CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 octobre 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10425 F
Pourvoi n° M 18-24.163
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 OCTOBRE 2020
Mme L... V..., épouse R..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° M 18-24.163 contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2018 par la cour d'appel de Riom (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. A... V..., domicilié [...] ,
2°/ à Mme N... V..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Boulloche, avocat de Mme L... V..., de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. V... et de Mme N... V..., après débats en l'audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme L... V... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme L... V... et la condamne à payer à M. V... et Mme N... V... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour Mme L... V....
Le premier moyen de cassation fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté les exceptions d'irrecevabilité présentées par Mme L... V..., épouse R... ;
AUX MOTIFS QUE « l'article 1304 du code civil dispose que le temps ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant ;
Attendu que les époux U... avaient été placés sous régime de protection depuis le juillet 2007 ; qu'ils sont décédés les 2 mars 2012 et 28 janvier 2013 ; que l'assignation devant la juridiction de première instance est en date du 7 juillet 2014 ;
Attendu qu'il s'ensuit que l'action en nullité d'actes diligentée par les consorts V... était recevable comme engagée dans un délai inférieur à cinq années à compter du décès ; qu'en toute hypothèse il n'est aucunement établi que ces derniers avaient eu connaissance des actes en litige avant le décès des époux U... ; que l'exception de prescription sera ainsi écartée ;
Attendu que les demandes d'annulation du testament de Monsieur U... en date du août 2006, ainsi que de l'avenant du 19 novembre 2004 au contrat d'assurance-vie du 22 mars 1991, se rattachent aux demandes initiales ; que des demandes en nullité ont été formées pour des actes se situant à la même époque que celle concernant le débat sur l'insanité des disposants ; que la question posée doit être appréciée globalement et doit s'appliquer à tous les actes signés dans la même période ; que l'exception d'irrecevabilité formulée sur ce point ne sera donc pas accueillie » (arrêt p. 4 et 5, § 1er) ;
1°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en nullité de contrats d'assurance-vie ou d'avenants, pour insanité d'esprit du souscripteur, court à compter de l'acte ou de sa confirmation, et non du décès du souscripteur, en l'absence de mesure de protection au jour de l'acte litigieux ; qu'en l'espèce, Madame V... épouse R... a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, qu'en novembre 2004, les époux U... n'étaient pas sous l'empire d'une mesure de protection ; que pour écarter l'exception de prescription de l'action en nullité de l'avenant de modification du 19 novembre 2004 de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie souscrit le 22 mars 1991, considéré comme un acte à titre onéreux, la cour d'appel a retenu que l'action en nullité d'actes diligentée par les consorts V... était recevable comme engagée dans un délai inférieur à cinq années à compter du décès des époux U... ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;
2°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, Mme R... épouse V... a soutenu que les consorts V... avaient connaissance des actes litigieux puisqu'ils avaient été évoqués en 2007 par le juge des tutelles au cours d'une procédure dont ils étaient à l'origine et pendant laquelle ils ont été entendus ; qu'en décidant qu'il n'était pas établi que les consorts V... avaient eu connaissance des actes en litige avant le décès des époux U..., sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les demandes présentées pour la première fois en appel sont irrecevables à moins qu'elles ne tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ou qu'elles en soient l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité de la demande, nouvelle en appel, d'annulation de l'avenant du 19 novembre 2004 au contrat d'assurance-vie du 22 mars 1991, à énoncer qu'elle se rattachait aux demandes initiales, que des demandes en nullité avaient été formées pour des actes se situant à la même époque que celles concernant le débat sur l'insanité des disposants, en sorte que la question posée devait être appréciée globalement et devait s'appliquer à tous les actes signés dans la même période ; qu'en statuant ainsi, sans constater que la demande d'annulation de l'avenant du 19 novembre 2004 tendait aux mêmes fins que celles présentées en première instance ou en était l'accessoire, la conséquence ou le complément, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 564 à 566 du code de procédure civile.
