LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2021
Cassation
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 529 F-D
Pourvoi n° X 19-22.291
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MAI 2021
M. [V] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 19-22.291 contre l'arrêt rendu le 28 février 2019 par la cour d'appel de Douai (renvoi après cassation, prud'hommes), dans le litige l'opposant à la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie, société coopérative à forme anonyme à capital variable, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. [N], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie, après débats en l'audience publique du 16 mars 2021 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 14 septembre 2016, pourvoi n° 14-22.225), M. [N] a été engagé, à compter du 27 août 2007, en qualité de directeur de supermarché par la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie.
2. Le 4 octobre 2011, l'employeur lui a notifié une mise à pied.
3. Après avoir été convoqué à un entretien préalable par lettre du 7 octobre 2011, le salarié a été licencié pour faute grave le 17 novembre 2011.
4. Contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale. Par arrêt du 4 juin 2014, la cour d'appel, après avoir retenu que la mise à pied avait un caractère disciplinaire, a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur au paiement de diverses sommes.
5. Par arrêt du 14 septembre 2016, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, sauf en ce qu'il avait débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un préjudice moral.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à statuer sur l'exception fondée sur le principe non bis in idem et de le débouter de sa demande de condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes, alors « qu'en disant n'y avoir lieu à statuer sur l'exception non bis in idem par référence à l'arrêt de cassation, cependant que, juridiction de renvoi ayant plénitude de juridiction, elle devait statuer en fait et en droit sur l'exception, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil, ensemble les articles 4, 5 et 638 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 625 et 638 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ces textes que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation. Par l'effet de la cassation partielle intervenue, la cause et les parties sont remises de ce chef dans l'état où elles se trouvaient avant la décision censurée et l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.
8. Pour dire n'y avoir lieu à statuer sur le moyen tendant à faire constater que la mise à pied présentait un caractère disciplinaire, la cour d'appel de renvoi a retenu que, par l'arrêt du 14 septembre 2016, la Cour de cassation a considéré que cette mesure était de nature conservatoire.
9. En statuant ainsi, alors que la cour de renvoi était tenue d'examiner tous les moyens soulevés devant elle relativement aux chefs de dispositif atteints par la cassation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie et la condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour M. [N]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à statuer sur l'exception de M. [N] fondée sur le principe « non bis in idem » ; et de l'avoir débouté de sa demande de condamnation de la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie au paiement de la somme de 3 059 ? au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ; 969 ? de congés payés sur préavis ; 3 059 ? au titre de l'indemnité légale de licenciement ; 68 839,56 ? pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; et 2 999 ? à titre de rappel de salaire pour la période allant du 4 octobre au 18 novembre 2011 ;
AUX MOTIFS QUE sur l'applicabilité de la règle non bis in idem, par arrêt en date du 14 septembre 2016, la Cour de cassation a considéré que la mise à pied en date du 4 octobre 2011 était de nature conservatoire, le délai entre le 4 et le 7 octobre 2011, date de la convocation à l'entretien préalable étant justifié par la nécessité pour l'employeur de procéder à des investigations avant d'engager la procédure de licenciement ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le moyen soulevé par l'intimé tendant à faire constater que la mise à pied présentait un caractère disciplinaire ;
