CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 novembre 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10462 F
Pourvoi n° S 19-18.836
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 NOVEMBRE 2020
1°/ Mme T... C..., domiciliée [...] ,
2°/ Mme F... C..., domiciliée [...] ,
3°/ Mme X... C..., domiciliée [...] ),
4°/ Mme A... C..., domiciliée [...] ),
ont formé le pourvoi n° S 19-18.836 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2019 par la cour d'appel de Nancy (3e chambre civile), dans le litige les opposant à M. Y... P..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mmes C..., de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. P..., après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mmes C... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes C... et les condamne à payer à M. P... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour Mmes C...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré établie la possession d'état d'enfant naturel de J... C... à l'égard de Monsieur Y... P..., dit que Monsieur Y... P... était le fils naturel de J... C..., ordonné la transcription du jugement à intervenir en marge de l'acte de naissance de Monsieur Y... P... et condamné Mesdames T... C..., F... C..., X... C... et A... C... à payer à Monsieur Y... P... la somme de 1 500 euros solidairement et la somme de 2 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs propres que, selon les dispositions de l'article 311-1 du code civil, la possession d'état s'établit par la réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. Les principaux de ces faits sont : 1° que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; 2° que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; 3° que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; 4° qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; 5° qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue ; que la réunion de tous les éléments énumérés ci-dessus n'est pas nécessaire pour que la possession d'état puisse être considérée comme établie. Il suffit, comme le prescrit l'article 311-1, qu'il y ait une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation et de parenté ; que par ailleurs, selon les dispositions de l'article 311-2 du même code, la possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque ; qu'en l'espèce, Y... P... produit de nombreuses photographies établissant une relation continue depuis son plus jeune âge (notamment, sur deux clichés, il apparaît bébé dans les bras de J... C...), puis à tous âges, à l'occasion d'anniversaires, de vacances d'été, d'hiver en France ou à l'étranger, ainsi qu'à des fêtes ou événements familiaux ; que sur une des photos produites, Y... P... apparaît en présence de X... C..., fille légitime de J... C... et du mari de celle-ci ; qu'il soutient aussi que J... C... présentait Y... P... comme son fils à son entourage en produisant des attestations de personnes indiquant avoir eu connaissance de ce lien de filiation, notamment : E... B... et N... B..., la fiancée de Y... P... et le père de celle-ci, évoquant avoir connu en 2008 les parents de Y... P..., J... C... et E... P..., les avoir ensuite régulièrement vus à l'occasion de repas familiaux, anniversaires et vacances ; - S... Q..., S... H... et K... I..., amis de Y... P..., expliquant avoir fréquenté ses parents, J... C... et E... P... ; - V... M..., ami de vacances de E... P..., J... C... « et de leur fils Y... », U... G..., ami, et Mme W... R..., amie de longue date de J... C... ; - M. O... D..., parrain de Y... P..., précisant que J... C... venait souvent chercher Y... chez sa mère qui était nourrice, qu'il a passé des vacances, assisté à des repas de famille, anniversaires, fêtes de L... et que J... C... venait souvent encourager son fils sur les rallyes automobiles ; - HR... ID... épouse AO..., amie de E... P..., et VK... TA..., voisine de E... P... qui voyait J... C... venir quatre à cinq fois par semaine rendre visite, généralement en soirée, à sa voisine ; - SZ... LQ..., compagne de EP... C... (le frère de J... C...), indiquant qu'il y a 25 ans, ce dernier leur a dit, à lui et à son frère, qu'il avait eu un fils prénommé Y... avec E... P... (infirmière) ; - IB... EP..., nièce de J... C..., attestant revenir chaque année pendant les vacances, chez sa mère, soeur de J... C... pour des repas de famille en présence de son oncle J... C..., E... et leur fils Y... ; - NR... V... NK..., neveu de J... C..., attestant connaître E... P... depuis 1969, laquelle a rencontré