CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 mars 2021
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10099 F
Pourvoi n° Y 20-14.798
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
1°/ M. M... L...,
2°/ Mme B... K..., épouse L...,
domiciliés tous deux [...], [...],
ont formé le pourvoi n° Y 20-14.798 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2020 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à M. E... X... P... ,
2°/ à Mme D... I... G..., épouse P... ,
domiciliés tous deux [...], [...],
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations écrites de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. et Mme L..., de la SCP Cabinet Colin - Stoclet, avocat de M. et Mme P... , après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme L... et les condamne à payer à M. et Mme P... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. et Mme L....
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir constaté l'extinction de la servitude instituée dans l'acte reçu par Maître F..., notaire, le 17 août 1971 et publié à la conservation des hypothèques d'Annecy le 20 août 1971, volume [...], numéro grevant la parcelle cadastrée à [...] section [...] , au profit de la parcelle cadastrée même section sous le [...] , et d'avoir, par conséquent, condamné solidairement Monsieur et Madame L... à payer à Monsieur et Madame P... des sommes au titre des frais irrépétibles ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article 685-1 du code civil dispose qu'« en cas de cessation de l'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682 ; À défaut d'accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice » ; qu'il est de principe que ce texte ne vise que l'extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d'enclave, et laisse ainsi en dehors de son champ d'application les servitudes conventionnelles ; que néanmoins, ces dispositions trouvent application si l'état d'enclave a été la cause déterminante de la clause de la convention qui a fixé l'assiette et les modalités d'exercice du passage, mais n'a pas eu pour effet d'en modifier le fondement légal ; que la parcelle acquise en 2011 par les époux L... étant destinée à être divisée, elle est effectivement mieux valorisée, si chaque partie est desservie par une voie d'accès différente, la partie Nord l'étant par le chemin rural débouchant sur la route de la Croisette, la partie Sud l'étant par la [...] ; que pour autant, on ne peut en déduire une volonté des parties de conférer à la servitude consentie un fondement purement conventionnel, puisque la division envisagée par les époux L... est postérieure de plus de 40 ans à la constitution de la servitude ; que par ailleurs, la parcelle [...] était enclavée, car ne disposant, à l'époque, d'aucune issue sur la voie publique ; que la servitude consentie en 1971 avait, comme l'a exactement relevé le premier juge, un fondement purement légal et le texte susmentionné doit trouver application ; que certes, il est fait état par les appelants d'un état d'enclave de la parcelle [...] au motif qu'elle ne serait pas adjacente au fonds originel L..., du fait de l'existence d'une parcelle entre la parcelle [...] objet du litige et la parcelle sur laquelle ils ont leur maison d'habitation, cette parcelle étant la propriété de la société civile immobilière GREMARENKO ; que la constitution de la société civile immobilière GREMARENKO est postérieure au jugement déféré, et son fonds lui a été apporté par les époux L... et de ce fait, ceux-ci se sont enclavés volontairement ; qu'il est de principe que le propriétaire qui a lui-même obstrué l'issue donnant accès à la voie publique ne peut se prévaloir d'un droit de passage pour cause d'enclave ; que dans ces conditions, ce moyen s'avère être inopérant ; que concernant le désenclavement de la parcelle litigieuse, elle est désormais adjacente au fonds originel propriété des époux L..., desservi par un chemin propriété de ces derniers ; que dès lors, elle bénéficie de ce passage, étant observé que si des aménagements sont à réaliser, ils sont tout à fait modestes, car consistant en la démolition d'un muret à usage de clôture ; que c'est donc exactement que le premier juge a constaté l'extinction de la servitude et a condamné les époux L... au paiement d'une partie des frais irrépétibles exposés par les époux P... ; que le jugement déféré sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions ; qu'enfin, l'équité commande une application modérée des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles exposés par les intimés en cause d'appel ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE Monsieur et Madame P... sont propriétaires d'une maison d'habitation située [...] , cadastrée section [...] (anciennement [...]) lieudit [...] pour l'avoir