Le second moyen de cassation, subsidiaire, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité de la donation de la nue-propriété de la maison située à La Tour d'Auvergne, cadastrée section [...] et, des meubles meublants et objets mobiliers la garnissant consentie par M. et Mme U... à Mme L... V..., épouse R..., par acte authentique en date du 23 novembre 2004, celle du testament de Mme U... du 30 août 2006 et de l'avenant du 19 novembre 2004 du contrat souscrit le 22 mars 1991, et d'avoir dit que Mme L... V..., épouse R..., devra restituer les sommes perçues à ce titre ;
AUX MOTIFS QUE « s'agissant de Mme U..., le certificat du docteur I... en date du 25 septembre 2001 indiquait que Mme U... se plaignait depuis quelques mois d'une baisse des fonctions cognitives avec des troubles mnésiques sur les faits récents ; que le 6 novembre 2001 le même médecin précisait que l'on pouvait vraisemblablement retenir l'hypothèse d'une maladie d'C... avec détérioration légère à modérée pour le moment ;
Attendu que dans son certificat médical en date du 31 décembre 2006 le docteur X... indiquait que Mme U... est traitée depuis plus de quatre ans pour une maladie d'C... dont le stade d'évolution actuel la rendait totalement incapable de gérer ses affaires administratives et financières ; que dans un autre certificat en date du 20 décembre 2015 il certifiait avoir soigné Mme U... depuis le mois de mars 2003 et que celle-ci avait été traitée pour un syndrome démentiel de type C... installé ; que les troubles mnésiques et cognitifs affectaient incontestablement et profondément la lucidité de jugement et la capacité de réflexion ;
Attendu que Mme Q..., maire de la commune de La Tour d'Auvergne, attestait le 7 décembre 2015, que dès les années 2002/2004 l'état de Mme U... s'était dégradé et que très vite elle avait perdu ses facultés de discernement et ses repères dans le temps et l'espace ;
Attendu qu'une mesure de protection avait été prise au bénéfice de Mme U... le 5 juillet 2007 ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que dès les années 2002, Mme U... était traitée pour une maladie d'C... ; qu'eu égard à ses difficultés de santé médicalement constatées et expliquées, elle n'a pas pu signer en pleine connaissance de cause les actes des 23 novembre 2004 et du 30 août 2006 ; que le jugement déféré sera ainsi confirmé sur ces points et que les actes en litige seront annulés ; (
..)
Attendu que l'avenant signé par Mme U... le 19 novembre 2004 sera déclaré nul eu égard aux constatations antérieures » (arrêt p. 5 & 6) ;
ET AUX MOTIFS, EVENTUELLEMENT ADOPTES, QUE « En ce qui concerne Mme U... :
Aux termes d'un courrier en date du 6 novembre 2001, le docteur P... mentionne un score nettement déficitaire au MMSE et l'existence d'ondes lentes paroxystiques à son EEG permettant de "retenir l'hypothèse d'une maladie d'C... avec détérioration légère à modérée pour l'instant". Un traitement médicamenteux est préconisé.
Le docteur X..., médecin traitant, indique dans son certificat du 31 décembre 2006 que "Mme U... est traitée depuis 4 ans pour une maladie d'C..., dont le stade d'évolution actuel la rend d'une part totalement incapable de gérer ses affaires administratives et financières et d'autre part met sa santé et sa sécurité en cause, ainsi que celles, le cas échéant, de tierces personnes". Il ajoute notamment qu'à plusieurs reprises, récemment, Mme U... a été retrouvée errant dans les rues du bourg, en pantoufles, malgré le froid".
Dans un certificat du 20 décembre 2015, le docteur X... confirme que depuis 2003 Mme U... a été traitée pour un syndrome démentiel type C... installé, qui a rapidement évolué vers l'aggravation et que les troubles cognitifs et mnésiques qu'elle manifestait alors affectaient "incontestablement et profondément la lucidité de son jugement, de même que sa capacité de réflexion, et donc de décision".
Mme Q... atteste le 7 décembre 2015 qu'en sa qualité de pharmacienne et voisine du couple U... sur la commune de la Tour d'Auvergne, elle a pu observer que " dans les années 2002/2004, l'état de Mme U... s'est rapidement dégradé. Selon elle, "elle a vite perdu ses facultés de discernement et perdait ses repères dans le temps et dans l'espace. Puis de 2004/2006, la dégradation s'est accélérée." Elle précise encore : " il est même arrivé de recueillir le couple un après-midi totalement égaré et ne sachant plus ni ce qu'il faisait, ni où il se trouvait et j'ai dû faire appel à leur nièce du Mont Dore afin qu‘elle vienne les récupérer. Il est certain que leur état, mais particulièrement celui de Mme U... suscitait énormément de souci pour l'ensemble du voisinage".
Lors de l'évaluation de l'état de dépendance réalisée en 2009 à l'occasion de l'admission de Mme U... à l'EHPAD Les Bruyères de Bourg Lastic, il a été observé qu'elle n'était pas en capacité de converser et de se comporter de façon logique et sensée.
Il résulte de ces éléments que depuis 2001, Mme U... était atteinte d'un syndrome démentiel. Dès cette année, la détérioration neurologique inhérente à la maladie a été qualifiée de modérée et a justifié un traitement médicamenteux.
Mme Q..., voisine des époux U..., précise dans son attestation du 7 décembre 2015 que l'état de Mme U... s'est rapidement dégradé à partir de 2002, celle-ci perdant ses facultés de discernement et de repérage dans le temps et dans l'espace. Elle indique que ce phénomène de dégradation s'est accéléré à partir de 2004. Il est vrai que cette attestation ne répond pas aux exigences de forme posées par l'article 202 du code de procédure civile. Toutefois, il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si 1'attestation non conforme à ces exigences présente des garanties suffisantes pour emporter la conviction. En l'espèce il n'est contesté ni le fait que Mme Q... soit l'auteur de cette attestation, ni que celle-ci ait été voisine et pharmacienne des époux U.... En sa double qualité de pharmacienne et de voisine directe, Mme Q... a pu se convaincre de l'altération des facultés de discernement de Mme U.... Son attestation apparaît donc présenter des garanties suffisantes permettant de donner du crédit à son contenu. Si cette attestation ne contient aucune date précise, il n'en reste pas moins qu'il est noté une dégradation nette dès l'année 2002, s'accélérant en 2004.