ALORS QU'en disant n'y avoir lieu à statuer sur l'exception non bis in idem par référence à l'arrêt de cassation, cependant que, juridiction de renvoi ayant plénitude de juridiction, elle devait statuer en fait et en droit sur l'exception, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil, ensemble les articles 4, 5 et 638 du code de procédure civile, et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception de prescription soulevée par M. [N] ; et de l'avoir débouté de sa demande de condamnation de la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie au paiement de la somme de 3 059 ? au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ; 969 ? de congés payés sur préavis ; 3 059 ? au titre de l'indemnité légale de licenciement ; 68 839,56 ? pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; et 2 999 ? à titre de rappel de salaire pour la période allant du 4 octobre au novembre 2011 ;
AUX MOTIFS QU'il résulte des pièces versées aux débats qu'à l'occasion de problèmes relatifs à la gestion de stocks ayant surgi durant l'été 2011, la société appelante a été amenée à s'intéresser à l'activité de l'intimé ; qu'elle n'a eu une exacte connaissance des faits fautifs imputés à ce dernier qu'à la suite des investigations menées après la mise à pied conservatoire ; qu'en application de l'article L 1234-1 du code du travail, les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige sont une baisse de chiffre d'affaires et de la marge du magasin, de nombreuses ruptures de produits au sein du magasin, l'utilisation de véhicules de location U à des fins personnelles, un non-respect de la procédure en matière d'établissement de factures, un non-respect des procédures d'encaissement, une absence de règlement des marchandises provenant du magasin et consommées, le non-respect des procédures en matière de soutien associatif, un non-respect des normes d'hygiène dans la transformation et les livraisons de sandwichs au [Établissement 1], la vente de véhicules et de matériel au sein du magasin à des fins personnelles pendant les heures de travail, une attitude et des propos déplacés envers les salariés du magasin et les clients, un manque de respect envers la hiérarchie de l'entreprise, un comportement caractérisant de la discrimination syndicale ; que sur l'accomplissement d'une activité personnelle sur le lieu de travail, l'appelante produit le témoignage de [Y] [K], employée de libre-service, qui déclare avoir assisté à la vente de nombreux véhicules, mais aussi de scooters par l'intimé dans l'enceinte du magasin, et notamment dans da réserve, durant ses heures de travail, à la réception de potentiels acheteurs dans son bureau, dans la partie de l'établissement réservée au personnel ; que ce témoignage est conforté par des notes manuscrites portant sur la livraison de pneumatiques, la vente d'un véhicule sur les lieux de travail ; que de telles pratiques violaient les dispositions de l'article 4.3.1. du règlement intérieur interdisant l'introduction dans les locaux de travail de personnes étrangères au service et aux besoins de l'entreprise ; que [l'intimé ] se borne à minimiser les faits, assurant qu'ils n'avaient entraîné aucune répercussion sur son activité professionnelle et prétendant qu'ils étaient tolérés ; que cette dernière affirmation est néanmoins dénuée de fondement, et se trouve en contradiction avec le règlement en vigueur au sein de l'entreprise ; qu'en outre, en sa qualité de directeur du supermarché, il ne pouvait s'autoriser, sans nuire à l'image de la société, à se livrer à des activités mercantiles au sein de l'entreprise en stockant en outre dans des véhicules loués par la société le produit de ses opérations commerciales, comme le démontre la note manuscrite en date du 22 juillet 2011 invitant la personne susceptible d'utiliser le véhicule 8 m3 à l'aviser, car il s'y trouvait des pneumatiques et des jantes lui appartenant ; que, sur l'usage abusif de véhicules, que l'appelante produit les attestations de [Y] [K] et [L] [T], anciennes salariées de la société ; que leurs témoignages sont confortés par un récapitulatif des kilomètres parcourus au moyen de véhicules de location U faisant apparaître en particulier une absence de justification de 3 000 kilomètres au moyen du véhicule de type Qashqai au volant duquel l'intimé a été vue par [L] [T] ; que de même, ne sont pas justifiés 1 300 kilomètres parcourus au moyen du véhicule 8 m3 utilisé également à des fins personnelles par l'intimé, comme le démontrent une note de 68,20 litres de carburant en date du 8 juillet 2011 qui n'a pas été réglée par lui et différentes notes manuscrites précitées relatives