALORS QUE les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe ; dans ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué ; qu'il en résulte qu'hormis le cas de la déclaration d'appel qui doit faire l'objet d'une remise par tradition manuelle, le défenseur syndical peut remettre les actes de procédure au greffe par l'envoi d'un courrier ; qu'en décidant, pour déclarer irrecevables les conclusions remises au greffe par courrier du défenseur syndical, qu'il ne résulte pas de l'article 930-2 du code de procédure civile, que ce soit dans l'ancienne ou la nouvelle version, de distinction entre l'acte d'appel et les autres actes de procédure en ce qui concerne les modalités à observer par le défenseur syndical, la cour d'appel a violé l'article 930-2 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2012-634 du 20 mai 2016. Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [J], demandeur au pourvoi n° P 19-21.639
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre de la nullité de la rupture.
AUX MOTIFS QUE les pièces de M. [J] doivent être déclarées irrecevables et être donc écartées des débats, en ce que ce dernier est irrecevable à conclure ; que sur la rupture de la période d'essai, la Sasu soutient que contrairement à ce qu'a retenu le conseil, ce n'est pas en raison de l'homosexualité de M. [J] qu'elle a mis fin à sa période d'essai, comme celui-ci le soutenait, mais pour des motifs professionnels, donc étrangers à toute discrimination, et fait valoir qu'en l'absence de toutes pièces recevables et régulièrement communiquées, l'intimé ne rapporte pas la preuve des faits nécessaires au succès de ses prétentions ; qu'en l'espèce, en l'absence de production de pièces par la partie intimée, il y a lieu de se fonder sur les pièces de la partie appelante et sur les éléments qui ressortent du jugement lui-même ; qu'il résulte de l'analyse du jugement que M. [J] n'a invoqué que la nullité de la rupture, pour motif discriminatoire, sans demande subsidiaire sur le fondement d'une rupture abusive produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que les courriers du salarié lui-même adressés à son employeur pour contester la rupture, en date du 12 août et du 12 septembre 2015, sont postérieurs à la rupture et écrits dans un contexte précontentieux donc sujets à caution, le courrier du défenseur des droits se réfère également aux affirmations de M. [J] lui-même et fait mention d'attestations dont le contenu et l'auteur ne sont pas précisés ; que les seuls éléments de preuve à l'appui des allégations de M. [J] reposent donc sur les attestations de Mme [C] [F] [F], négociatrice dans la même agence, dont la décision de première instance indique que cette attestante donne des exemples précis et répétés de propos homophobes tenus par M. [H], directeur de l'agence, à l'égard de M. [J], et le premier juge précise également qu'elle atteste qu'il avait rempli ses objectifs de mandats et conclu deux ventes, et qu'elle-même n'avait pas atteint les objectifs fixés par son contrat lors de la période d'essai, qui avait pourtant été menée à son terme ; que cependant, alors que d'une part le degré d'exigence de l'employeur peut être différent en fonction de l'expérience du salarié dans le domaine de la négociation immobilière, que M. [J] avait en ce domaine une ancienneté importante et que celle de Mme [F] n'est pas connue, il ressort d'autre part du décompte du droit de suite produit par la société que M. [J] n'avait effectivement pas rempli son objectif de chiffre d'affaires mensuel de 8000 ?, ramené à la période travaillée, et du rapport de consultant du réseau Laforêt intervenu à l'agence les 23 et 24 juin 2015, que le salarié, qui bafouillait, avait des difficultés à conclure ses entretiens téléphoniques par une prise de rendez-vous et qu'il serait nécessaire qu'il travaille assidûment et dans le temps pour que son niveau de performance réponde aux objectifs ; que par ailleurs, les bulletins de salaire et échanges de courriers produits par la société établissent, comme cette dernière le soutient, que M. [J] avait bien pris un congé sans solde d'une semaine début juillet et avait informé son employeur de sa décision de prendre son lundi et de ne plus travailler le lundi, décision prise unilatéralement et sans concertation, et d'application immédiate, étant précisé que l'agence est ouverte ce jour-là ; qu'enfin il est établi par les écrits mêmes de M. [J] que lui-même et M. [H] se connaissaient depuis une dizaine d'années au moment de l'embauche du salarié, puisqu'ils avaient déjà travaillé ensemble dans une autre agence ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la simple référence à des attestations émanant d'une seule et même source, Mme [F], qui ne sont pas reproduites dans la décision, ce qui ne permet pas à la cour d'en vérifier le caractère circonstancié et la crédibilité, M. [J] lui-même ne rapportant pas, au vu de ses écrits produits aux débats, de propos homophobes tenus par M. [H] antérieurement à ceux dont il affirme avoir été destinataire le 25 juillet 2015, référence non corroborée par d'autres éléments, ne permet pas de retenir le caractère discriminatoire de la rupture, alors même que de multiples attestations versées par la Sasu décrivent M. [H] comme humain, à l'écoute des salariés et bienveillant, et que l'employeur, qui apporte des éléments sur l'appréciation des aptitudes et de la motivation du salarié pendant la période d'essai et les risques d'évolution conflictuelle de la relation, pouvant justifier la décision de rupture, avait embauché M. [J] malgré la connaissance qu'il avait de son orientation sexuelle.
1° ALORS QUE la cassation à intervenir de l'arrêt en date du 8 novembre 2017 entrainera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt attaqué en application de l'article 625 du code de procédure civile.
2° ALORS en tout état de cause QUE lorsque survient un litige relatif à l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le salarié présente des éléments de fait en laissant supposer l'existence et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que pour infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la rupture nulle car fondée sur un motif discriminatoire, la cour d'appel qui a constaté que l'attestation de Mme [F] donne des exemples précis et répétés de propos homophobes tenus par M. [H], directeur de l'agence, à l'égard de l'exposant, a retenu que la simple référence à des attestations émanant d'une seule et même source, Mme [F], non corroborée par d'autres éléments, ne permet pas de retenir le caractère discriminatoire de la rupture, alors même que de multiples attestations versées par la société décrivent M. [H] comme humain, à l'écoute des salariés et bienveillant, et que l'employeur, qui apporte des éléments sur l'appréciation des aptitudes et de la motivation du salarié pendant la période d'essai et les risques d'évolution conflictuelle de la relation, avait embauché l'exposant malgré la connaissance qu'il avait de son orientation sexuelle ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si les éléments produits par le salarié tels qu'ils ressortent du jugement, laissaient supposer l'existence d'une discrimination et si l'employeur prouvait que la décision de rupture de la période d'essai était justifiée par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-1 du code du travail.