CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 janvier 2021
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10052 F
Pourvoi n° M 19-22.120
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 JANVIER 2021
M. U... H..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° M 19-22.120 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2019 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [...], société civile professionnelle, dont le siège est [...] , actuellement en liquidation amiable, prise en la personne de ses liquidateurs amiables,
2°/ à Mme M... Q..., domiciliée [...] ,
3°/ à Mme E... B...,
4°/ à M. D... R...,
domiciliés tous deux [...],
défendeurs à la cassation.
La société [...], Mme B... et M. R... ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Teiller, conseiller, les observations écrites de Me Brouchot, avocat de M. H..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [...], de Mme B... et de M. R..., de la SCP Boulloche, avocat de Mme Q..., après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Teiller, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation du pourvoi principal annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
DIT n'y avoir lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel ;
Condamne M. H... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits au pourvoi principal par Me Brouchot, avocat aux Conseils, pour M. H...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance du 25 octobre 2018 du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Poitiers en ce qu'elle a rejeté toutes demandes de M. H... en annulation des délibérations de la SCP pour la période s'écoulant de 2011 à 2014 et rejeté toutes prétentions de M. H... en indemnisation par la SCP d'un préjudice en relation avec sa rémunération comme avocat associé gérant de la SCP ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE a) principe : l'article 1835 du code civil dispose que « les statuts doivent être établis par écrit » et « déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l'objet, l'appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement » ; que l'article 1846 du même code précise que « les statuts fixent les règles de désignation du ou des gérants et le mode d'organisation de la gérance » ; qu'aux termes de l'article 1844-10 du même code, « la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre ou de l'une des causes de nullité des contrats en général » ; b) sur l'accroissement des engagements des associés : l'article 1835 du même code dispose que « les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par accord unanime des associés » et que « en aucun cas, les engagements d'un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci » ; que cette dernière disposition vise l'aggravation de la dette contractée par un associé envers la société ou les tiers ; que l'article 18 des statuts de la société stipule que « la rémunération de la gérance est fixée par une décision collective des associés qui détermine également les modalités de remboursement des frais exposés par elle dans l'intérêt de la société » ; que les décisions collectives relatives à la rémunération de la gérance, d'une part sont intervenues en application des statuts, d'autre part n'ont pas accru les engagements de Me U... H... envers la société ou des tiers, seul le montant des bénéfices répartis pouvant être affecté ; c) sur une rémunération égalitaire des gérants : en cas de pluralité de gérants, aucune règle impérative n'impose leur rémunération égalitaire ; que cette rémunération est décidée collectivement par les associés ; que Me U... H... ne soutient pas que les délibérations contestées sont intervenues par abus de majorité ; d) sur un détournement de l'affectation du résultat : Me U... H... ne démontre pas que ses associés ont, en décidant de la rémunération de la gérance, entendu réduire le bénéfice distribuable et lui porter ainsi préjudice, ni que la rémunération décidée des gérants serait disproportionnée en regard de leurs activités respectives ; qu'en l'absence d'intention malveillante et l'abus de majorité n'étant pas soutenu, il n'est pas fondé en ses demandes ;
et AUX MOTIFS ADOPTES QUE la nullité d'une délibération d'une société civile ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de la loi et non de la seule violation des statuts ; que sans que la nullité de la délibération soit encourue, si la violation des statuts résultant d'une délibération a causé un préjudice direct et démontré à un associé, ce dernier peut toutefois requérir l'indemnisation de ce préjudice ; que A- sur l'annulation pour cause d'augmentation des engagements des associés sans leur accord unanime, l'article 1836 du code civil dispose impérativement : « En aucun cas les engagements d'un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci » ; que l'article 22 des statuts de la SCP reprend cette interdiction en stipulant : « L'unanimité des associés est requise pour
