CIV. 1
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 mars 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10165 F
Pourvoi n° M 19-12.299
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MARS 2020
La société Det International Ejendoms-Og Udviklingsselskab AP S, société de droit danois, dont le siège est [...] (Danemark), a formé le pourvoi n° M 19-12.299 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2018 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations écrites de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Det International Ejendoms-Og Udviklingsselskab AP S, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société BNP Paribas, après débats en l'audience publique du 11 février 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Det International Ejendoms-Og Udviklingsselskab AP S aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Det International Ejendoms-Og Udviklingsselskab AP S et la condamne à payer à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Det International Ejendoms-Og Udviklingsselskab AP S.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception de nullité soulevée à l'encontre du commandement de payer aux fins de saisie immobilière délivré le 5 janvier 2015 à la société Det International et d'avoir dit n'y avoir lieu de constater sa caducité ;
AUX MOTIFS QUE la société Det International prétend que les délais de distance de l'article 643 du code de procédure civile - en présence d'un acte à signifier à l'étranger -étant applicables en matière de saisie immobilière, la combinaison de ce délai accru avec ceux des articles R 311-11 et R 121-5 du code des procédures civiles d'exécution, aboutit à imposer au saisissant un délai pour assigner à l'audience d'orientation, compris entre trois et cinq mois avant l'audience, au lieu d'un délai de un à trois mois ; que dans le cas présent, alors que l'assignation a été délivrée le 12 avril 2016, l'audience d'orientation ayant été fixée au 7 juillet 2016, soit moins de trois mois après la signification de l'assignation, le commandement serait caduc ; que ce moyen, soulevé de façon peu explicite en première instance, dans une critique globale tenant au non-respect des délais de la procédure de saisie immobilière, est mal fondé dans le mesure où une application distributive et non cumulative des textes applicables s'impose, le respect des délais de l'article R322-4 du code des procédures civiles d'exécution devant s'inscrire dans le cadre général de l'institution des délais de distance pour la notification à l'étranger de tous les actes de procédure quels qu'ils soient ; qu'ainsi les deux délais coexistent mais ne s'additionnent pas ; que la BNP Paribas a donc pu valablement délivrer son assignation au moins deux mois avant la date prévue pour l'audience, et c'est le cas de l'assignation datée du 12 avril 2016 pour une audience du 5 juillet suivant, en même temps que le même acte introductif était bien signifié entre le 5 avril et le 5 juin 2016, soit dans le délai de un à trois mois précédant la date fixée pour l'audience ; que la demande de caducité du commandement est, par confirmation du jugement entrepris, repoussée, sans qu'il soit nécessaire de développer l'absence de grief applicable à la seule nullité de forme applicable aux délais de distance ;
ALORS QUE lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution sont augmentés de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger ; que l'article R.322-4 du code des procédures civiles d'exécution, qui prévoit les délais de comparution du débiteur saisi à l'audience d'orientation dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, ne déroge pas aux dispositions de l'article 643 du code de procédure civile, si bien que les délais prévus par le premier texte doivent être augmentés en application du second ; que pour rejeter la demande de caducité du commandement formée par la société Det International, en raison du non-respect des délais de comparution à l'audience d'orientation, lesquels devaient être augmentés, la cour d'appel a considéré que les délais coexistaient sans s'additionner ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 643 du code de procédure civile, par refus d'application, et l'article R.322-4 du code des procédures civiles d'exécution.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Det International de ses demandes tendant à l'annulation du titre fondant les poursuites et de ses contestations sur la créance ;
AUX MOTIFS PROPRES QU' outre qu'il n'est pas contesté que le choix conventionnel du droit de Singapour pour régir le prêt litigieux consenti est conforme aux règles de conflit applicables, Singapour étant à la fois le siège de la succursale d'une des parties et le lieu d'exécution de la convention, le jugement entrepris a justement relevé que la société Det International ne revendique clairement l'application d'aucun autre droit à la convention poursuivie ; que le contrat est donc régi par la loi choisie par les parties, étant relevé que la société Det International ne soulève aucune cause de nullité issue du droit singapourien ; (
