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26/02/2020 | FRANCE | N°18-17425

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 26 février 2020, 18-17425


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2020

Cassation partielle

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 227 F-D

Pourvoi n° N 18-17.425

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020

La société [...], société ano

nyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° N 18-17.425 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2018 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre socia...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2020

Cassation partielle

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 227 F-D

Pourvoi n° N 18-17.425

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020

La société [...], société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° N 18-17.425 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2018 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre sociale, prud'hommes), dans le litige l'opposant à Mme K... O..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prache, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société [...], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme O..., après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prache, conseiller référendaire rapporteur, M. Maron, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 28 mars 2018), Mme O..., engagée par la société [...] à compter de janvier 1991 et occupant en dernier lieu le poste de directeur commercial, catégorie cadre, a été licenciée pour faute grave le 4 août 2014. Elle a contesté ce licenciement devant la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen, pris en sa première branche

2. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui verser diverses sommes, avec intérêts au taux légal, à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité pour illégitimité du licenciement, et d'ordonner la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paye conformes à la décision, alors « que le juge doit examiner tous les griefs figurant dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, outre des faits de harcèlement commis à l'encontre de Mme A..., assistante commerciale et de Mme P..., secrétaire commerciale, la lettre de licenciement reprochait à Mme O... « des actes de harcèlement » à l'égard d' « une ancienne salariée » « ayant conduit le médecin du travail à la déclarer inapte définitivement à tout poste de l'entreprise en un seul avis, pour danger immédiat » , cette dernière salariée ayant déclaré, lors de l'enquête menée, avoir subi les mêmes agissements, soit notamment une pression constante, une angoisse chaque matin à l'arrivée dans l'entreprise des hurlements et ricanements de [sa] part, des sommations de « dégager de son bureau », des propos dévalorisant [tels que] l'handicapée du cerveau », « avoir souffert le martyre, d'insomnies, de cauchemars, de troubles intestinaux et avoir fait une tentative de suicide ayant laissé des séquelles, et avoir suivi une thérapie de deux ans avec un psychiatre et un psychologue » ; qu'était également reproché à la salariée son comportement à l'égard de M. T... auquel elle avait « indiqué qu'il avait retourné sa veste et (
) tenu des propos inacceptables », notamment ses « allusion[s] à des repas du midi entre l'assistante commerciale et M. T..., précisant qu' « on ne mélange pas les torchons et les serviettes », « les coucheries ne me regardent pas et restent à l'extérieur du travail... » , ces faits ayant « affecté le moral de M. T... et sa motivation » ; qu'en jugeant le licenciement de Mme O... sans cause réelle et sérieuse, après s'être limitée à examiner les griefs concernant Mmes A... et P..., sans s'expliquer sur les agissements reprochés à la salariée à l'égard d'une ancienne salariée qu'elle avait poussée au suicide et à l'égard de M. T... dont elle avait sapé le moral et la motivation, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

3. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que
l'employeur reproche à la salariée en premier lieu des faits de harcèlement sur deux subordonnées, Mme A... et Mme P..., que l'employeur a mis en oeuvre les procédures de vérification des faits de harcèlement évoqués devant lui au mois de mars 2014 seulement, après la visite du contrôleur du travail du 27 mai 2014, que dès lors les vérifications nécessaires à l'établissement des faits fautifs de harcèlement et d'autant plus les poursuites disciplinaires ont été engagées au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, de sorte que le premier grief est prescrit.

4. En statuant ainsi, sans examiner les griefs figurant dans la lettre de licenciement tirés des agissements de l'intéressée à l'égard d'une ancienne salariée, Mme G..., entendue dans le cadre de l'enquête menée, qu'elle aurait poussée au suicide, et à l'égard d'un autre salarié, M. T..., dont elle aurait gravement affecté le moral et la motivation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de Mme O... au titre de la nullité de son licenciement, l'arrêt rendu le 28 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne Mme O... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société [...].