acquise selon acte reçu par Maître C..., notaire associé à [...] (74) le 31 juillet 2017 (pièce n° 1) ; que par acte du 20 octobre 2017, Monsieur et Madame P... ont assigné Monsieur et Madame L... devant la juridiction de céans afin de voir, à titre principal et au visa de l'article 685-1 du code civil, constater l'extinction de la servitude instituée dans l'acte reçu par Maître F..., notaire, en date du 17 août 1971 et publié à la conservation des hypothèques d'Annecy le 20 août 1971 volume, [...], numéro [...] grevant la parcelle cadastrée à [...], section [...] au profit de la parcelle cadastrée même section sous le [...] , appartenant aux défendeurs ; qu'ils demandent à titre subsidiaire et au visa de l'article 701 du code civil, de voir dire que l'assiette de la servitude réintégrera son tracé initial au nord-est du fonds [...] ; qu'en toute hypothèse, ils sollicitent de voir condamner Monsieur et Madame L... à payer la somme de 2 000 euros à Monsieur et Madame P... au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ; Sur la demande principale : qu'aux termes de l'article 685-1 du code civil, en cas de cessation de l'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682 ; qu'à défaut d'accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice ; que la jurisprudence précise que les juges du fond ne peuvent pas refuser de faire application de l'article 685-1, au motif que ce texte ne concerne pas les servitudes conventionnelles, sans rechercher si la servitude litigieuse, visée dans un acte authentique, n'était pas fondée sur l'état d'enclave du fonds dominant et si cet acte ne s'était pas borné à fixer l'assiette et l'aménagement de cette servitude ; que l'article 685-1 du code civil est ainsi applicable si l'état d'enclave a été la cause déterminante de la clause d'une convention qui a fixé l'assiette et les modalités d'exercice du passage, mais n'a pas eu pour effet d'en modifier le fondement légal ; qu'en l'espèce, par acte reçu par Maître F..., notaire, le 17 août 1971 (pièce n°2), a été créée une servitude de passage à tous usages sur la parcelle [...] au profit du fonds voisin [...] instituée en ces termes ; qu'à ce sujet il est convenu, ce qui suit : « Il est créé une servitude de passage à tous usages de quatre mètres de largeur le long de la limite "Nord-Ouest" de la parcelle n° [...].,acquise par Monsieur et Madame J..., au profit de la parcelle [...] , propriété de Monsieur et Madame T... et ce, pour permettre à ces derniers et à leurs ayants droit d'accéder librement à la route du Coin » que les propriétés ont été vendues, et Monsieur et Madame L... sont désormais propriétaires de la parcelle [...] , soit le fonds dominant, tandis que Monsieur et Madame P... sont devenus propriétaires du fonds servant, correspondant à la parcelle [...] ; que Monsieur et Madame L... sont également propriétaires des parcelles [...], [...], [...] et [...], qui sont contigües de la parcelle [...] (pièces n°3, 6-1 et 6-2) ; que les parcelles [...], [...] et [...] sont desservies par un accès à la voie publique qui emprunte, les parcelles [...] et 1056 en nature de chemin ; qu'il résulte en conséquence de cette situation que les parcelles [...], [...], [...] et [...], qui appartiennent toutes aux époux L..., permettent la desserte de la parcelle [...] dont ils sont également propriétaires, correspondant au fonds dominant au bénéfice duquel la servitude de passage susvisée a été créée ; que l'acte de constitution de la servitude rappelle clairement ce motif : « (...) et ce, pour permettre à ces derniers et à leurs ayants droit d'accéder librement à la route du Coin » ; que c'est donc bien pour cause d'enclave que cette servitude avait été instituée ; que, quand bien même la servitude de passage litigieuse aurait un caractère conventionnel, sa création était bien fondée sur l'état d'enclave du fonds dominant, sachant que l'acte authentique par lequel elle a été instituée se bornait à en fixer l'assiette et l'aménagement, sans en modifier le fondement légal ; que par conséquent, il y a lieu de constater la disparition de l'état d'enclave en raison de la propriété par les époux L... des parcelles [...], [...], [...] et [...] permettant la desserte de la parcelle [...] ; que les propriétés de Monsieur et Madame L... disposent donc d'un accès par la route de la Croisette à la voie publique ; qu'il y a donc lieu de prononcer l'extinction de la servitude instituée ; Sur les demandes accessoires : que les époux L... succombant à l'instance, ils seront solidairement condamnés aux dépens, ainsi qu'à verser aux époux P... la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1° ALORS QUE l'état d'enclave s'apprécie en fonction des besoins actuels du fonds, compte tenu de sa destination présente et non de ses besoins antérieurs ; que l'état d'enclave doit être apprécié à la date à laquelle le juge se prononce ; qu'en considérant qu'il convenait de constater l'extinction de la servitude au motif que Monsieur et Madame L... auraient volontairement obstrué l'issue donnant accès à la voie publique en transférant à la SCI GREMARENKO la parcelle [...] dont ils détenaient des parts cependant qu'elle avait constaté l'état d'enclave de la parcelle [...] puisqu'elle n'était pas adjacente au fonds originel L..., du fait de l'existence d'une parcelle entre la parcelle [...] objet du litige et la parcelle sur laquelle ils avaient leur maison d'habitation transférée à la SCI GREMARENKO, la cour d'appel a violé les articles 682 et 685-1 du code civil ;
