CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 septembre 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10408 F
Pourvoi n° Q 19-14.027
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2020
Mme Y... D... L... , veuve S..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° Q 19-14.027 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme T... S..., épouse I..., domiciliée [...] ,
2°/ à Mme R... S..., épouse G..., domiciliée [...] ,
3°/ à M. W... U..., domicilié [...] ,
4°/ à Mme P... V..., épouse L... , domiciliée [...] ,
5°/ à Mme E... S..., domiciliée [...] ,
6°/ à M. N... S..., domicilié [...] ,
7°/ à M. B... S..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de Mme L... , de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mmes T... et R... S..., de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. U... et de Mme V..., après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme L... et la condamne à payer à Mmes T... et R... S... une somme globale de 1 500 euros et à M. U... et Mme V... une somme globale de même montant ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour Mme L...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme L... de ses demandes, d'avoir dit que K... S... avait entendu limiter les droits du conjoint survivant à sa réserve héréditaire, d'avoir dit que K... S... avait légué l'intégralité de la quotité disponible, soit les trois-quarts en pleine propriété de sa succession, à ses quatre neveu et nièces (Mme V... épouse L... , M. U..., Mme R... S... épouse G..., Mme T... S... épouse I...) et à son frère C... S..., d'avoir dit que les droits de Mme L... veuve S... étaient égaux à ses droits réservataires, à savoir un quart de la succession en pleine propriété, sauf à préférer accepter que sa réserve lui soit servie au moyen de l'usufruit de l'appartement du [...] ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les droits du conjoint survivant, sans pouvoir être inférieurs à ceux que la réserve lui confère, n'en sont pas moins soumis à la volonté du défunt ; qu'il en résulte une nécessaire interprétation du testament ; qu'il résulte de l'article 914-1 du code civil qui dispose que « les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant et d'ascendant le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé », que la réserve légale dont dispose l'appelante est d'un quart ; que le défunt a légué l'usufruit de son appartement à sa veuve sans jamais dissocier le legs de sa réserve, ce qui signifie que tout en la désignant légataire, il cantonne ses droits à sa réserve héréditaire, celle-ci pouvant être équivalente à l'usufruit de l'appartement ; qu'il n'a jamais voulu empiéter sur la quotité disponible en faveur de son conjoint, précisant au contraire dans son troisième paragraphe qu'il en disposait au profit de quatre de ses neveu et nièces et de son frère C... ; que les dispositions du jugement entrepris selon lesquelles il est dit que « K... S... a entendu limiter les droits du conjoint survivant à sa réserve héréditaire » et « K... S... a légué l'intégralité de la quotité disponible, soit les trois-quarts en pleine propriété de sa succession à ses quatre neveu et nièces : Mme V... épouse L... , M. W... U..., Mme R... S... épouse G..., Mme T... S... épouse I... et à son frère C... S... », seront confirmées ; qu'il est acquis, en interprétation du deuxième paragraphe du testament litigieux que contrairement à la règle posée par le deuxième alinéa de l'article 843 du code civil, ce legs n'est pas fait « hors part successorale » ; qu'il est également acquis que le défunt, dans les formes requises, a entendu privé son épouse d'un droit viager au logement ; qu'il ne dépend que d'elle d'accepter le legs en usufruit de l'appartement ; que dans le cas contraire, elle a droit à la réserve, à savoir un quart de la succession en pleine propriété, ainsi qu'il a été dit par le tribunal de grande instance ; que la disposition du jugement entrepris selon laquelle il est « dit que les droits de Mme L... veuve S... sont égaux à ses droits réservataires, à savoir un quart de la succession en pleine propriété, sauf à accepter que sa réserve lui soit servie au moyen de l'usufruit de l'appartement du [...] » sera modifiée dans les termes suivants : « dit que les droits de Mme L... veuve S... sont égaux à ses droits réservataires, à savoir un quart de la succession en pleine propriété, sauf à préférer accepter que sa réserve lui soit servie au moyen de l'usufruit de l'appartement du [...] » ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a « dit que les droits de Mme L... veuve S... sont égaux à ses droits réservataires, à savoir un quart de la succession en pleine propriété, sauf à accepter que sa réserve lui soit servie au moyen de l'usufruit de l'appartement du [...] » ; qu'au regard de la solution adoptée et du choix qui lui reste, l'appelante est bien fondée en sa demande de nullité de la clause du testament au terme de laquelle elle « n'aura pas de droits autres dans (sa) succession, que sa réserve (que le défunt) lui a composé(e) » qui contredit l'article 913 du code civil dont il résulte qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi et qu'un legs ne peut avoir pour effet de priver l'héritier réservataire du droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve ; que cette clause du testament doit être annulée ainsi qu'il sera dit dans le dispositif ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE l'article 914-1 du code civil dispose que « les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant et d'ascendant, le défaut laisse un conjoint survivant, non divorcé » ; que Mme L... veuve S... soutient que l'option proposée par les défendeurs, à supposer qu'elle ait été voulue par le testateur, est contraire à l'ordre public, puisque selon une consultation du Cridon, un usufruit, fût-il universel, ne permet pas de remplir valablement le conjoint de ses droits à réserve d'un quart en pleine propriété et qu'il est en droit, en sa qualité d'héritier réservataire, de réclamer une réserve en pleine