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Mme O... dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société [...] à lui les sommes de 4 284, 48 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, 428, 44 euros à titre de congés payés afférents au rappel de salaire, 65 167, 04 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 19 280, 19 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 928, 01 euros à titre de congés payés afférents, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et de 90 000 euros pour 1'illégitimité du licenciement, cette somme avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, d'AVOIR ordonné la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paye conformes à la présente décision, d'AVOIR condamné la société [...] à verser à Mme O... la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel outre aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

AUX MOTIFS QUE « Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 24 janvier 2018 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel ; Vu les dernières conclusions enregistrées au greffe le l7 janvier 2018, soutenues oralement à 1'audience, par lesquelles la salariée appelante, soutenant notamment que l'employeur n'a pas respecté le délai restreint pour engager la procédure de licenciement à compter de la connaissance des faits qu'il invoque, contestant les griefs mentionnés au soutien de son licenciement, estimant qu'ils sont imprécis, non datés et fallacieux et que leur matérialité n'est pas établie, faisant valoir que le licenciement répond en réalité au désir de l'employeur de la voir partir à la retraite pour la remplacer par un autre salarié puis par le fils de l'actuel directeur, demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, de dire à titre principal son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse pour prescription et à tout le moins en violation du délai restreint, sollicitant par conséquent la condamnation de la société [...] à lui payer diverses sommes à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de rappel de salaire durant la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents, de dire à titre subsidiaire son licenciement nul car consécutif à une dénonciation de faits de harcèlement moral, de condamner par conséquent l'employeur à lui verser diverses sommes à titre de dommages intérêts pour licenciement nul, dommages et intérêts pour préjudice moral, à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, à titre de rappel de salaire durant la mise à pied à titre conservatoire et congés payés afférents, de dire à titre infiniment subsidiaire le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour non justification des griefs invoqués par l'employeur et de condamner l'intimée au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de congés afférents, requérant en tout état de cause qu'il soit ordonné à la société [...] de lui remettre sous astreinte l'ensemble des documents de fin de contrat et bulletins de paye conformes à ladite décision, d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, demandant enfin la condamnation de l'employeur à lui verser une indemnité de procédure ;
Vu les dernières conclusions en date du 18 janvier 2018, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles la société [...], intimée, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, aux motifs notamment que les griefs reprochés à la salariée, constitutifs de harcèlement moral, sont tous établis, que le président a réagi rapidement en mandatant un professionnel afin de mener une enquête adéquate dès qu'il a été informé du stress au travail de deux salariées du comptoir et qu'il était nécessaire de vérifier les faits constitutifs de harcèlement, de les caractériser et d'en apprécier la gravité, demande à la cour à titre principal de dire que le licenciement de Mme O... est justifié par une faute grave compte tenu de faits de harcèlement à l'encontre de deux subordonnées et de l'utilisation du véhicule de la société à des fins personnelles, sollicite en conséquence la confirmation du jugement entrepris, requiert que la salariée soit déboutée de l'intégralité de ses demandes, demande, à titre subsidiaire de constater que les griefs allégués dans la lettre de licenciement sont constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, de limiter sa condamnation au paiement de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, de condamner la salariée au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
(
) Sur la rupture du contrat de travail
Il se déduit de la lecture des conclusions et des plaidoiries à l'audience du 28 janvier 2018 que Mme O... sollicite à titre principal que le licenciement soit considéré comme sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de 2 moyens, à savoir en premier lieu la violation par l'employeur du délai de prescription et du délai restreint et en second lieu l'absence de justification par l'employeur des griefs invoqués dans la lettre de licenciement.
Pour satisfaire à l'exigence de motivation posée par l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits précis et contrôlables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.
La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise. Les faits invoqués comme constitutifs de faute grave doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.
L'employeur reproche à Mme O... en premier lieu des faits de harcèlement sur deux salariées placées au comptoir de la société, sous ses ordres directs.
Aux termes de l'article L. 1 152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il appartient à l'emp1oyeur, dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat, de prendre des mesures disciplinaires contre un salarié auteur de harcèlement moral.
Aux termes de l'article L. 1 332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à. moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Sous cette réserve, le licenciement disciplinaire prononcé à raison de faits connus de plus de deux mois par l'employeur est sans cause réelle et sérieuse.
Il résulte des éléments du dossier que les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont prescrits. C'est en effet avec pertinence que la salariée soutient que l'employeur a initié la procédure de licenciement au-delà du délai de 2 mois et que la prescription s'applique en l'espèce.
Il n'est pas contesté que Mme Q... A..., déléguée du personnel, a indiqué en mars 2014 au président de la société, M. Y..., qu'elle et sa collègue Mme L... P... souffraient de difficultés relationnelles avec Mme O....
L'employeur mentionne même dans ses conclusions que « Mme Q... A... indique ainsi à M. Y..., président de la SA, avoir un certain stress au travail, tout comme L..., lorsqu'elles doivent aller se justifier quant à la qualité de leur travail auprès de Mme O... ».
En outre, Mme A... écrit dans sa lettre manuscrite datée du 9 juillet 2014 et adressée à M. V... Y..., directeur général de la société, que « depuis votre intervention, en mars 2014, lui demandant de cesser ce comportement, rien n'a évolué ; enfin, si ! On ne doit plus aller dans son bureau, mais les annotations sur notre travail sont toujours là et toujours agressifs et rabaissants ! ».