2° ALORS QUE le juge ne peut pas se prononcer par des motifs contradictoires ; qu'en relevant d'une part qu'il convenait de constater l'extinction de la servitude au motif que Monsieur et Madame L... auraient volontairement obstrué l'issue donnant accès à la voie publique en transférant à la SCI GREMARENKO la parcelle [...] tout en constatant, d'autre part, « que concernant le désenclavement de la parcelle litigieuse, elle est désormais adjacente au fonds originel propriété des époux L..., desservi par un chemin propriété de ces derniers ; que dès lors, elle bénéficie de ce passage, étant observé que si des aménagements sont à réaliser, ils sont tout à fait modestes, car consistant en la démolition d'un muret à usage de clôture », la cour d'appel s'est prononcé par des motifs contradictoires et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3° ALORS QU'il n'y a pas cessation de l'état d'enclave lorsque le propriétaire du fonds enclavé acquiert postérieurement un terrain confrontant celui-ci et bénéficiant d'un droit de passage sur une bande de terrain voisin, faisant l'objet d'une affectation spéciale ; qu'en considérant qu'il convenait de constater l'extinction de la servitude au motif que Monsieur et Madame L... auraient volontairement obstrué l'issue donnant accès à la voie publique en transférant à la SCI GREMARENKO la parcelle [...] , dont ils détenaient les parts, la cour d'appel a violé les articles 682 et 685-1 du code civil ;
4° ALORS QU'en toute hypothèse si l'état d'enclave peut cesser lorsque le fonds enclavé est réuni à un autre ayant une issue suffisante et appartenant au même propriétaire, tel n'est pas le cas d'un fonds appartenant à des personnes physiques et jouxtant celui appartenant à une société dont ils sont associés, les sociétés ayant une personnalité juridique distincte de celle des associés qui la composent ; qu'en décidant que le fonds acquis par les époux L..., précédemment enclavé, ne l'était plus du fait qu'il jouxtait une parcelle ayant une issue sur la voie publique et appartenant à la SCI GREMARENKO dont les époux L... étaient les associés, la cour d'appel a violé les articles 682, 685-1 et 1842 du code civil ;
5° ALORS QUE le juge ne peut constater l'extinction d'une servitude que si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682 du code civil ; que le passage doit être suffisant pour une utilisation normale du fonds ; que retenant pour dire éteinte la servitude « que concernant le désenclavement de la parcelle litigieuse, elle est désormais adjacente au fonds originel propriété des époux L..., desservi par un chemin propriété de ces derniers ; que dès lors, elle bénéficie de ce passage, étant observé que si des aménagements sont à réaliser, ils sont tout à fait modestes, car consistant en la démolition d'un muret à usage de clôture », sans même vérifier si la desserte du fonds dominant était assurée dans les conditions de l'article 682 du code civil, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 682 et 685-1 du code civil ;
6° ALORS QUE le juge ne peut constater l'extinction d'une servitude que si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l'article 682 du code civil ; que le passage doit être suffisant pour une utilisation normale du fonds ; que retenant pour dire éteinte la servitude « que concernant le désenclavement de la parcelle litigieuse, elle est désormais adjacente au fonds originel propriété des époux L..., desservi par un chemin propriété de ces derniers ; que dès lors, elle bénéficie de ce passage, étant observé que si des aménagements sont à réaliser, ils sont tout à fait modestes, car consistant en la démolition d'un muret à usage de clôture », quand les époux L... faisaient observer que le muret qui était placé à l'extrémité de la parcelle mesurait environ 80 cm et retenait un talus d'environ 2m de hauteur (cf. prod n° 3, p. 14 § 5 à 9), ce qui impliquait des travaux coûteux et en tout cas de proportion avec l'usage qui en serait fait et la valeur de la propriété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 682 et 685-1 du code civil.