J... C... en 1971, qu'une relation s'en est suivie et qu'ils leur ont régulièrement parlé de leur fils, Y... P... ; - HU... JA... et NC... JA..., locataires d'un local dont J... C... était le propriétaire, expliquant que ce dernier s'était présenté avec son fils Y... P... qu'il leur avait d'ailleurs dit de contacter en cas de problème ; - E... P..., mère de Y... P..., relatant sa rencontre 1971 avec J... C..., leur relation amoureuse, leur décision d'avoir un enfant dont le prénom traduit l'identité de son père « [...] (C... J...) » ; que les appelantes produisent quant à elles : - des documents relatifs aux difficultés professionnelles de Y... P... au sein de la SCI Rubi (une mise en garde le 28 juillet 2009, la dénonciation de sa procuration donnée en janvier 2012 et les démarches effectuées pour obtenir les documents comptables de la société auprès de ce dernier) ; - des courriers émanant des membres de la famille C... ayant établi des attestations produites par Y... P... : un courrier en date du 12 décembre 1992 de IB... EP... au sujet d'une dette non remboursée ; un courrier en date du 4 mars 2002 de J... C... à son frère EP... C... au sujet de son fils SX... ; un courrier d'avocat en date du 6 juillet 2006 au sujet d'un litige opposant à NR... V... NK... et une petite fille de J... C... ; - une attestation de A... C..., fille de J... C..., indiquant que son père et sa mère ne se sont pas séparés et que J... C... était constamment présent pour sa famille, pour les événements familiaux ; - des attestations des employés du magasin C..., SP... QL..., Mme NC..., RE... et OD... YY..., indiquant que J... C... habitaient avec sa femme à la même adresse que leur lieu de travail, ce dernier leur ouvrant le magasin tous les matins et les après-midis jusqu'à son hospitalisation ; - un courrier non daté de la directrice de la maison de repos Clos sur la Fontaine où résidait J... C... depuis deux ans, attestant avoir principalement vu et eu contact avec ses filles et familles de celles-ci qui ont pris soin de leur père, précisant qu'un Monsieur et sa compagne se sont présentés à deux reprises au début de l'hébergement de J... C... et ne sont pas revenues par la suite ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que, depuis la naissance de Y... P... le [...] , J... C... l'a considéré comme son fils et s'est comporté comme son père à son égard ainsi qu'à l'égard de son entourage amical et social et de sa propre famille, participant aux repas de familles, anniversaires et vacances ; que les difficultés professionnelles de Y... P... relevées au sein de la SCI Rubi et ayant conduit à son licenciement – alors que la société n'était plus administrée directement par J... C... –, les tensions familiales, parfois anciennes eu égard à la date des courriers produits, avec les membres de sa famille ayant indiqué connaître Y... P... comme le fils de J... C..., ainsi que les attestations produites par les appelantes ne sont pas de nature à remettre en cause cette possession d'état ; qu'en conséquence, et sans qu'il soit besoin de procéder à une expertise biologique, les éléments susvisés suffisent à établir que depuis sa naissance et jusqu'au décès de J... C... survenu en 27 octobre 2014, Y... P... a joui d'une possession d'état continue, paisible, publique et non équivoque de fils du défunt, possession d'état qu'il convient de constater ; que le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Et aux motifs, le cas échéant, repris des premiers juges qu'aux termes de l'article 311-1 du code civil, la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle dit appartenir ; que les principaux de ces faits sont : – que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; – que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; – que cette personne est reconnue comme leur enfant, par la société et par la famille ; – qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; – qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue ; que le comportement parental est créateur de possession d'état s'il est habituel et continu ; que c'est l'image extérieure de la filiation qui permettra de déterminer l'existence de la possession d'état qui repose sur la preuve d'une filiation affective et sociale ; que la possession d'état est constituée par un ensemble de circonstances de fait analysées dans le contexte spécifique ; que Monsieur P... fait valoir qu'il a toujours eu la possession d'état d'enfant naturel à l'égard de Monsieur J... C..., et ce jusqu'à son décès ; qu'il indique produire de nombreuses