Dès lors l'employeur ne peut manifestement pas prétendre n'avoir eu connaissance de faits laissant présumer un harcèlement d'une salariée sur deux de ses subordonnées qu'à compter de la visite du contrôleur du travail dans ses locaux le 27 mai 2014, puisqu'il relate lui-même en avoir été informé en mars 2014 par une des deux salariées victimes.
Par conséquent, entre mars et la fin du mois de mai 2014, excepté l'intervention orale du président directeur général recadrant Mme O..., il n'est pas justifié de la mise en oeuvre d'une enquête ou de mesures permettant de préciser et de faire cesser les faits de harcèlement, pourtant clairement dénoncés par Mme A... à M. Y....
C'est d'ailleurs sur interpellation « d'une partie du personnel administratif » de la société [...] que le contrôleur du travail s'est déplacé le 27 mai 2014 dans les locaux de la société et non sur saisine de l'employeur, de sorte qu'il n'est pas établi d'actions pour faire cesser les faits de harcèlement dénoncés en mars jusqu'à ladite visite du contrôleur général.
La cour relève que la société [...], qui expose qu'elle n'avait pas en mars une connaissance précise des faits relatés par la suite, n'a pas mis en oeuvre de procédure susceptible de constater leur réalité et leur gravité, dès lors que les faits dénoncés par Mme A... et la situation de stress au travail explicitement alléguée apparaissent clairement comme relative à des faits laissant présumer un harcèlement au travail, contre lesquels l'employeur en application de son obligation de sécurité, se doit de protéger les salariés.
L'employeur considère qu'il a agi rapidement dès l'information par Mme A... de la situation difficile avec la salariée appelante en mandatant un professionnel afin de réaliser un diagnostic sur la qualité de vie au travail.
Il précise que dans le cadre de cet audit, les entretiens avec le personnel ont débuté dès le mois de mars 2014 pour un rendu du compte rendu le 16 mai 2014.
Toutefois il n'est pas justifié que l'engagement du mandataire « L'institut de la réussite » dans le but d'établir le diagnostic « qualité de vie au travail » ait été généré par la volonté d'établir la matérialité et la gravité des faits de harcèlement sur les personnes de Mmes P... et A... et de les faire cesser.
En effet, le compte-rendu du diagnostic mentionne que « l'enjeu de l'évaluation des sources ou des facteurs de risque » a été d'identifier les éléments qui sont sources de stress pour les salariés dans les situations de travail », concluant qu'il « s'agit de procéder dans les mois et années à venir à un changement de management grâce à une réorganisation interne qui favorisera une communication tant réclamée ».
La demande de l'employeur et l'étendue du diagnostic semblent donc s'intéresser au management général de la société dans un objectif à moyen ou long terme et non de faire cesser les faits de harcèlement de Mme O... sur les 2 salariées, le diagnostic n'évoquant pas lesdits faits.
Par conséquent il résulte des éléments du dossier que l'employeur a mis en oeuvre les procédures de vérification des faits de harcèlement évoqués par Mme A... devant lui au mois de mars 2014 seulement après la visite du contrôleur du travail du 27 mai 2014.
Dès lors, les vérifications nécessaires à l'établissement des faits fautifs de harcèlement et d'autant plus les poursuites disciplinaires ont été engagées au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance. Le premier grief est donc prescrit.
Le second grief au soutien du licenciement de Mme O... est relatif à l'utilisation de son véhicule de fonction à des fins personnelles et notamment durant son arrêt de travail, au cours duquel elle a eu un accident le 18 mai 2014.
L'employeur fait valoir qu'une disposition contractuelle expresse interdisait à la salariée une telle utilisation du véhicule en dehors des heures de travail.
Il expose que la salariée a signé le 12 novembre 2008 la fiche de mise à disposition du véhicule, libellée notamment comme suit : « l'employeur met un véhicule de type commercial à la disposition de la Directrice commerciale.
Cette dernière s'engage à ne s'en servir que pour les besoins exclusifs de sa profession, et donc de n'en faire aucun usage à des fins personnelles notamment en dehors des jours de travail figurant au contrat, ainsi qu'ci en prendre soin et à veiller à son bon état de marche. »
Toutefois, il ressort des pièces produites et notamment des attestations de Mmes B..., I..., C..., D... , toutes amies de la salariée, que Mme O... utilisait habituellement et depuis de nombreuses armées le véhicule de l'entreprise pour tous ses déplacements, y compris les Week ends et vacances, ce que l'employeur ne pouvait ignorer.
Dès lors l'employeur a manifestement toléré l'utilisation du véhicule par Mme O... à des fins personnelles depuis sa mise à disposition en 2008. Il apparaît par conséquent mal fondé à venir lui faire grief de cette utilisation en violation de l'accord de mise à disposition et à l'invoquer en tant que comportement fautif au soutien de la faute grave.
Par conséquent, par infirmation du jugement entrepris, le licenciement sera déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La salariée peut par conséquent prétendre au paiement du rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire injustifiée augmentée des congés payés afférents, d'une indemnité compensatrice de préavis, augmentée des congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité conventionnelle de licenciement, à hauteur des sommes demandées par Mme O... et non contestées dans leur quantum, qui seront précisées au dispositif ci-après.
Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme O... peut également prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail.
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, étant relevé que l'appelante a indiqué travailler sous statut d'auto-entrepreneur en tant que masseuse et percevoir des ressources d'environ 2 300 euros par mois, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.
Au vu de la lettre du 27 novembre 2014 de l'antenne Pôle emploi Picardie concernée informant Mme O... qu'ayant dépassé l'âge légal minimum de départ à la retraite et totalisé les 165 trimestres lui permettant d'obtenir sa retraite à taux plein, elle ne remplit pas les conditions pour être indemnisée par l'assurance chômage, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.
La cour ayant fait droit à la demande principale de l'appelante, il n'y a pas lieu d'envisager le licenciement nul pour dénonciation de faits de harcèlement par Mme O..., sollicité à titre subsidiaire.
Sur la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paie
Au vu de la solution donnée au présent litige, il y a lieu d'ordonner la remise des documents de fin de contrat et des bulletins de paye conformes à la présente décision sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte à ce stade de la procédure.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme O..., appelante, les frais non compris dans les dépens qu'elle a pu exposer.
Il convient en l'espèce de condamner1'emp1oyeur intimé succombant dans la présente instance à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel et d'infirmer la condamnation de Mme O... à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.
Il y a également lieu de condamner la société [...] aux dépens de première instance et d'appel et d'infirmer la condamnation de la salariée aux dépens de première instance » ;