) que sur l'absence de créance certaine, liquide et exigible, la société Det International conteste le montant de la dette, soutenant que les fonds empruntés auraient été employés sous la seule maîtrise de la société BNP Paribas au préjudice tant de la société que de Mme W... T..., laquelle aurait été victime de démarchage financier illicite ; que c'est pertinemment que rappelant le contexte du litige et l'ampleur de l'opération financière prise dans sa globalité, le premier juge a rejeté l'argument tenant au démarchage financier dont aurait été 'victime' Mme W... T..., professionnelle aguerrie des transactions immobilières et des investissements internationaux, propriétaire de plusieurs sociétés en Europe et à l'étranger, au surplus conseillée en permanence par son frère dirigeant de sociétés de même importance -et notamment de la société Det- ainsi que de cabinets d'avocats spécialisés ; (
) que la société Det International ne saurait soulever l'indication par la banque d'un taux effectif global erroné, dès lors que le prêt est soumis au droit de Singapour, dont il n'est pas démontré qu'il exige la mention de ce taux ; que c'est par une motivation que la cour adopte entièrement que le jugement dont appel a pu affirmer que la mention du taux effectif global n'avait pas à être portée sur la convention sous seing privé du 27 mai 2010, l'éventuelle obligation de faire figurer ce taux dans l'acte de réitération notarié ne pouvant être soulevée dès lors que, la société Det International étant une emprunteuse avertie, le délai de prescription courait à compter de la conclusion du contrat et était expiré à la date des conclusions formulant la demande de nullité ; qu'au surplus cette demande ne pouvait faire l'objet d'être reprise par voie d'exception en présence d'une exécution de l'acte litigieux, tant par la mise à disposition et l'emploi des fonds prêtés, que par l'affectation en garantie par le biais d'une hypothèque conventionnelle constituée en 2010 par la société Det, de son bien immobilier ; que le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté tant l'action en nullité de la stipulation d'intérêts que l'exception soulevée subsidiairement aux mêmes fins ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur la nullité des poursuites en l'absence de titre exécutoire, l'article L.311-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées par le présent livre et par les dispositions qui ne lui sont pas contraires du livre Ier ; que l'article L.111-6 du code des procédures civiles d'exécution dispose que la créance est liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation ; que la BNP Paribas se prévaut de la grosse exécutoire d'un acte de reconnaissance de dette, réitération d'obligations et affectation hypothécaire reçu par M. G..., notaire à Paris, le 9 juin 2010 et selon lequel la BNP Paribas et la société Det International ont exposé qu'un contrat d'ouverture de crédit d'un montant de 19 millions d'euros a été consenti par la banque à l'emprunteur aux termes d'un acte du 27 mai 2010, ayant pour objet :
- à concurrence de 8.253.000 € de refinancer partie d'un prêt consenti par la banque [...],
- à concurrence de 279.880 € de financer les frais liés à l'ouverture de crédit,
- à concurrence de 10.467.120 € d'effectuer des investissements auprès de la BNP Paribas Wealth Management Singapore branch ou autres ;
qu'aux termes de l'acte notarié, l'emprunteur « se reconnaît débiteur envers la banque d'une somme de 19 millions d'euros dans les conditions définies dans la convention d'ouverture de crédit des 27 mai et 4 juin 2010 soumise au droit de Singapour et les parties réitèrent en tant que de besoin les obligations souscrites aux termes de ladite convention dans toutes ses dispositions » ; que l'acte rappelle ensuite les conditions du prêt, montant, affectation, termes au 9 juin 2015, taux d'intérêts, et garanties réelles que l'acte contient en outre affectation hypothécaire du bien sis à Marnes-la-coquette pour 19.000.000 €, intérêt, frais et accessoires en sus ; qu'est également versée aux débats la « facility letter » en date du 27 mai 2010 contenant offre par la BNP Paribas Wealth Management Singapore branch à la société Det International de prêt à terme pour 19M€, outre ses conditions générales et particulières ; que sur la loi applicable au contrat poursuivi, il résulte tant de la convention d'ouverture de crédit du 27 mai 2010 que de l'acte notarié que le prêt a été soumis par les parties au droit de Singapour, à l'exclusion de toute convention internationale ; qu'ainsi que le souligne la requérante, le prêteur étant représenté par sa succursale de Singapour et la mise à disposition des fonds ayant eu lieu sur un compte bancaire à Singapour, cette clause était, en toutes hypothèses, conforme aux règles de conflit applicables ; qu'en outre, la société Det International qui se prévaut de « l'absence de preuve du droit de Singapour » pour contester l'existence d'une créance liquide et exigible, ne revendique clairement l'application d'aucun autre droit à la convention poursuivie, ni ne conteste les conditions de son option pour le droit de Singapour ; qu'à cet égard, la société Det International ne peut être sérieusement présenter l'option singapourienne comme une option de défiscalisation imposée unilatéralement par la banque en sa faveur, eu égard aux enjeux financiers d'une opération concernant en réalité plusieurs sociétés appartenant à deux investisseurs chevronnés, ou, à tout le moins, bénéficiant de conseils financiers de haut niveau, ces sociétés étant établies et propriétaires dans plusieurs pays, dont l'état de Monaco ; qu'aux termes du choix effectué par les parties pour régir leurs relations, le droit de Singapour est seul applicable à la convention poursuivie ; (
