LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 décembre 2020
Cassation partielle sans renvoi
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1124 F-D
Pourvoi n° R 19-17.455
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 DÉCEMBRE 2020
L'association diocésaine de Nancy, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° R 19-17.455 contre l'arrêt rendu le 3 avril 2019 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à R... K..., ayant été domicilié [...] , décédé,
2°/ à Mme W... X..., domiciliée [...] ,
3°/ à Mme T... K..., domiciliée [...] ,
4°/ à M. D... K..., domicilié [...] ,
5°/ à M. U... K..., domicilié [...] ,
ces quatre derniers pris en qualité d'héritiers de R... K..., décédé,
6°/ à l'association radio télévision du diocèse de Nancy (ARTDN), dont le siège est [...] ,
7°/ à Pôle emploi, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de l'association diocésaine de Nancy, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme X..., MM. D... et U... K... et Mme T... K..., après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à Mme W... X..., MM. D... et U... K... et Mme T... K..., ayants droit de R... K..., décédé le [...], de leur reprise d'instance.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à l'association diocésaine de Nancy du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'association radio télévision du diocèse de Nancy.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 3 avril 2019), R... K... a été engagé à compter du 1er mars 1989 en qualité de journaliste rédacteur en chef par l'association diocésaine de Nancy.
4. Convoqué par son employeur le 9 septembre 2014 à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique, qui s'est tenu le 19 septembre 2014, le salarié a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle. Son contrat de travail a été rompu le 10 octobre 2014.
5. Contestant la réalité du motif économique de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; que l'existence des difficultés économiques invoquées au soutien du licenciement s'apprécie à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que l'employeur produit des éléments établissant que le résultat était négatif pour les exercices 2012 et 2013, ainsi que pour la période de janvier à août 2014, ce qui permettait de justifier de l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement, notifié par une lettre du 19 septembre 2014, la cour d'appel, pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, a néanmoins retenu que l'employeur ne démontre pas la réalité de ces difficultés économiques, faute de produire les bilans comptables 2014 et 2015, pourtant inopérants à justifier de l'existence desdites difficultés à la date du licenciement en septembre 2014, violant ainsi le texte précité. »
Réponse de la Cour
7. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par laquelle les juges du fond, analysant les éléments de preuve qui leur étaient soumis, ont retenu qu'à la date de la rupture, les difficultés économiques invoquées par l'employeur dans la lettre de licenciement n'étaient pas justifiées.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à rembourser à Pôle emploi, dans la limite de six mois les indemnités de chômage versées au salarié, avec intérêts de droit à compter de la décision, alors « qu'en l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ; qu'en l'espèce, il est constant que la rupture du contrat de travail du salarié est intervenue par suite de l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle ; qu'en ordonnant cependant à l'association diocésaine de Nancy de rembourser à Pôle-emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite des six mois prévue par la loi, sans tenir compte de la contribution équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis versée au titre de la participation de l'employeur au financement du contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-69 et L. 1235-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1233-69 et L. 1235-4 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, le second dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
10. En l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.
11. L'arrêt, après avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamne l'employeur au remboursement à l'organisme intéressé des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
15. L'employeur doit être déclaré tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.
16. Il convient de condamner l'association diocésaine de Nancy, qui succombe pour l'essentiel, aux dépens.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'association diocésaine de Nancy à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à R... K... dans la limite de six mois, avec intérêts de droit à compter de la décision, l'arrêt rendu le 3 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne l'association diocésaine de Nancy à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à R... K... dans la limite de six mois d'indemnités et sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt du 3 avril 2019 ;
Condamne l'association diocésaine de Nancy aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association diocésaine de Nancy et la condamne à payer à Mme X..., MM. D... et U... K... et Mme T... K... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour l'association diocésaine de Nancy.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé le licenciement de M. K... privé de cause réelle et sérieuse, condamné en conséquence l'Association Diocésaine de Nancy à lui verser la somme de 45.000 euros en réparation du préjudice subi à ce titre, ainsi qu'une somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et d'avoir condamné l'Association diocésaine de Nancy à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. K... dans la limite des six mois prévue par la loi, avec intérêts de droit à compter de sa décision ;
Aux motifs que « L'employeur produit aux débats l'attestation de M. J..., commissaire aux comptes, du 9 juillet 2015, de laquelle il résulte que « les résultats de fonctionnement » pour les 3 derniers exercices s'élèvent à :
• - 3.076.927 euros au 31/12/2012,
• - 3.466.874 euros au 31/12/2013,
• - 2.651.888 euros au 31/08/2014.