1°) ALORS QUE le juge doit examiner tous les griefs figurant dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, outre des faits de harcèlement commis à l'encontre de Mme A..., assistante commerciale et de Mme P..., secrétaire commerciale, la lettre de licenciement reprochait à Mme O... « des actes de harcèlement » à l'égard d' « une ancienne salariée » « ayant conduit le médecin du travail à la déclarer inapte définitivement à tout poste de l'entreprise en un seul avis, pour danger immédiat », cette dernière salariée ayant déclaré, lors de l'enquête menée, « avoir subi les mêmes agissements, soit notamment une pression constante, une angoisse chaque matin à l'arrivée dans l'entreprise des hurlements et ricanements de [sa] part, des sommations de « dégager de son bureau », des propos dévalorisant [tels que] l'handicapée du cerveau », « avoir souffert le martyr, d'insomnies, de cauchemars, de troubles intestinaux et avoir fait une tentative de suicide ayant laissé des séquelles, et avoir suivi une thérapie de deux ans avec un psychiatre et un psychologue » (cf. production n° 4) ; qu'était également reproché à la salariée son comportement à l'égard de M. T... auquel elle avait « indiqué qu'il avait retourné sa veste et (
) tenu des propos inacceptables », notamment ses « allusion[s] à des repas du midi entre l'assistante commerciale et M. T..., précisant qu' « on ne mélange pas les torchons et les serviettes », « les coucheries ne me regardent pas et restent à l'extérieur du travail... », ces faits ayant « affecté le moral de M. T... et sa motivation » (ibid.) ; qu'en jugeant le licenciement de Mme O... sans cause réelle et sérieuse, après s'être limitée à examiner les griefs concernant Mmes A... et P..., sans s'expliquer sur les agissements reprochés à la salariée à l'égard d'une ancienne salariée qu'elle avait poussée au suicide et à l'égard de M. T... dont elle avait sapé le moral et la motivation, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige ;