) que sur la mention du taux effectif global, la débitrice se prévaut de l'article L.313- 4 du code monétaire et financier, et de la mention figurant en page 11 de l'acte notarié et précisant que ledit TEG s'avère impossible à déterminer de manière irrévocable - eu égard à la variabilité du taux d'intérêts - et mentionnant à titre d'exemple le TEG calculé à partie du taux EURIBOR à la date du 4/06/2010, pour en déduire que la banque aurait indiqué un TEG erroné ; que pour sa part, la BNP Paribas conteste l'applicabilité de la législation sur le taux effectif global en présence d'un prêt régi par la loi du Singapour, et considère ce moyen comme prescrit ; qu'il est constant que le prêt étant régi par le droit de Singapour, la mention du taux effectif global n'avait pas à être portée sur la convention sous seing privée conclue le 27 mai 2010 ; que s'agissant de l'acte notarié du 9/06/2010, il apparaît aussi régit par la loi étrangère ; qu'ainsi, à supposer la mention du TEG obligatoire comme résultant d'une loi de police, et la clause figurant en page 11 de l'acte comme insuffisante, ce qui n'est pas démontré, il demeure qu'il appartient à la société Det International de démontrer que son moyen n'est pas prescrit ; que la société Det International soutient exactement que l'exception de nullité peut subsister quand bien même l'action en nullité de la clause d'intérêts conventionnels stipulée dans un contrat de prêt en raison d'une erreur affectant le taux effectif global, et courant à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, serait prescrite ; que toutefois la jurisprudence décide que l'exécution de l'engagement support de l'exception de nullité fait obstacle à la recevabilité de l'exception soulevée au-delà du délai de prescription ; qu'or, en l'espèce, l'irrégularité alléguée résulterait d'une erreur de la banque, au demeurant non démontrée, dans le calcul du taux effectif global dans l'acte notarié ; que dès lors, l'erreur alléguée, s'agissant d'une emprunteuse avertie, pouvait être décelée à la lecture de l'acte lequel a été exécuté tant par la mise à disposition et l'utilisation des fonds empruntés, que par l'affectation en garantie du bien appartenant à la société Det International ; que la société ayant soulevé son moyen de nullité par conclusions à l'audience d'orientation du 13/10/2016, soit au-delà du délai de prescription de cinq ans courant à compter de l'acte, elle sera donc déclarée irrecevable en sa demande d'annulation de la stipulation d'intérêts conventionnels ; que de fait la S.A. BNP Paribas dispose bien, au sens de l'article L. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution, d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible en principal et intérêts contractuels ;
1. ALORS QU' il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la société Det International faisait valoir qu'à supposer que la loi de Singapour soit applicable, il appartenait à la cour d'appel de vérifier si le titre invoqué par la BNP Paribas constatait une créance liquide et exigible au regard de cette loi ; que pour juger le titre exécutoire et la créance réguliers, la cour d'appel a considéré que la société Det International ne soulevait aucune cause de nullité issue du droit singapourien ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il lui appartenait de rechercher la teneur du droit singapourien pour vérifier la conformité du contrat à la loi qu'elle estimait applicable, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ;
2. ALORS QUE seul un créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière ; que la société Det International faisait valoir que les obligations contractées auprès de la BNP Paribas étaient nulles comme résultant d'un démarchage illicite ; que la cour d'appel a considéré que la loi de Singapour était applicable au prêt litigieux ; que pour juger la créance régulière, la cour d'appel a considéré que la société Det International ne pouvait se prévaloir du démarchage dont avait été victime Mme W... T..., dès lors que cette dernière était aguerrie aux transactions immobilières et investissements internationaux, propriétaire de plusieurs sociétés et conseillée par son frère et des cabinets d'avocats spécialisés ; qu'en statuant ainsi, sans dire en application de quelles règles du droit singapourien, qu'il lui appartenait de vérifier, le démarchage pouvait être considéré comme licite en raison du caractère averti de l'emprunteur, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, L.111-3 et R.322-15 du code des procédures civiles d'exécution ;
3. ALORS QU' à l'audience d'orientation, le juge de l'exécution vérifie que les conditions de l'article L. 311-2 sont réunies ; que le jugement d'orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'il appartient ainsi au juge de l'exécution de vérifier, au regard de la loi étrangère qu'il estime applicable, si le taux stipulé par le prêt est conforme à la loi applicable au contrat ; que pour débouter la société Det International de sa contestation du taux d'intérêt relatif au prêt litigieux, stipulé sur une année de 360 jours, la cour d'appel a considéré que le prêt étant soumis au droit de Singapour, il n'était pas démontré que la loi de cet Etat exigeait la mention d'un taux effectif global ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il lui appartenait de vérifier si le droit de Singapour comportait des dispositions relatives au taux du prêt litigieux, emportant sa nullité dans les conditions invoquées par la société Det International, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, L.111-3 et R.322-15 du code des procédures civiles d'exécution.