CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 septembre 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10412 F
Pourvoi n° N 19-18.303
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2020
M. Y... O..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° N 19-18.303 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. C... M..., domicilié [...] ,
2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, palais Monclar, rue peyresc, 13616 Aix-en-Provence cedex 1,
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Richard, avocat de M. O..., de la SCP Gaschignard, avocat de M. M..., après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. O... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. O... et le condamne à payer à M. M... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. O...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir reconnu l'existence d'un lien de filiation entre Monsieur Y... O... et Monsieur C... M..., enfant de Madame F... M..., d'avoir ordonné la mention de cette paternité en marge de l'acte de naissance de Monsieur C... M... au service de l'état civil de Hyères et d'avoir condamné Monsieur O... à payer à Monsieur M... la somme de 8.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 310 du Code civil : « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux » ; qu'aux termes de l'article 310-1 du Code civil : « la filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre Il du présent titre, par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. Elle peut aussi l'être par jugement dans les conditions prévues au chapitre 111 du présent titre » ; qu'aux termes de l'article 310-3 du Code civil : « la filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état. Si une action est engagée en application du chapitre 111 du présent titre, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l'action » ; qu'aux termes de l'article 311 du Code civil : « la loi présume que l'enfant a été conçu pendant la période qui s'étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance. La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l'intérêt de l'enfant. La preuve contraire est recevable pour combattre ces présomptions » ; qu'aux termes de l'article 312 du Code civil : « l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari » ; qu'aux termes de l'article 313 du Code civil : « la présomption de paternité est écartée lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père. Elle est encore écartée, en cas de demande en divorce ou en séparation de corps, lorsque l'enfant est né plus de trois cents jours après la date soit de l'homologation de la convention réglant l'ensemble des conséquences du divorce ou des mesures provisoires prises en application de 1 'article 250-2, soit de l'ordonnance de non-conciliation, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande ou la réconciliation » ; qu'aux termes de l'article 321 du Code civil : « sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. A l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité » ; qu'aux termes de l'article 327 du Code civil : « la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. L'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant » ; que la preuve d'une filiation ne peut être rapportée que si l'action est recevable ; que la preuve de la filiation est libre, en demande comme en défense, pour la filiation maternelle comme paternelle, et peut donc s'établir par tous les moyens ; que l'enfant est présumé avoir été conçu pendant la période qui s'étend du 300ème au 180ème jour, inclusivement, avant la date de sa naissance ; que la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l'intérêt de l'enfant ; qu'il s'agit d'une présomption simple ; que sauf lorsqu'elle est demandée à l'occasion d'une action en contestation de la possession d'état, l'expertise (biologique ou génétique) est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; que celui qui la demande n'a pas à démontrer au préalable l'existence de présomptions ou d'indices de nature à établir ou infirmer la filiation litigieuse ; que l'enfant, le père biologique ou ses descendants ont le droit de refuser de se soumettre à une expertise (biologique ou génétique) ordonnée ; que les juges sont alors libres d'en tirer toutes les conséquences ; qu'ils peuvent y voir un aveu de paternité ou considérer que le refus de se soumettre à une expertise ne suffit pas à prouver la vraisemblance de la filiation ; que s'il est fait droit à la demande, la filiation paternelle est établie rétroactivement au jour de la naissance de l'enfant, voire au jour de la conception si c'est l'intérêt de l'enfant ; que les actes d'état civil de l'intéressé doivent être immédiatement mis à jour ; que l'enfant peut se prévaloir de tous les droits de la filiation, il devient notamment successible et peut hériter de son auteur à compter du jour de sa naissance ou de sa conception ; que le parent qui s'est soustrait à sa responsabilité parentale peut être condamné à des dommages et intérêts au titre de sa responsabilité civile tant à l'égard de l'enfant que de l'autre parent ; que l'acte de naissance de Monsieur C... M... mentionne que celui-ci est né le [...] à Hyères (83) et qu'il est le fils de Madame F... M... née le [...] à Ferryville (Tunisie) ; que si l'enfant a été reconnu par sa mère, il n'est pas fait mention d'une filiation paternelle de quelque nature que ce soit ; que l'action en recherche de filiation peut être exercée par l'enfant lui-même à compter de ses 18 ans et jusqu'à ses 28 ans ; qu'en l'espèce, Monsieur C... M... a fêté ses 28 ans le 30 janvier 2014 mais a engagé son action afin d'établissement de la filiation paternelle de Monsieur Y... O... le 3 décembre 2013 ; que l'action exercée par Monsieur C... M... ainsi que les demandes présentées par celui-ci sont donc recevables ; qu'à la lecture d'un courrier (pièce 2) adressé par Monsieur Y... O... Madame F... M... (cachet de la Poste du 25 décembre 1975), l'appelant faisait part à la mère de l'intimé d'une rencontre suivie d'une perte de vue puis de retrouvailles, avec le souhait de sa part de nouvelles rencontres ; que la pièce 3 n'est guère lisible ni exploitable ; que selon attestation non datée de Monsieur N... M... (frère de F... M...), sa soeur lui a confié dès 1983 entretenir une relation amoureuse avec Monsieur Y... O... ; qu'il a rencontré cet homme en 1984 lors d'une partie de tennis en présence