à la présence de pneumatiques et de jantes appartenant à l'intimé et entreposées dans ce véhicule ; qu'une procédure spécifique avait été mise en place dès le 12 octobre 2010 au moins, date du courriel transmis par le responsable d'exploitation du supermarché Super U, exigeant pour des raisons fiscales, que le véhicule emprunté fasse l'objet d'un contrat de location par le bénéficiaire, que la prestation soit payée par ce dernier et donne lieu à une note de frais ; qu'il apparaît qu'une telle procédure n'a pas été respectée, les témoins assurant que l'intimé utilisant les véhicules sans contrat de location ; que pour se justifier, ce dernier ne produit que deux contrats de location en date des 15 octobre 2010 et 12 avril 2011, alors qu'il résulte de la note manuscrite relative au véhicule Qashqai qu'il l'avait utilisé le 11 février, 18 avril et 12 mai 2011, que le motif en était inconnu, le rédacteur de la note supputant d'éventuelles réunions à [Localité 1] ; que le témoin [L] [T] atteste également que pour participer à un déménagement, l'intimé a utilisé le Fenwick, qui est d'ailleurs tombé en panne et a dû être remorqué ; que l'intimé, tout en reconnaissant les faits, affirme qu'il a agi dans un but purement altruiste ; que sur le non-respect des procédures en matière de soutien associatif, l'appelante produit un courriel d'un responsable de l'association « les Restos du coeur » en date du 21 octobre 2011 au directeur d'exploitation dans lequel il dresse la liste des produits offerts par l'intimé à l'association, dont le nombre et la valeur sont manifestement exorbitants ; qu'outre le fromage et le dessert, étaient en effet fournis 800 bouteilles de bière, 200 bouteilles de Coca-Cola, l'eau et le vin ; des minibus pour deux journées et l'impression d'affiches ; que de telles offres, et notamment la location de minibus étaient effectuées en dehors de tout cadre légal ; que la valeur des marchandises fournies, évaluée à 2 000 ?, était manifestement excessive par rapport aux possibilités du magasin ; que l'intimé prétend qu'il avait bénéficié d'autorisations antérieures pour procéder de la sorte sans toutefois démontrer de telles affirmations ; que sur le non-respect de la procédure en matière d'établissement de factures, à la demande de l'intimé sur l'invitation de son assureur, comme le démontre le courriel produit, et à la suite d'un sinistre survenu en septembre 2011, et ayant donné lieu à une déclaration de dommages électriques le 2 septembre 2011, deux factures au moins ont été établies par [E] [J], qui n'était pas la responsable de la caisse, mais dont [Y] [K] affirme qu'elle bénéficiait de mesures de faveur de la part de l'intimé, correspondant à l'achat d'un ordinateur d'un montant de 649 ? effectué le 21 décembre 2010 et d'un téléviseur le 7 juin 2011, pour un montant de 699 ? ; que toutefois non seulement aucune justification de tels montants n'a été fournie, mais en outre, l'intimé a produit le 21 octobre 2011 un ticket de caisse pour l'achat d'un ordinateur d'un montant différent émis à une date différente ainsi que différents paiements par chèque sans rapport avec les sommes mentionnées sur les factures ; que sur le non-respect des procédures d'encaissement, l'appelante produit l'attestation d'[L] [R] qui affirme que le 2 août 2011, l'intimé a effectué le règlement d'un ticket de caisse mis en attente au profit de la gendarmerie en utilisant des tickets de réduction destinés aux clients lors d'opérations commerciales ; qu'ignorant l'existence d'un tel paiement, les gendarmes ont réglé le ticket le lendemain, ce qui a conduit à un double encaissement ; que sont produits le ticket de caisse d'un montant de 37,29 ? payé en espèces le 3 août 2011 et un relevé de caisse correspondant aux achats effectués établissant que par ailleurs, cette somme a été réglée au moyen d'un bon de réduction ; que l'intimé se borne à affirmer que ce grief est dépourvu de fondement ;
ALORS QUE la cour d'appel ayant constaté que les faits reprochés étaient connus dans leur principe « l'été 2011 », soit le cas échéant pour tout ou partie d'entre eux plus de deux mois avant la mise à pied conservatoire du 4 octobre 2011, en écartant l'exception de prescription sans caractériser la nécessité des investigations prétendues, et sans répondre au moyen du salarié faisant valoir que l'employeur n'avait en réalité pas recherché la connaissance des faits, mais leur preuve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 1332-4 du code du travail.