Par ailleurs, l'association verse au dossier :
- Le bilan 2013 dont le résultat est négatif de -454.650 euros contre un résultat positif en 2012 de 737.381 euros, qui montre une baisse des recettes notamment des dons et des subventions et donc des produits de fonctionnement mais aussi des produits financiers. Toutefois, la différence apparaît sur les charges exceptionnelles en hausse de 453.192 euros.
- Le mail du 5 septembre 2015 de M. F..., économe, qui commente le bilan 2013, en indiquant que le problème est « l'accroissement de son déficit des opérations courantes et sa dépendance à des ressources aléatoires ou exceptionnelles ».
- Les bilans 2010 et 2011 qui montrent également un résultat négatif de -709.820 euros au 31 décembre 2011 et de – 3.856.705 euros en 2010.
Toutefois, la société ne produit pas les bilans des années 2014 et 2015 et n'apporte aucune analyse financière ou comptable de nature à justifier des éléments économiques indiqués dans la lettre de licenciement et notamment du poids représenté par le département information et communication notamment en termes de masse salariale puisque les postes salaires et traitements et des charges sociales restent stables depuis 2010 sur les comptes de résultat produits et qu'ils ont même diminué entre 2012 et 2013 passant de 785.269 euros à 685.717 euros soit une baisse de 39.552 euros.
Il s'en déduit que l'employeur ne démontre pas, par les seuls éléments produits, la réalité des difficultés économiques alléguées et la nécessité de la suppression du poste de journaliste de M. K....
Il en résulte que, contrairement à ce qu'a retenu le Conseil de prud'hommes, le licenciement de M. K... est sans cause réelle et sérieuse, sans avoir besoin d'examiner les autres moyens.
Eu égard à son âge de 61 ans et à son ancienneté de 25 ans, étant observé que M. K... ne justifie ni de sa situation actuelle ni des démarches en vue de retrouver un emploi, la cour estime pouvoir réparer le préjudice consécutif au caractère sans cause réelle et sérieuse de son licenciement par l'allocation d'une somme de 45.000 euros » ;
Alors qu'aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ; que l'existence des difficultés économiques invoquées au soutien du licenciement s'apprécie à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que l'employeur produit des éléments établissant que le résultat était négatif pour les exercices 2012 et 2013, ainsi que pour la période de janvier à août 2014, ce qui permettait de justifier de l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement, notifié par une lettre du 19 septembre 2014, la Cour d'appel, pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, a néanmoins retenu que l'employeur ne démontre pas la réalité de ces difficultés économiques, faute de produire les bilans comptables 2014 et 2015, pourtant inopérants à justifier de l'existence desdites difficultés à la date du licenciement en septembre 2014, violant ainsi le texte précité.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné l'Association diocésaine de Nancy à rembourser à Pôle emploi, dans la limite de six mois, les indemnités de chômage versées à M. K..., avec intérêts de droit à compter de la décision ;
Aux motifs que « En application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'Association diocésaine de Nancy à rembourser à Pôle Emploi, les indemnités de chômage versées à M. K... dans la limite des six mois prévue par la loi et ce, avec intérêts légaux à compter de la présente décision » ;
Alors que en l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L.1233-69 du code du travail ; qu'en l'espèce, il est constant que la rupture du contrat de travail de M. K... est intervenue par suite de l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle ; qu'en ordonnant cependant à l'Association Diocésaine de Nancy de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite des six mois prévue par la loi, sans tenir compte de la contribution équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis versée au titre de la participation de l'employeur au financement du contrat de sécurisation professionnelle, la Cour d'appel a violé les articles L.1233-69 et L.1235-4 du code du travail ;
Alors, en tout état de cause, que le juge, qui doit observer le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur un moyen relevé d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en décidant d'office de condamner l'employeur à rembourser les indemnités chômage versées au salarié dans la limite de six mois, sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.