CIV. 3
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 décembre 2019
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 1124 F-D
Pourvoi n° H 18-14.430
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme Q... épouse K....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 octobre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par Mme S... N..., domiciliée [...] ,
contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2017 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme U... Q..., épouse K..., domiciliée [...] ,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 26 novembre 2019, où étaient présents : M. Chauvin, président, M. Barbieri, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Barbieri, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de Mme N..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme Q... épouse K..., et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 11 décembre 2017), que Mme N... a pris à bail une parcelle appartenant à Mme K... ; que celle-ci a, après mises en demeure de payer, saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail, en expulsion et en paiement des fermages arréragés et d'une indemnité d'occupation ;
Attendu que, pour accueillir la demande, l'arrêt retient que la dette locative non prescrite à la date de la seconde mise en demeure s'élève à une somme représentant les fermages échus de 2009 à 2014 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans leurs conclusions d'appel, Mme N... et Mme K... avaient chacune indiqué que les loyers au titre de l'année 2010 avaient été payés, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme N... à payer la somme de 18 288 euros, l'arrêt rendu le 11 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;
Condamne Mme K... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour Mme N...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la résiliation du bail à ferme conclu entre Mme U... Q..., épouse K..., et Mme S... N... portant sur la parcelle cadastrée [...] [...] sise commune de F..., d'avoir ordonné à Mme N... de quitter les lieux et à défaut, ordonné son expulsion après la signification du jugement, condamné Mme N... à payer une indemnité d'occupation jusqu'à la libération des lieux, d'avoir condamné Mme S... N... à payer à Mme U... Q..., épouse K..., la somme de 18.288 euros au titre des fermages échus non prescrits pour la période 2009-2014 ;
Aux motifs que « sur la demande contestée de résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages
Selon l'article L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime, nonobstant toute clause contraire, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s'il justifie d'au moins un des motifs énumérés aux rangs desquels figurent deux défauts de paiement du fermage au bailleur ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance. Les deux mises en demeure portant sur des échéances distinctes doivent être faites à peine de nullité par lettres recommandées avec avis de réception adressées au preneur.
Mme U... K... justifie de la propriété de la parcelle cadastrée [...] [...] , objet du bail, dont elle a hérité de sa mère.
Mme S... N... qui revendique la qualité de preneur en place, ne conteste pas le montant annuel du fermage reconduit sans modification à la somme de 3 048 euros.
Mme S... N... se borne à prétendre n'avoir pas reçu les lettres recommandées de mise en demeure lui ayant été adressées les 12 novembre 2013 et 8 avril 2014, pour en déduire que celles-ci ne peuvent servir de support à une demande de résiliation du bail. Dès lors que, le texte légal impose au bailleur la formalité d'adresser les mises en demeure au preneur par lettres recommandées, sans que le bailleur ait à démontrer comme le soutient Mme N..., que la lettre de mise en demeure soit remise au preneur lui-même, il suffit à la cour de constater comme l'a fait le premier juge, que les lettres recommandées portent mention d'une adresse conforme à celle figurant sur différents actes de la procédure. Il convient en conséquence de dire que les mises en demeure ont été valablement adressées à Mme S... N....
Les planches photographiques annexées au commandement de quitter les lieux signifié le 20 janvier 2016 et du procès-verbal d'expulsion du 15 février 2016 illustrent la poursuite des cultures et ka volonté de Mme N... de se maintenir en place.
Mme N... à qui incombe la charge de la preuve du paiement du fermage s'est en application de l'article 1315 du code civil, abstenue de faire usage de la possibilité qui lui était offerte de régulariser sa situation à l'égard du bailleur jusqu'à la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux. Le premier juge ayant justement relevé que les copies de mandat-cash les plus récents destinés à justifier du paiement, étaient antérieurs à 2007, alors qu'il était réclamé le paiement des fermages pour les années 2005 à 2014.
Mme K... ne fait état d'aucun acte interruptif de prescription quinquennal des fermages échus de l'article 2240 du code civil, antérieur à la mise en demeure du 12 novembre 2013. Dès lors que l'action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers, ne peut s'appuyer que sur des mises en demeure de payer visant des loyers non prescrits, il y a lieu de constater que la dette locative non prescrite à la délivrance de la seconde mise en demeure, s'élevait à 18 288 euros (fermages échus de 2009 à 2014 : 6 x 3 048€). Le jugement critiqué sera réformé sur ce point.
