SOC.
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 septembre 2020
Rejet non spécialement motivé
M. CATHALA, président
Décision n° 10631 F
Pourvoi n° U 19-11.271
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 SEPTEMBRE 2020
La société [...], société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° U 19-11.271 contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. H... W..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Richard, conseiller, les observations écrites de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société [...], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. W..., après débats en l'audience publique du 18 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Richard, conseiller rapporteur, Mme Depelley, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [...] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer à M. W... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société [...].
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement de Monsieur W... était sans cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné la société [...] à lui payer les sommes de 3 795,06 euros bruts et 379,50 euros bruts au titre du salaire pendant la période de mise à pied et congés payés y afférents, 19 917,81 euros bruts et 1 991,78 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis et congés payés y afférents, 32 088,91 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, l'ensemble de ces sommes produisant intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2016, et 80 000 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code procédure civile ;
Aux motifs que, s'agissant du grief concernant les faits imputés à Monsieur W... lors de la réunion du 12 septembre 2016, la société [...] produit diverses attestations de personnes ayant assisté à cette réunion ; que s'il en résulte que Monsieur W... a manifesté son opinion sur l'organisation mise en place dans l'entreprise pour gérer le recouvrement des impayés et sur la nécessité de créer un poste de directeur commercial, en exprimant, d'une part, que le travail de recouvrement de créances ne relevait pas de son travail et qu'il ne l'effectuerait pas et, d'autre part, qu'il n'a pas besoin d'un poste de directeur commercial, il convient de constater que de tels propos ont été tenus lors d'une réunion de travail dans l'exercice de la liberté d'expression dont jouit tout salarié et qu'il n'est démontré l'existence d'aucun abus et notamment pas par l'emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que la seule expression de ces propos ne peut dès lors caractériser une faute ; qu'elle ne suffit pas non plus à établir que Monsieur W... ait refusé d'exécuter les directives de l'employeur relatives au recouvrement des créances ou encore de se soumettre au contrôle d'un autre membre de l'entreprise ; que, tandis que la société [...] produit l'attestation d'un comptable, qui indique, en des termes non circonstanciés, que Monsieur W... « ne s'est pas investi au niveau des relances clients ainsi qu'à la résolution des litiges », Monsieur W... produit des attestations d'anciens clients (Monsieur L..., Monsieur A..., Monsieur Y...) précisant avoir reçu de sa part des rappels en cas de non-paiement des factures au-delà de leur échéance, l'un d'entre eux précisant avoir payé à la suite de l'un de ces rappels en septembre 2016 ; que le fait que M. Y... soit débiteur de la société [...] comme cette dernière l'indique n'est pas incompatible avec le fait que Monsieur W... lui ait adressé des rappels ; que l'attestation produite par la société [...] n'est donc pas suffisamment probante pour établir que Monsieur W... a refusé d'exécuter les directives relatives au recouvrement des créances ; que, de même, les documents produits par l'entreprise relatif [sic] aux créances impayées par les clients en contact avec Monsieur W... ne peuvent permettre d'établir que l'absence de paiement de ces sociétés résulte de l'inaction de Monsieur W... en matière de recouvrement de créances ; qu'il en est de même des attestations d'irrecouvrabilité de créances, émises par des huissiers de justice ou mandataires judiciaires, ce d'autant qu'elles précisent que le débiteur est insolvable parce qu'introuvable ou parce que ses comptes sont constamment débiteurs, ou encore que l'actif disponible du débiteur est insuffisant pour régler la créance de la société [...] ; que, s'agissant du grief pris de la prise à partie du client M. I..., représentant la société CNS, lors de la réunion du 22 septembre 2016, et du dénigrement de la société [...], il convient de constater que la société [...] ne produit aucun élément probant ; que l'attestation de Monsieur I..., produite par Monsieur W..., ne permet pas d'établir que ce dernier l'ait, le 22 septembre 2016, pris à partie ou ait dénigré la société [...] ; que si Monsieur I... indique – comme le reconnaît Monsieur W... dans son acte introductif d'instance – que lors de cette réunion du 22 septembre 2016, Monsieur W... lui a demandé, devant Monsieur V..., si Monsieur W... lui avait donné des commissions occultes et que Monsieur I... a répondu par la négative, ce dernier précise ensuite que cette réunion s'est passée dans la courtoisie et qu'il n'a jamais vu Monsieur