CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 novembre 2020
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10457 F
Pourvoi n° C 19-24.182
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 NOVEMBRE 2020
1°/ M. B... N... ,
2°/ Mme R... C..., épouse N... ,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° C 19-24.182 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2019 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme S... T..., épouse L...,
2°/ à M. Q... L...,
domiciliés tous deux [...],
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme N... , de Me Balat, avocat de M. et Mme L..., après débats en l'audience publique du 22 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme N... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme N... et les condamne à payer à M. et Mme L... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. et Mme N... .
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. et Mme N... de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre les époux L..., de les avoir condamnés à leur verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Aux motifs propres que, sur la demande de suppression de la vue litigieuse, il est établi par les pièces des parties, que lors de la vente de la parcelle [...] aux époux K... C... , Monsieur A..., vendeur, a conservé la propriété d'une grange bâtie sur la parcelle contiguë [...] , ladite grange étant construite en limite de propriété avec la parcelle [...] et comportant dans son mur confrontant la propriété acquise par les époux K... C... , deux ouvertures : une ouverture au rez-de-chaussée, une ouverture à l'étage de la grange comportant un volet en bois ; que le litige porte exclusivement sur l'ouverture située à l'étage du bâtiment vendu par Monsieur A... aux époux L... T... le 18 mars 2011 ; que les époux K... C... font grief aux époux L... T... d'avoir recréé cette ouverture en façade sud de leur bâtiment, ce qui constituerait une vue irrégulière sur leur fonds alors même qu'ils soutiennent que Monsieur A... les aurait autorisés courant 2000 à obturer cette ouverture par la réalisation d'ouvrages de maçonnerie ; qu'il est établi notamment par le rapport d'expertise judiciaire de M. G... du 5 juin 2015 que l'ouverture incriminée comporte désormais une fenêtre oscillo-battante d'une dimension de 80 cm sur 80 cm avec une vue directe limitée sur la cour des époux K... C... (lorsque la fenêtre est ouverte) ainsi qu'une vue oblique, ces vues ne respectant pas les dispositions légales édictées par les articles 678 et 679 du code civil et l'ouverture n'étant pas positionnée à la hauteur prévue par l'article 677 du code civil ainsi que l'a constaté l'expert judiciaire, Monsieur G..., dans son rapport (pages 10 et 11) ; que les époux L... T... objectent que cette ouverture existait lors de leur acquisition de la parcelle [...] et qu'elle n'a été obturée par les époux K... C... que quelques jours après leur achat soit après mars 2011, qu'il s'agit en réalité d'une servitude de vue par destination du père de famille, et qu'ils n'ont fait qu'aménager l'ouverture existante sans aggraver la servitude de vue ; qu'aux termes de l'article 690 du code civil, les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans ; que selon l'article 692 du même code, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes continues et apparentes ; que par ailleurs, l'article 693 du code civil dispose qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel il résulte la servitude ; qu'il est constant que, lors de la vente du 7 septembre 2000 conclue entre M. A... et les époux K... C... , l'ouverture litigieuse, alors équipée d'un volet bois existait bien dans le mur voisin ; que les appelants soutiennent dans leurs écritures, avoir obtenu l'accord du vendeur pour l'obturer ; qu'or, cette affirmation qui ne résulte d'aucune mention de l'acte de vente du 7 septembre 2000 se trouve contredite par l'attestation établie le 20 avril 2015 par Monsieur A..., aux termes de laquelle celui-ci indique que cette ouverture existait toujours à la date de la vente aux époux L... T.... et qu'elle a été murée par Monsieur K... quelques jours après cette vente, soit après le mois de mars 2011 ; que les attestations contraires produites aux débats par les époux K... C... émanant de membres de leur famille ne sauraient prévaloir sur l'attestation de leur vendeur ainsi que sur les autres attestations produites par les époux L... T... et en particulier celle de l'artisan menuisier (D... W...) qui a posé le bloc fenêtre PVC ; que la disposition des lieux née de la division de son fonds opérée par M. A... en 2000 implique nécessairement la création d'une servitude de vue sur le fonds voisin et Monsieur et Madame K... C... n'ont pu que s'en convaincre dès l'achat de leur immeuble en raison du caractère apparent de l'ouverture ; que s'ils soutiennent que la grange n'avait qu'une destination agricole, la consistance de ce bâtiment n'excluait pas à terme, la possibilité d'un aménagement auquel le vendeur initial n'avait pas renoncé dans l'acte du 7 septembre 2000 ; qu'au résultat de ces constatations, la vue sur le fonds voisin donnée par cette ouverture est le résultat de la division