photographies établissant une relation constante entre eux ainsi que de nombreuses attestations dont trois émanent de la famille de Monsieur C... ; qu'il souligne que l'existence de son lien de filiation avec ce dernier était connu de tous et notamment de ses propres enfants comme le démontrent les relations amicales qu'il entretenait avec X... C... ; qu'il ajoute que son prénom représente les initiales de Monsieur C... ; que les consorts C... soutiennent que leur père n'a fait aucune démarche pour reconnaître l'enfant et que cela démontre qu'il ne le considérait pas comme son fils ; qu'ils indiquent qu'aucun élément ne permet de rattacher Monsieur C... à l'enfant, que ce soit pendant la grossesse, lors de la naissance, et ce jusqu'à ses trois ans ; qu'ils précisent que les attestations produites sont des attestations de complaisance produites pour les besoins de la cause ; qu'ils soulignent que les attestations émises par la famille l'ont été par des membres en conflit avec T... C... et ayant agi par vengeance ; que les attestations de Madame IB... EP..., Monsieur NR... V... NK... et de Madame VK... TA..., Madame NC... JA..., Madame A... C..., Madame SP... QL..., Madame NC... RE... [RE...] et Madame OD... YY... seront écartées des débats ne respectant pas les conditions de validité requises par l'article 202 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, Monsieur P... produit de nombreuses photographies où il apparaît aux côtés de Monsieur C... à tous âges, durant les vacances d'été, d'hiver, à son anniversaire ou des événements familiaux ; que Madame SZ... LQ..., compagne de Monsieur EP... C..., déclare que Monsieur J... C... lui avait indiqué avoir eu un fils prénommé Y... avec Madame P... ; qu'il ressort des attestations produites que Monsieur C... présentait Monsieur Y... P... comme étant son fils ; que si les consorts C... indiquent que les attestations produites par le demandeur sont des attestations de complaisance, ils n'en apportent nullement la preuve, ni d'ailleurs que celles produites par la famille l'ont été par vengeance ; que Monsieur P... est donc perçu par son entourage familial, amical et par la société comme étant le fils de Monsieur C... ; que les photographies démontrent le lien affectif qui les unissait ; que le choix du prénom indique l'existence d'un lien entre eux ; qu'en conséquence, la possession d'état d'enfant naturel de J... C... est établi[e] à l'égard de Monsieur Y... P... ;
Alors, de première part, que la possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ; qu'en se bornant à faire état de photographies insusceptibles en elles-mêmes de révéler un tel lien de filiation et d'attestations émanant pour la plupart du cercle amical et familial étroit de Monsieur P... sans relever d'éléments matériels témoignant des sentiments de J... C... à son endroit ou de la contribution apportée par celui-ci à l'entretien ou à l'éducation de Monsieur P..., ou de la connaissance que des tiers ou des autorités publiques auraient eu de ce lien de filiation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 311-1 du code civil ;
Alors de deuxième part que la possession d'état doit être paisible ; qu'en ne s'expliquant pas sur les termes de l'avertissement notifié par J... C... à Monsieur P... le 28 juillet 2009, témoignant de relations froides et formelles insusceptibles d'être assimilées aux relations d'affection ou de reconnaissance entre un père et un fils, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 311-1 et 311-2 du code civil ;
Alors de troisième part que la possession d'état doit être publique ; que la cour d'appel qui ne fait état pour caractériser la possession d'état d'enfant naturel de J... C... à l'égard de Monsieur Y... P... que d'éléments réduits pour la plupart au cercle familial et amical de ce dernier, sans caractériser le caractère public de cette prétendue possession d'état, a privé sa décision de base légale au regard des articles 311-1 et 311-2 du code civil ;
Alors de quatrième part que la possession d'état doit être non équivoque ; que la cour d'appel ne pouvait s'appuyer sur les relations étroites qu'aurait entretenu J... C... avec la mère de Monsieur Y... P..., sans s'expliquer sur les témoignages produits émanant notamment des salariés de J... C... et de son épouse, témoignant de la présence constante de celui-ci à son foyer, incompatible avec la double vie qui lui était de la sorte prêtée ; qu'en l'état, la cour d'appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard des articles 311-1 et 311-2 du code civil ;