de sa soeur ; que lorsque sa soeur était enceinte d'C..., elle lui a confié que Monsieur Y... O... était le père de l'enfant qu'elle attendait ; que selon attestation datée du 10 novembre 2013 de Madame J... V... (ex belle-soeur de F... M... et marraine d'C... M...), Madame F... M... lui avait confié qu'elle avait une relation amoureuse avec Monsieur Y... O... qui était alors marié et médecin ; qu'alors qu'elle était enceinte, Madame F... M... lui avait téléphoné pour l'informer qu'elle était hospitalisée et risquait de perdre l'enfant qu'elle attendait ; que le témoin avait alors décidé, avec son époux (N... M...), qu'il fallait en avertir téléphoniquement le principal concerné, Monsieur Y... O..., c'est Monsieur N... M... qui avait parlé au téléphone avec Y... O... ; que Monsieur C... M... était né quelques mois plus tard ; que selon attestation datée du 24 janvier 2018 de Madame F... M..., la mère de Monsieur C... M... indique avoir fait l'objet d'avances de la part de Monsieur Y... O... dès 1975 mais n'avoir entretenu une relation amoureuse avec celui-ci qu'à compter de 1981 ; que le témoin expose qu'C... a été probablement conçu lors de relations intimes avec Monsieur Y... O... pendant les ponts des 1er mai et 8 mai 1985 ; que les relations intimes ont cessé en juin 1985 quand sa grossesse a été confirmée ; que Monsieur Y... O... a pris de ses nouvelles à la maternité ; que Monsieur Y... O... a promis qu'il rencontrerait l'enfant mais n'a pas donné suite ; qu'elle a organisé une rencontre le 30 janvier 1991 entre Monsieur Y... O... et son fils C... au cours de laquelle le père a expliqué à l'enfant qu'il ne pouvait s'occuper de lui ; qu'avec C..., la paternité de Monsieur Y... O... n'a plus été évoquée jusqu'à ce que son fils atteigne l'âge de 27 ans ; que Monsieur Y... O... ne verse aux débats aucun élément d'appréciation particulier (une copie de page d'annuaire 1977 de l'école Freudienne de Paris le mentionnant comme psychiatre sis [...] ) et notamment aucune pièce établissant l'existence d'un problème de santé ou d'âge ou tout autre empêchement pouvant expliquer son absence aux différents rendez-vous fixés pour les prélèvements biologiques ou génétiques ; que les attestations susvisées démontrent l'existence d'une relation intime ou d'une liaison amoureuse entre Madame F... M... et Monsieur Y... O... pendant la période légale de conception de l'enfant C... M... ainsi que la connaissance par l'appelant de sa paternité ; que ces éléments conjugués au refus, sans motif légitime, de Monsieur Y... O... de participer à l'expertise établissant le lien de filiation entre Monsieur C... M..., né le [...] à Hyères (83), et Monsieur Y... O..., né le [...] à Tunis (Tunisie) ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;
1°) ALORS QUE l'attestation de Monsieur N... M... mentionnait uniquement que F... M... lui avait relaté avoir entretenu une relation amoureuse avec Monsieur Y... O... en 1983, puis qu'il avait rencontré ce dernier en 1984, et enfin, que Madame F... M... lui avait affirmé que Monsieur O... était le père de l'enfant ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résultait de cette attestation l'existence d'une relation intime entre Madame F... M... et Monsieur Y... O... pendant la période légale de conception de l'enfant, bien que cette attestation n'ait nullement fait état de l'existence d'une telle relation pendant cette période, qui se situait entre le 4 avril et le 4 août 1985, la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette attestation, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QUE l'attestation de Madame J... V... du 10 novembre 2013 mentionnait uniquement que Madame F... M... lui avait relaté l'existence d'une relation intime avec Monsieur Y... O..., ainsi que la survenance d'un incident lors de l'accouchement de Madame F... M... ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résultait de cette attestation l'existence d'une relation intime entre Madame F... M... et Monsieur Y... O... pendant la période légale de conception de l'enfant, bien que cette attestation n'ait nullement relaté l'existence d'une relation intime durant cette période, qui se situait entre le 4 avril et le 4 août 1985, la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette attestation, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°) ALORS QU'en se bornant à affirmer que, dans une attestation du 24 janvier 2018, Madame F... M... indiquait avoir conçu Monsieur C... M... lors de relations intimes avec Monsieur Y... O... pendant les ponts des 1er mai et 8 mai 1985, sans indiquer en quoi la circonstance que Madame F... M... ait été la mère de Monsieur C... M..., demandeur à l'action en recherche de paternité, et donc intéressée à l'issue du litige, n'était pas de nature à exclure toute valeur probante de cette attestation, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 310-3 et 327 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur Y... O... à payer à Monsieur C... M... la somme de 8.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la Cour estime également que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties en condamnant Monsieur Y... O... à payer à Monsieur C... M... une somme de 8.000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, considérant la longue durée – supérieure à trente ans – pendant laquelle le demandeur s'est vu privé de toute filiation paternelle reconnue, Monsieur C... M... a souffert en conséquence un préjudice moral indéniable qui sera justement réparé par l'allocation de 8.000 euros sur le fondement de l'article 1240 du Code civil ;
ALORS QUE le refus de procéder à une reconnaissance de paternité d'un enfant, contraignant ce dernier à engager une action en recherche de paternité n'est pas, en l'absence d'autres circonstances, constitutif d'une faute ; qu'en décidant néanmoins qu'au regard de la longue durée, supérieure à tente ans, pendant laquelle Monsieur C... M... s'était vu privé d'une filiation paternelle reconnue, celui-ci pouvait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral à hauteur de 8.000 euros, la Cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'une faute de Monsieur Y... O..., constituant la cause d'un préjudice moral subi par Monsieur C... M... depuis sa naissance jusqu'à la date de la déclaration de paternité, a privé sa décision de base légale a regard de l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du Code civil.