Les éléments médicaux versés aux débats, complétés par l'attestation précitée de Mme Q..., permettent de considérer que :
- dès 2002, le stade d'évolution de la maladie d'C... affectant Mme U..., suffisamment avancé pour justifier l'administration d'un traitement, a fait perdre à celle-ci ses complètes facultés de raisonnement et de discernement
- qu'à partir de 2004, cette altération des facultés mentales s'est accentuée.
Il s'en déduit que Mme U... présentait une insanité d'esprit à la fois dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à la donation querellée en date du 23 novembre 2004.
La preuve de l'intervalle de lucidité au moment de la régularisation de l'acte de donation n'étant pas rapportée aux débats, il convient de retenir l'insanité d'esprit de Mme U... à la date de cette libéralité et par conséquent de prononcer la nullité de l'acte sur le fondement de l'article 414-1 du code civil.
Les pièces versées aux débats convergent pour établir que l'état de Mme U... était encore plus dégradé en 2006, année de rédaction de son testament.
Pour tenter de démontrer l'état de lucidité de Mme U... au moment du legs consenti à son profit Mme R... excipe d'une étude graphologique réalisée le 27 mars 2015.
De cette étude, il ressort que les similitudes graphologiques que présentent le testament et les échantillons de comparaison remis traduisent la lucidité de son jugement, sa capacité de réflexion et de décision au moment dudit testament.
Outre le fait que cette étude n'a pas été contradictoirement réalisée, il importe de relever que la conclusion quant à la lucidité du jugement et à l'existence de la capacité de réflexion et de décision apparaît, sinon audacieuse, du moins insuffisamment étayée. La graphologie est la discipline qui vise à dégager à travers l'écriture d'un personne ses traits de personnalité, voire son profil psychologique.
La capacité de cette discipline à révéler de façon certaine la lucidité d'un jugement ou la réalité des capacités de réflexion du sujet au moment de l'écrit analysé n'est nullement démontrée. Par conséquent, l'expertise graphologique produite par Mme R... ne pourra emporter la conviction du tribunal et la demande d'expertise judiciaire graphologique présentée à titre subsidiaire sera rejetée ;
La défenderesse n'apporte en définitive aucun élément permettant de démontrer l'intervalle de lucidité de Mme U... à la date de rédaction de son testament.
Il s'ensuit que cet acte doit également être annulé » (jug. p. 5 à 7) ;
1°) ALORS QUE l'insanité d'esprit, dont la preuve doit être rapportée par celui qui l'invoque, doit exister au moment où l'acte litigieux a été passé ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que dès les années 2002, Mme U... avait été traitée pour une maladie d'C..., la cour d'appel a retenu qu'eu égard à ses difficultés de santé médicalement constatées et expliquées, elle n'avait pas pu signer en pleine connaissance de cause les actes des 23 novembre 2004 et 30 août 2006 ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'insanité d'esprit de Mme U... au moment de la donation du 23 novembre 2004 et de son testament en date du 30 août 2006, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 901 du code civil, ensemble l'article 489 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;
2°) ALORS QUE pour déclarer nul l'avenant signé par Mme U... le 19 novembre 2004, la cour s'est bornée à se référer aux constatations antérieures selon lesquelles dès les années 2002, cette dernière avait été traitée pour une maladie d'C... et qu'au regard de ses difficultés de santé médicalement constatées et expliquées, elle n'avait pas pu signer en pleine connaissance de cause les actes des 23 novembre 2004 et 30 août 2006 ; qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser l'insanité d'esprit de Mme U... au moment précis de la signature de l'avenant de modification du 19 novembre 2004 de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie souscrit le 22 mars 1991, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 489, dans sa rédaction applicable au litige, et 901 du code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans avoir examiné tous les éléments de preuve produits ; que pour retenir l'insanité d'esprit de Mme U... à la date de la donation et de son testament et, par suite, prononcer la nullité de ces actes, la cour a retenu que la preuve de l'intervalle de lucidité de Mme U... n'est rapportée ni à la date de la régularisation de l'acte de donation le 23 novembre 2004, ni à celle de la rédaction de son testament le 30 août 2006 ; qu'en statuant ainsi, sans même analyser, fût-ce sommairement, le courrier du 6 août 2014 de Maître Y..., notaire à La Bourboule, qui avait reçu les actes de Mme U..., duquel il résultait que son état de santé n'avait posé aucune difficulté pour la régularisation desdits actes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.