du fonds A... et constitue une servitude par destination du père de famille au sens des dispositions susvisées, les choses ayant été mises dans cet état par le propriétaire originel ; que l'existence de la servitude de vue par destination du père de famille interdit au propriétaire du fonds servant d'obtenir la suppression de l'ouverture existante sauf pour ce dernier, à prouver un non usage pendant trente 30 ans, preuve non rapportée en l'espèce ; que les dispositions légales invoquées par les appelants sont donc inapplicables à l'ouverture existante au premier étage dans le mur L... T... qui n'a pas été créée par ces derniers lors des travaux de réhabilitation de la grange mais qui préexistait à leur acquisition ; que par ailleurs, les époux K... C... ne démontrent pas l'aggravation de cette servitude par la réalisation des travaux effectués par les époux L... T... qui n'ont pas modifié la dimension de l'ouverture litigieuse ni son emplacement étant relevé que si l'ouverture ancienne était équipée d'un volet en bois, il n'est pas établi que ce volet n'était pas mobile ; que c'est donc à bon droit que le premier juge a, par des motifs que la cour adopte, débouté les époux K... C... de leur demande de suppression de la vue provenant du fonds de leurs voisins et de leurs demandes subséquentes de remise en état et de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance ;
Et aux motifs adoptés que, il ressort en l'espèce de l'examen des titres de propriété que M. et Mme N... ont acquis de M. et Mme A..., par acte authentique dressé par Me M... le 7 septembre 2000, un bien immobilier situé au [...] , cadastré section [...] , provenant de la division d'un ensemble plus important appartenant au vendeur, le surplus, cadastré [...] , restant lui appartenir ; que cet acte précisait en outre, dans un paragraphe intitulé « SERVITUDES » que l'acquéreur « souffrira des servitudes passives de toute nature et profitera de celles actives » aucune autre mention spécifique relative à l'accord du vendeur pour la suppression d'une servitude de vue créée par la division des fonds ne figurant dans l'acte, seule étant mentionnée une obligation pour les acquéreurs d'édifier un mur séparatif entre les deux fonds ; que postérieurement M. et Mme L... ont acquis, le 18 mars 2011, des mêmes vendeurs, et de M. F... Y..., le bien immobilier cadastré [...] constitué, outre de caves en sous-sol, d'une grange avec un rez-de-chaussée, un premier étage avec mezzanine et un deuxième étage, aucune mention relative à la destination agricole du bien n'étant précisée ; qu'il apparait par ailleurs constant que lors de la vente par les époux A... de son bien aux époux N... , l'ouverture litigieuse, constituée d'une fenêtre avec oscillo-battant de 80x80 surmontée d'une partie fixe avec vitrage translucide, existait bien dans le mur voisin, puisqu'ils soutiennent eux-mêmes, aux termes de leurs écritures, avoir obtenu l'accord du vendeur pour l'obturer ; qu'or, cette affirmation ne résulte d'aucune mention de l'acte de vente, comme il a été rappelé ci-avant, et est au demeurant contredite par l'attestation établie par M. A... et versée aux débats par les défendeurs, aux termes de laquelle il indique que cette ouverture existait bien et qu'elle a été obturée par M. N... quelques jours après la vente du bâtiment aux époux L..., soit après le mois de mars 2011 ; qu'il résulte ainsi de ces seules constatations que la servitude de vue générée par cette ouverture est bien le résultat de la division des fonds, et constitue ainsi une servitude par destination du père de famille au sens des dispositions susvisées, les choses ayant été mises dans cet état, créateur d'une servitude, par le propriétaire originel ; qu'en effet, la dispositions des lieux impliquait nécessairement la création d'une servitude de vue sur le fonds voisin, et M. et Mme N... n'ont pu que s'en convaincre dès l'achat en raison du caractère apparent de l'ouverture ; que s'ils soutiennent aujourd'hui que cette grange n'avait qu'une destination agricole, ils ne le démontrent toutefois pas, et la consistance de ce bâtiment n'excluait de toute façon pas, à terme, la possibilité d'un aménagement auquel le vendeur initial n'avait pas renoncé ; qu'il convient d'ajouter que l'huissier de justice mandaté par M. et Mme N... eux-mêmes, relève l'existence d'une ouverture à l'étage qu'il qualifie d'ancienne et entièrement dégagée, de sorte que l'existence d'une vue sur le fonds de voisin n'a pas été aggravée par les époux L... ; qu'enfin l'expert judiciaire confirme l'existence de l'ouverture lors de la vente en 2000, avec un volet de bois ; que par suite, l'existence de la servitude de vue par destination du père de famille empêche le propriétaire du fonds servant d'obtenir la suppression des ouvertures existantes ; qu'à cet égard, les dispositions légales visées par les demandeurs sont inapplicables à la présente situation qui ne résulte pas de la création par les défendeurs d'une ouverture puisque celle-ci était antérieure à leur propre acquisition ; que la demande présentée au titre de la servitude de vue ne peut par conséquent qu'être rejetée, de même que les demandes subséquentes de remise en état et de dommages-intérêts ;