W... dénigrer la société [...], celui-ci mettant au contraire tout en oeuvre pour vendre les produits de la société [...] et le conseiller au mieux ; que les propos de Monsieur W... relatifs à une éventuelle pratique de commissions occultes n'ont ainsi pas été analysés par Monsieur I... comme un acte de dénigrement de la société [...] ; qu'en tout état de cause, l'attestation rédigée par Monsieur I... ne permet pas de caractériser l'existence d'une ou plusieurs fautes imputées à Monsieur W... par la société [...] dans la lettre de licenciement ; que, s'agissant du grief pris de la demande de fourniture de marchandises à titre gratuit de la part de la société [...] et, face au refus de cette dernière, de la suppression des panneaux de ce fournisseur dans la salle d'exposition de la société [...], cette dernière se fonde sur un courriel du 27 octobre 2016 émanant du responsable des ventes de la région Est de la société [...] ; qu'outre le fait que cet élément ne répond pas aux prescriptions posées par l'article 202 du code de procédure civile relatives aux attestations, il convient de constater qu'il ne permet pas de déterminer si l'auteur de ce courriel a personnellement constaté les faits relatés, et qu'il relate des faits non circonstanciés, notamment quant à leur date ou encore à l'existence ou l'absence de cause de la demande de livraison de marchandises à titre gratuit et de la disparition des panneaux dans la salle d'exposition de la société [...] ; que cet élément n'est donc pas suffisamment probant pour caractériser l'existence d'une faute imputable à Monsieur W... ; qu'en outre, comme l'indique la lettre de licenciement à titre liminaire, seuls sont reprochés à Monsieur W... des faits commis entre le 12 septembre 2016 et la date de la mise à pied, laquelle résulte d'une lettre du 26 septembre 2016 ; que le courriel de la société [...], qui ne précise pas la date des faits évoqués, date du 27 octobre 2016 à 17 h 06, étant observé que l'entretien préalable s'est déroulé le même jour ; qu'au surplus, il convient de constater que les termes de ce courriel sont contredits par des attestations produites par Monsieur W..., lequel indique n'avoir demandé qu'à une seule reprise la fourniture de marchandises à titre gratuit pour le compte d'un client ; qu'ainsi, Monsieur X..., ayant travaillé au sein de la société [...] du 2 mars 2015 au 18 janvier 2016, témoigne de ce que Monsieur W... l'a interrogé, sans l'exiger, sur la possibilité de fourniture à titre gratuit ou à un prix exceptionnel pour une quantité de 12 m² environ et qu'à la suite du refus de sa société, Monsieur W... a continué à le solliciter comme auparavant pour répondre à différents appels d'offre ; que Monsieur U..., se disant client de la société [...] depuis de nombreuses années, indique avoir demandé à Monsieur W... une quinzaine de mètres carrés de carrelage à des conditions spéciales ou de manière gratuite ; que la société [...] ne justifie pas en quoi une telle demande ponctuelle et limitée adressée à un fournisseur habituel constituerait une faute et porterait atteinte à sa crédibilité ou l'exposerait à une procédure judiciaire ; qu'en outre, elle ne justifie pas que Monsieur W... ait adopté l'attitude qu'elle lui impute dans la lettre de licenciement, après que la société [...] n'ait pas donné suite à sa demande ; que, s'agissant du grief relatif à l'absence de respect des procédures en vigueur, la société [...] produit deux attestations d'une assistante comptabilité/facturation indiquant que les commerciaux vérifient les prix et les renseignent en informatique, mais que sa collaboration avec Monsieur W... était difficile : « très rarement les prix étaient justes et rectifiés informatiquement. De ce fait, c'est moi qui le faisait ». « Toutes mes demandes par mail restaient sans réponse. » ; qu'à les supposés [sic] établis, les erreurs ou oublis constatés par cette assistante relèvent d'une insuffisance professionnelle, laquelle ne peut être qualifiée de faute grave ; que ce [sic] plus, ces attestations sont insuffisamment circonstanciées pour permettre d'imputer à Monsieur W... le refus, visé par la lettre de licenciement, d'exécuter des directives relatives à l'utilisation des outils informatiques, pour la procédure de contrôle tarifaire client, obligatoire pour le service commercial ou relatives au contrôle de la facturation ; que de tels faits ne peuvent dès lors constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, ni une faute grave ; que, s'agissant du grief tiré du manquement à l'obligation de loyauté, il convient de constater que la lettre, qui fixe les limites du litige, effectue un tel reproche en raison de faits de dénigrement à l'égard de la société [...] et non de faits de concurrence déloyale qu'aurait commis le salarié au détriment de l'entreprise en devenant mandataire dirigeant d'une société concurrente, lesquels ne peuvent donc être permettre à la société [...] de justifier le licenciement dans le cadre de la présente procédure ; que les pièces produites par la société [...] au soutien d'une telle thèse sont donc inopérantes et c'est par erreur que le
conseil de prud'hommes s'est fondé sur de tels faits, au demeurant postérieurs au licenciement, pour caractériser un manquement du salarié à l'obligation de loyauté envers son employeur et le qualifier de faute grave ;