2°) ALORS QUE la prescription prévue par l'article L. 1332-4 du code du travail ne court que du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait, en premier lieu à Mme O..., exemples précis à l'appui, des faits de harcèlement s'étant manifestés à l'égard de Mme A..., assistante commerciale et de Mme P..., secrétaire commerciale, par des « poignées de mains douloureuses, brusques, violentes et d'une amplitude importante », « des remarques [constantes] sur la qualité du travail de ces deux salariées, et ce au niveau technique, alors que d'autre part, [elle] leur refus[ait] les formations qu'elles sollict[aient] et ne leur donn[ait] pas les explications pour remédier aux lacunes », « des ordres et contre ordres » ; « des annotations désagréables, agressives et pour certaines non justifiées, infantilisant et humiliant ces salariées », « des observations orales humiliantes », des reproches injustifiés, une remise en cause systématique de leurs demandes de congés, d'absence pour rendez-vous médicaux ou du pointage de leurs heures, une limitation des fonctions de la secrétaire commerciale « au poste de standardiste » tout en « rest[ant] à de nombreuses reprises derrière elle », la « rabaissa[ant] » et la « décrédibilis[ant] » publiquement, avant de « reparti[r] en haussant les épaules » ou en « émettant des soufflements », lui raccrochant « à de nombreuses reprises » au nez « dans le but de la déstabiliser », mais aussi des paroles « déplacées et fort blessantes » à leur égard, ces faits ayant conduit la secrétaire commerciale à se faire prescrire un traitement homéopathique par son médecin « pour se calmer et se détendre » et l'assistante commerciale à devenir déléguée syndicale « pour protéger la secrétaire médicale et elle-même par rapport à [ses] agissements » ; que pour juger ces faits prescrits et dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement intervenu, la cour d'appel a relevé que Mme A... avait indiqué en mars 2014 au président de la société qu'elle et sa collègue, Mme P..., « souffraient de difficultés relationnelles avec Mme O... » et qu'elles ressentaient « un certain stress au travail (
) lorsqu'elles doivent aller se justifier quant à la qualité de leur travail auprès de Mme O... » ensuite de quoi l'employeur était intervenue oralement, en mars 2014, pour demander à l'intéressée de cesser son comportement ; qu'en statuant ainsi, sans faire ressortir que, dès le mois de mars 2014, l'employeur avait une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des agissements de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