propriété sur le fondement de l'article 912 du code civil ; que Mme L... veuve S... peut toutefois prétendre au quart de la succession en toute propriété, droit que ne contestent pas les défendeurs et ce conformément à l'article 914-1 du code civil, si elle n'entend pas bénéficier de la totalité de l'usufruit sur l'appartement situé [...] ; que Mme L... veuve S... soutient également que la position défendue par les légataires universels tendant à limiter ses droits à sa réserve et uniquement à ceux-ci est contraire aux termes du testament, puisque le testateur a prévu de manière expresse que le legs de l'usufruit de l'appartement et le legs du complément pour obtenir sa réserve étaient l'un et l'autre prioritaires sur le legs du solde à ses neveu et nièces ; qu'aux termes de son testament, K... S... a légué à son épouse Mme L... , l'usufruit de son appartement du [...] et ses dépendances ; qu'il a précisé que son épouse recevrait ce legs en sa qualité d'héritier réservataire en imputation sur ses droits dans sa succession et que le solde de ses droits d'héritière réservataire le cas échéant, lui serait versé, si nécessaire, par prélèvement sur le legs revenant à ses quatre neveu et nièces ci-après désignés, à l'exclusion du legs revenant à son frère C... ; que dans son testament, K... S... prend le soin de préciser que ses neveu et nièces, ainsi que son frère C... sont héritiers de la quotité disponible de sa succession, soit des trois quarts de son patrimoine successoral et son épouse d'un quart au titre de sa réserve composée ainsi qu'il est dit ci-dessus, c'est à dire de l'usufruit de l'appartement situé [...] ; que Mme L... veuve S... ne peut donc pas bénéficier d'un quart de sa réserve en pleine propriété, augmentée de l'usufruit sur l'appartement situé [...] ; que c'est donc à juste titre que Mme V..., M. U..., Mme T... S... et Mme R... S... soutiennent que les droits de Mme L... veuve S... ne peuvent être supérieurs à ses droits réservataires, soit un quart de la succession en pleine propriété ; que Mme L... veuve S... ne peut donc demander au tribunal de « donner acte de l'accord des parties sur ses droits à un quart en pleine propriété » et de dire et juger que « le legs d'usufruit portant sur l'appartement situé [...] ne peut être ni cantonné, ni borné à l'usufruit de la réserve », ce qui reviendrait à juger qu'elle peut prétendre au quart de la succession en pleine propriété augmenté de l'intégralité de l'usufruit sur ce bien, ce qui est contraire aux termes du testament ; qu'elle ne peut pas non plus limiter les droits de Mme L... , M. U..., Mme T... S... et Mme R... S... à des droits en indivision sur la nue-propriété de la succession de K... S... ; qu'il convient donc de débouter Mme L... veuve S... de l'ensemble de ses demandes ;
1°) ALORS QUE les juges sont tenus d'appliquer les termes clairs et précis d'un testament ; qu'en l'espèce, en relevant que les droits du conjoint survivant étaient soumis à la volonté du défunt et en jugeant qu'il « en résulte une nécessaire interprétation du testament » (arrêt, p. 7 § 3), tandis que la volonté du testateur ne permet pas d'interprétation dès lors que les termes du testament sont clairs et précis, la cour d'appel, qui a affirmé la nécessité d'une interprétation avant même d'analyser les termes du testament, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, par dispositions testamentaires du 7 mars 2003, K... S... a déclaré léguer à son épouse « l'usufruit de [son] appartement du [...] et ses dépendances » et a prévu qu'elle « recevra ce legs en sa qualité d'héritier réservataire en imputation sur ses droits dans [sa] succession et en disposera sa vie durant », que ses « quatre neveu et nièces ci-dessus recueilleront pour un quart chacun le solde de [sa] succession après que [son] épouse D... ait reçu [son] legs d'usufruit sur [son] appartement et ses annexes » et que « le solde de ses droits d'héritière réservataire le cas échéant dans [sa] succession lui sera versé si nécessaire, par prélèvement sur le legs revenant à [ses] quatre neveu et nièces ci-après désigné, à l'exclusion du legs revenant à [son] frère C... » ; qu'il résultait ainsi des termes clairs et précis du testament que le legs d'usufruit de l'appartement devait s'imputer, à titre principal, sur l'usufruit de la réserve et, à titre subsidiaire, sur l'usufruit de la quotité disponible, en priorité sur le legs de cette quotité disponible et que le solde des droits réservataires de Mme de Crépy veuve S... devait s'ajouter audit legs d'usufruit, par prélèvement sur le legs revenant aux neveux ; qu'en jugeant cependant que le défunt avait cantonné les droits de son épouse à sa réserve héréditaire et qu'il n'avait jamais voulu empiéter sur la quotité disponible en faveur de son conjoint, la cour d'appel a dénaturé les termes du testament, en violation du principe suivant le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
3°) ALORS QUE, subsidiairement, en l'absence de descendant, la réserve héréditaire du conjoint survivant, qui est d'ordre public, est d'un quart des biens de la succession en pleine propriété ; qu'elle ne peut être servie en usufruit seulement ; que lorsqu'un époux a effectué un legs en usufruit à son conjoint survivant, ce dernier ne peut être contraint à limiter ce legs à l'usufruit de la réserve ; qu'il a en effet droit à sa réserve du quart en pleine propriété ; qu'ainsi, la clause du testament privant le conjoint survivant d'une partie de son legs en usufruit s'il entend conserver sa réserve en propriété est nulle ; que dès lors, à supposer que le testament litigieux ait le sens que lui a donné la cour d'appel, en jugeant que « le défunt a légué l'usufruit de son appartement à sa veuve sans jamais dissocier le legs de sa réserve, ce qui signifie que tout en la désignant légataire, il cantonne ses droits à la réserve héréditaire, celle-ci pouvant être équivalente à l'usufruit de l'appartement » (arrêt, p. 7, in fine, p. 8 § 1), tandis qu'une telle disposition est nulle, la cour d'appel a violé les articles 757-2, 912 et 914-1 du code civil.