(l')augmentation de l'engagement des associés » ; qu'en application de ces dispositions, toute décision de la SCP ayant pour objet d'accroître l'engagement d'un associé requière son accord préalable ; que cette interdiction s'applique toutefois exclusivement et strictement aux décisions augmentant l'engagement de l'associé, ce qui exclut les décisions ayant pour effet d'augmenter les engagements de la société, la SCP, à supposer même que les associés soient susceptibles de voir leur responsabilité indéfinie ou solidaire mise en jeu après défaillance de la société ; que la rémunération de la gérance de la SCP constitue par nature un engagement de la SCP ; qu'il en résulte que la décision qui la fixe n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 1836 du code civil ; que cette décision est explicitement régie par les dispositions des articles 19 et 22-4° des statuts qui stipulent : article 18 , « La rémunération de la gérance est fixée par une décision collective des associés qui détermine également les modalités de remboursement des frais exposés par elle dans l'intérêt de la société » et l'article 22 : « 4°- Toutes autres décisions et notamment l'approbation des comptes sociaux, l'affectation des résultats et la révocation du ou des gérants, sont acquises à la majorité en nombre des associés disposant de la majorité des voix », de sorte que les délibérations de la SCP prises en fixation de la rémunération de la gérance sont à cet égard régulières et n'encourent pas l'annulation ; B- sur l'annulation pour absence de rémunération égalitaire de la gérance, aucune disposition impérative de la loi n'impose un mode particulier de rémunération pour la gérance d'une SCP, de sorte qu'aucune annulation des délibérations de la SCP ne sera prononcée par l'arbitre en relation avec la contestation de la rémunération de la gérance décidée par l'assemblée des associés de la SCP ; C- sur l'annulation pour détournement de la décision d'affectation du résultat, aucune disposition impérative de la loi n'impose un mode particulier d'affectation du résultat d'une SCP de sorte qu'aucune annulation des délibérations de la SCP ne sera prononcée par l'arbitre en relation avec l'éventuel détournement des dispositions statutaires afférentes à l'affectation du résultat de la SCP ; qu'en conséquence, par décision collective de ses associés, prise aux conditions de l'article 18, la SCP dispose de la faculté de déterminer la rémunération de la gérance sans considération de la répartition des parts sociales et en tenant compte notamment de l'activité de l'associé agissant tant en représentation juridique de la société que comme avocat exerçant dans le cadre et au bénéfice exclusif de la SCP, auprès d'une clientèle appartenant à la SCP ; que les différentes décisions collectives critiquées par Me H..., déterminant la rémunération de la gérance à la majorité en nombre d'associés et en nombre de parts définie par l'article 22.4° ont ainsi décidé une rémunération de gérance au profit de tous les associés avocats exerçant leur activité au profit de la SCP, dont Me H... ; qu'il n'est pas démontré par ailleurs que ces décisions sont intervenues hors du champ de compétence que leur fixait l'article 18 des statuts en déterminant une rémunération différenciée des gérants, prenant notamment en compte l'implication et le chiffre d'affaires de chacun dans l'activité sociale, a fortiori avec l'éclairage de plusieurs années d'exploitation antérieures ; qu'il n'apparaît pas au surplus que le montant décidé pour la rémunération de la gérance excéderait manifestement la rémunération de l'activité réelle des avocats gérants au bénéfice de la SCP et constituerait une répartition anticipée et donc irrégulière du résultat de la SCP ; que l'activité des avocats gérants, personnellement ou par l'encadrement du personnel et des autres avocats de l'entreprise, est en effet à l'origine exclusivement du chiffre d'affaires de la SCP dès lors qu'il n'est fait état d'aucun investissement matériel ou immatériel significatif de la SCP qui justifierait sa profitabilité indépendamment de l'activité des avocats gérants ; que les délibérations de la SCP prises en fixation de la rémunération de la gérance ne sont donc pas annulées et, les statuts de la SCP ayant été respectés, Me H... ne démontre pas l'existence d'un préjudice à cet égard ;
1) ALORS QUE dans ses conclusions récapitulatives, M. H... avait fait valoir que la délibération du 16 décembre 2011 avait fixé une rémunération de chacun des gérants pour la totalité de l'année 2011 alors que Mes B... et R... et lui-même n'avaient été gérants et plus précisément co-gérants qu'à compter du 6 juin 2011 ce qui excluait une rémunération pour l'année entière ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent de nature à justifier tant l'annulation de cette délibération du 16 décembre 2011 que le droit de M. H... à l'indemnisation de son préjudice consécutif, la cour d'appel a violé les articles 455 du code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ;
2) ALORS QUE les engagements d'un associé d'une société civile professionnelle ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci, les statuts fixant les règles de désignation du ou des gérants et le mode d'organisation de la gérance ; que pour débouter M. H... de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 18 des statuts prévoyant que « la rémunération de la gérance est fixée par une décision collective des associés qui détermine également les modalités de remboursement des frais exposés par elle dans l'intérêt de la société » et tendant à voir retenir que l'engagement illimité pris par la société, aux termes de la délibération collective entre associés, de verser aux co-gérants, ses associés, une rémunération de leur gérance, accroissait nécessairement, par voie de conséquence, ses engagements en tant qu'associé, la cour d'appel a énoncé que les décisions collectives relatives à la rémunération de la gérance, d'une part sont intervenues en application des statuts et, d'autre part n'ont pas accru les engagements de M. H... envers la société ou des tiers, seul le montant des bénéfices répartis pouvant être affecté ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1836 du code civil ;