3°) ALORS QUE lorsque le comportement reproché au salarié s'est poursuivi dans le délai de deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement, l'employeur est fondé à prendre en considération à l'appui du licenciement les faits antérieurs ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement indiquait que les salariées victimes des agissements de Mme O... avaient « confirm[é] à l'issue de l'enquête que rien n'a changé dans [son] comportement, notamment quant aux annotations agressives et rabaissantes » et quant à ses « observations orales », ce que Mme A... avait réitéré dans sa lettre manuscrite du 9 juillet 2014 (« depuis votre intervention, en mars 2014, lui demandant de cesser ce comportement, rien n'a évolué, enfin, si ! on ne doit plus aller dans son bureau, mais les annotations sur notre travail sont toujours là et toujours agressifs et rabaissants ») (cf. production n° 5) ; que les intéressées avaient par ailleurs dressé une liste d'exemples des faits commis à leur encontre par Mme O..., dont certains étaient postérieurs au mois de mars 2014, exemples illustrés par des documents annotés par Mme O... (cf. production n° 7 et 8); qu'en jugeant les faits reprochés à la salariée prescrits, compte tenu des informations portées à la connaissance de l'employeur en mars 2014, sans rechercher ainsi que la lettre de licenciement l'y invitait, s'ils ne s'étaient pas poursuivis après cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

4°) ALORS QUE le motif hypothétique entendu comme celui qui repose sur la supposition de faits dont la réalité n'est pas établie équivaut au défaut de motif ; qu'en l'espèce, pour écarter toute faute de la salariée dans l'utilisation de son véhicule de fonction à des fins personnelles, et notamment lors d'un arrêt de travail au cours duquel elle avait eu un accident le 18 mai 2014, nonobstant la prohibition de cette pratique par la fiche de mise à disposition du véhicule signée par la salariée, la cour d'appel a relevé que la salariée utilisait habituellement et depuis de nombreuses années le véhicule de l'entreprise pour tous ses déplacements, y compris les week-ends et vacances « ce que l'employeur ne pouvait ignorer », ce dont il résultait qu'il avait « manifestement » toléré l'utilisation du véhicule par la salariée à des fins personnelles ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a raisonné par voie de supposition gratuite quant à la connaissance par l'employeur de l'utilisation par la salariée de son véhicule de fonction à des fins personnelles, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE le juge ne peut se déterminer sur la base des seules allégations d'une partie ; qu'en l'espèce, pour allouer à la salariée une somme de 90 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel s'est fondée sur l'affirmation de la salariée selon laquelle, depuis son licenciement, elle travaillait sous le statut d'auto entrepreneur en tant que masseuse et qu'elle percevait des ressources d'environ 2 300 euros par mois ; qu'en se déterminant ainsi, au regard d'une simple affirmation de la salariée, non assortie du moindre élément de preuve, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-17425
Date de la décision : 26/02/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 28 mars 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 26 fév. 2020, pourvoi n°18-17425


Composition du Tribunal
Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.17425
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