Alors 1°) que, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que lors de la division des parcelles cadastrées [...] et [...] appartenant à M. A..., la grange située sur la parcelle [...] qu'il avait conservée, avait à son premier étage une ouverture équipée d'un volet de bois, donnant sur la cour de la parcelle [...] vendue aux époux N... ; qu'elle a encore relevé que suite à la vente de la parcelle [...] aux époux L... en 2011, ces derniers avaient transformé la grange en un lieu d'habitation et modifié l'ouverture en remplaçant le volet de bois par une fenêtre oscillo-battante d'une dimension de 80 cm/80 cm, ayant une vue directe et oblique sur la cour des époux N... ; qu'en jugeant, pour débouter les époux N... de l'intégralité de leurs demandes, qu'il s'agissait d'une servitude de vue par destination du père de famille, « les choses ayant été mises dans cet état par le propriétaire originel », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales dont il s'évinçait que les choses avaient été mises dans cet état par les acquéreurs, et non par leur auteur, a violé l'article 693 du code civil ;
Alors 2°) que, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; qu'en relevant, pour retenir au bénéfice des époux L... une servitude de vue par destination du père de famille, que M. A..., l'auteur commun des parties, n'avait pas renoncé dans l'acte de vente du septembre 2000 consenti aux époux N... , à aménager la grange, la cour d'appel, qui a statué à la faveur d'une motivation totalement inopérante à caractériser une servitude de vue par destination du père de famille, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 693 du code civil ;
Alors 3°) que, la preuve de l'existence, contestée, d'une servitude de vue par destination du père de famille incombe au propriétaire du fonds dominant, qui doit établir qu'au jour de la division, l'ouverture avait le caractère de vue ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé que « si l'ouverture ancienne était équipée d'un volet en bois, il n'était pas établi que ce volet de bois n'était pas mobile », marquant ainsi un doute sur le caractère ouvrant du volet ; qu'en retenant l'existence d'une servitude de vue par destination du père de famille au bénéfice des époux L... en retenant qu'il n'était pas établi que le volet n'était pas mobile, cependant qu'il appartenait à ceux qui invoquaient l'existence d'une servitude d'établir que le volet était mobile pour établir que la vue existait déjà, la cour d'appel a violé par inversion de la charge de la preuve l'article 1315 du code civil ;
Alors 4°) que, en toute hypothèse, en affirmant que les époux N... ne démontraient pas que les époux L... avaient aggravé la servitude de vue sans s'expliquer, comme elle y était invitée, sur la portée des conclusions de l'expert G... (cf. rapport, p. 11) qui concluait que l'implantation par ces derniers d'une fenêtre oscillant-battant avait créé une vue oblique à moins de 60 cm de la façade sur cour de la maison des exposants, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 702 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. et Mme N... de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre les époux L..., de les avoir condamnés à leur verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Aux motifs propres que, sur la demande de raccordement de la descente EP des époux L... dans le regard dépendant du fonds leur appartenant, qu'il est établi par le rapport d'expertise judiciaire (page 11) que la descente des eaux pluviales des époux L... était raccordée à la descente des eaux pluviales des époux N... en contradiction avec les dispositions de l'article 681 du code civil ; qu'or, ainsi que l'a relevé le premier juge, les époux L... ont en cours de procédure régularisé la situation par la pose d'un regard privatif sur le domaine public, ainsi qu'en atteste la mairie de [...] le 30 novembre 2016 ; que cette demande de remise en état n'a plus d'objet et la décision du premier juge de ce chef sera confirmée ;
Et aux motifs adoptés que, la demande au titre de la canalisation d'eaux pluviales ne sera pas davantage accueillie, les défendeurs ayant fait diligence dans le courant de la procédure pour faire procéder à l'évacuation des eaux pluviales par un regard privatif sur le domaine public, ainsi qu'en atteste la mairie de [...] le 30/11/2016 ;
Alors que, tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique, sans pouvoir les faire verser sur le fonds de son voisin ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était établi par le rapport d'expertise judiciaire (page 11) que la descente des eaux pluviales des époux L... était raccordée à la descente des eaux pluviales des époux N... en contradiction avec les dispositions de l'article 681 du code civil ; qu'en se bornant à relever qu'en cours de procédure, la Mairie de [...] avait attesté de ce que les époux L... avaient fait procéder à l'évacuation des eaux pluviales par un regard privatif sur le domaine public, sans constater que, nonobstant ce nouvel aménagement, ils avaient mis un terme à l'ancien raccordement sur le fonds de leurs voisins, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 681 du code civil.