que les pièces produites par la société [...] ne permettent pas d'établir qu'elle a fait l'objet d'un dénigrement de la part de Monsieur W..., lequel ne peut pas non plus résulter du fait qu'il ait travaillé ou ait détenu un mandat social dans une société concurrente ; que son implication dans cette autre société [...] ne permet pas non plus de démontrer qu'il aurait détourné à son profit les avantages commerciaux de son employeur ; que, s'agissant des autres griefs, la société [...] ne produit aucun élément permettant d'établir la preuve de la réalité des faits imputés à Monsieur W... dans la lettre de licenciement, ni la désorganisation de l'entreprise qui s'en serait suivie ; qu'il en résulte que le licenciement de Monsieur W... n'est fondé sur aucune faute grave, ni aucune cause réelle et sérieuse ;
Alors, de première part, que la cour d'appel qui a constaté que, lors de la réunion des salariés de la société [...] du 12 septembre 2016, Monsieur W... avait affirmé qu'il n'effectuerait pas le travail de recouvrement de créances qui lui était demandé, ce dont il résultait la manifestation d'une insubordination excédant les limites de la liberté d'expression d'un salarié, ne pouvait considérer que la preuve n'était pas établie que Monsieur W... avait refusé d'exécuter ces travaux sans entacher sa décision d'une contradiction de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors, de deuxième part, qu'ayant ainsi constaté que, lors de cette réunion des salariés de la société [...], Monsieur W... avait affirmé son refus d'effectuer les tâches de recouvrement de créances, manifestant ainsi une insubordination constitutive d'un abus dans la liberté d'expression du salarié, la cour d'appel ne pouvait considérer que ces propos s'insscrivaient dans l'exercice de la liberté d'expression du salarié et refuser d'y voir une faute grave sans méconnaître la portée de ses propres énonciations en violation de l'article L. 1234-1 du code du travail ;
Alors, de troisième part, que la cour d'appel qui a constaté que Monsieur W... avait effectivement, comme le lui reprochait son employeur, interpellé, lors d'une réunion, l'un des clients présents pour lui demander s'il avait reçu des commissions occultes, suggérant ainsi a minima l'existence de telles pratiques illicites au sein de la société [...], ne pouvait refuser d'en déduire l'existence d'une faute grave de Monsieur W... sans méconnaître la portée de ses propres énonciations et violer l'article L. 1234-1 du code du travail ;
Alors, de quatrième part et en toute hypothèse, qu'en statuant de la sorte sans s'expliquer, ainsi que l'y invitait expressément la société [...], sur la force probante de l'attestation tardive émanant du dirigeant d'une société avec laquelle elle se trouvait en conflit commercial en raison de factures impayées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;
Alors, de cinquième part, que la cour d'appel ne pouvait estimer que le licenciement n'était pas motivé par les faits révélés par le courriel de la société [...] quand la lettre de licenciement s'y référait expressément, sans méconnaître par là même les termes clairs et précis de cette lettre de licenciement et violer tant le principe suivant lequel les juges du fond ne peuvent dénaturer les pièces de la procédure que l'article 1292 du code civil ;
Alors, de sixième part, qu'il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si une attestation non conforme à l'article 202 du code de procédure civile présente les garanties suffisantes pour être prise en considération ; qu'en se déterminant par le fait que le courriel émanant du responsable des ventes de la société [...] ne répondait pas aux prescriptions posées par l'article 202 du code de procédure civile, la cour d'appel a fait une fausse application de ce texte ;
Alors, de septième part, qu'en statuant de la sorte, elle a simultanément privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;
Alors, de huitième part, qu'alors que l'auteur du courriel litigieux utilisait une forme grammaticale impliquant qu'il avait une connaissance personnelle des faits non circonstanciés, la cour d'appel ne pouvait affirmer que ce que ce courriel ne permettait pas de déterminer si son auteur avait personnellement constaté les faits relatés, sans une nouvelle fois dénaturer les termes clairs et précis de ce courriel et violer tant le principe suivant lequel les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des pièces qui leur sont soumises que l'article 1292 du code civil ;
Alors, de neuvième part, que s'agissant du non-respect des procédures en vigueur au sein de la société [...], la cour d'appel ne pouvait se borner à relever que les faits dont l'assistante du service comptabilité avait témoigné relevaient de simples erreurs ou oublis, sans rechercher si, par leur caractère systématique, répété, et confirmé par le refus de Monsieur W... de répondre aux interrogations du service comptable, ils ne caractérisaient pas une mauvaise volonté délibérée et la violation continue et répétée par Monsieur W... de ses obligations professionnelles, constitutives d'une faute grave ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;