3) ALORS QUE l'objet du litige est délimité par les demandes et prétentions des parties telles qu'explicitées par les moyens formulés ; que dans ses conclusions d'appel, M. H... avait fait valoir que la somme de la rémunération de chacun des gérants avait systématiquement recouvert l'essentiel des bénéfices de la SCP ainsi réduits à quasi néant de sorte que la possibilité statutaire de rémunérer la gérance avait été illégalement détournée de son objet pour priver d'effets les dispositions statutaires relatives à la répartition des bénéfices aux associés au prorata de leurs parts en capital, invoquant ainsi, sinon expressément tout au moins implicitement mais nécessairement, un abus de majorité caractérisé par cette délibération collective ; qu'en affirmant pour rejeter les moyens tirés d'une absence de rémunération égalitaire des gérants d'une part et d'un détournement de l'affectation du résultat d'autre part, que M. H... n'avait pas soutenu l'existence d'un abus de majorité, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4) ALORS QUE le juge est tenu de restituer leur exacte qualification juridique aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient donnée ; que dans ses conclusions d'appel, M. H... avait fait valoir que la somme de la rémunération de chacun des gérants avait systématiquement recouvert l'essentiel des bénéfices de la SCP ainsi réduits à quasi-néant de sorte que la possibilité statutaire de rémunérer la gérance avait été illégalement détournée de son objet pour priver d'effets les dispositions statutaires relatives à la répartition des bénéfices aux associés au prorata de leurs parts en capital, invoquant ainsi, sinon expressément tout au moins implicitement mais nécessairement, un abus de majorité caractérisé par les délibérations collectives prises par ses associés ; qu'en rejetant les demandes d'annulation des délibérations collectives des 16 décembre 2011 et 26 décembre 2012 et d'indemnisation de ses préjudices consécutifs, motif pris de ce que M. H... n'aurait pas expressément soutenu l'abus de majorité commis par les associés, la cour d'appel a méconnu son office lui imposant de requalifier d'abus de majorité les faits soumis à son examen et le caractérisant, en violation de l'article 12 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. H... de ses demandes relatives au remboursement de frais de déplacement domicile/siège social par la SCP [...] aux associés gérants ;
AUX MOTIFS QUE, par délibération du 6 juin 2011, Me U... H... a été nommé gérant de la société, de même que les autres associés ; qu'il avait en cette qualité accès à l'ensemble des documents comptables ; que les états financiers produits aux débats établis par le cabinet d'expertise comptable Duo Solutions mentionnent nominativement les frais de voiture supportés par la société au profit de ses associés ; que sur les exercices 2011, 2012, 2013 et 2014, les frais remboursés à Me M... Q... et Me D... R... sont d'un montant environ double de celui versé à Me U... H..., ce dernier montant étant lui-même approximativement du double de celui revenu à Me E... B... ; que Me U... H..., gérant, ne pouvait pas ne pas ignorer ses différences d'indemnisations ; qu'il n'a jusqu'à la présente procédure élevé aucune contestation, ni n'a sollicité à son profit la prise en charge de ses frais kilométriques sur le trajet domicile/siège social ; qu'il ne justifie par ailleurs pas aux débats avoir sur la période en cause résidé sur une commune autre que Poitiers et avoir été ainsi en situation de bénéficier du remboursement de ces frais ;
1) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. H... avait fait valoir qu'aucune disposition statutaire ou délibération votée à l'unanimité des associés de la SCP Artémis n'avait prévu que les frais de trajet entre le domicile de ceux-ci et le siège social de la société soient pris en charge par cette dernière pour en déduire que dans ces conditions la SCP avait remboursé à tort à ses associés leurs frais de trajet, emportant une réduction des bénéfices des associés ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent de nature à établir les caractères illégitime et indu du remboursement de ces frais de trajet, devant en conséquence être réintégrés dans les bénéfices à répartir entre les associés pour les années 2011 à 2014, la cour d'appel n'a pas satisfait à l'obligation de motivation de son arrêt, violant les articles 455 du code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ;
2) ALORS QUE nulle société n'est en droit de rembourser aux associés des frais, en l'absence de stipulations statutaires ou de délibération collective ; que tout en constatant que la SCP Artémis avait remboursé aux associés de M. H... les frais kilométriques réglés pour leurs trajets domicile/siège social, la cour d'appel a cependant rejeté sa demande de réintégration de ces frais indûment remboursés par la SCP Artémis, prétexte pris qu'il n'aurait pas émis de contestation de ce chef avant la procédure, durant la vie de la société ; qu'en se fondant sur ces circonstances inopérantes tirées de l'absence de contestation de ce chef avant la procédure émanant de la part de M. H... qui n'y était nullement obligé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision de rejeter ses demandes de réintégration de ces frais kilométriques dans les bénéfices de la SCP, au regard des articles 1835 et suivants du code civil et 18 des statuts pris ensemble.