En revanche, la cour confirme les dispositions du jugement critiqué, ayant prononcé la résiliation du bail liant les parties pour défaut de paiement des fermages, ayant fixé le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 3 048 euros par an et ayant ordonné l'expulsion de Mme S... N... des lieux pris à bail à défaut de départ volontaire » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que « sur la demande de résiliation du bail
En application de l'article L. 461-2 du code rural et de la pêche maritime, le bail à ferme d'un fonds rural est, à défaut d'écrit, censé fait aux clauses et conditions du contrat type établi par une commission consultative des baux ruraux. Son existence se prouve par tout moyen, en établissant une mise à disposition de terres à titre onéreux. Par application de l'article 1716 du code civil, le prix du bail est normalement prouvé par la quittance délivrée au locataire, sinon par le serment du bailleur.
Par ailleurs, en application de l'article 1742 du code civil, le contrat de louage n'est point résolu par la mort du bailleur, ni par celle du preneur. L'article L. 461-6 du code rural et de la pêche maritime précise les règles de dévolution du bail rural en faveur notamment des descendants participant à l'exploitation, la transmission étant automatique, sans qu'il soit besoin d'adresser de notification au propriétaire.
En l'espèce, il est établi par l'acte de notoriété après décès du 1er décembre 2009 reçu par Maître Y... M..., Notaire à PARIS, l'acte d'ouverture du testament de I... V... C... X... du 29 septembre 2009 par Maître T... P..., Notaire à POINTE A PITRE, et l'acte de partage du 22 mars 2004 reçu par Maître D... A... P..., Notaire à POINTE A PITRE, et non contesté, que Madame U... Q... épouse K... a hérité de la parcelle cadastrée [...] sise à F....
Il résulte du procès-verbal de constatations dressé par Maître A... J..., Huissier de Justice à BASSE-TERRE, en date du 10 janvier 2012, à la demande de Madame U... Q... épouse K... et sur les dires de cette dernière à l'huissier de justice, que I... V... C... X... a consenti à E... N... l'exploitation de la parcelle cadastrée [...] sise à F..., suivant contrat verbal pour un loyer annuel de 20 000 francs et qu'au départ à la retraite de Monsieur E... N..., sa fille Madame S... N... a repris l'exploitation du terrain, l'exploite toujours et y effectue des labours.
Madame S... N... produit de son côté une quittance de loyer que lui a délivrée le 03 janvier 2011 le Cabinet COURRIALIS « pour Madame Q... » à hauteur de la somme de 3 048 euros pour la parcelle [...] au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010. Elle justifie également être déclarée en qualité d'exploitante agricole en son nom propre depuis 2008.
Madame U... Q... épouse K... produit de son côté les mises en demeure par lesquelles elle réclame à Madame S... N... le paiement des fermages des années 2005 à 2013 à raison de l'exploitation de la parcelle [...] .
Il s'évince de tout ce qui précède que la parcelle [...] a bien été mise à disposition à titre onéreux de Madame S... N... et que le bail verbal conclu entre I... V... C... X... et E... N... s'est automatiquement poursuivi entre Madame U... Q... épouse K... et Madame S... N....
Aux termes de l'article L. 461-5 du code rural, applicable aux baux à ferme en Guadeloupe, le bailleur peut faire résilier le bail s'il apporte la preuve de deux défauts de paiement ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, faire mention de cette disposition. L'article R. 461-14 du code rural et de la pêche maritime précise qu'il est procédé aux mises de demeure par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
En l'espèce, Madame U... Q... épouse K... justifie avoir adressé à Madame S... N... deux mises en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception :
-la première lettre datée du 12 novembre 2013 adressée à « Madame N... S... O... G... F... » demandant le paiement des arriérés de fermage des années 2005 à 2013 pour un total de 27 432 euros et reproduisant les termes de l'article L. 411-31 du code rural relatif à la résiliation du bail pour défaut de paiement de fermage, lettre présentée le 14 novembre 2013 et retournée par la Poste le 03 janvier 2014 avec la mention « pli avisé non réclamé »,
-la deuxième lettre datée du 08 avril 2014 adressée à « Madame N... S... O... G... F... » demandant le paiement des arriérés de fermage des années 2005 à 2014 pour un total de 30 480 euros et reproduisant les termes de l'article L. 411-31 du code rural relatif à la résiliation du bail pour défaut de paiement de fermage, lettre retournée par la Poste le 14 avril 2014 avec la mention « destinataire inconnu à l'adresse ».
Madame S... N... ne peut valablement reprocher à Madame U... Q... épouse K... de lui avoir adressé les lettres de mises en demeure à l'adresse « O... G... F... » qui présente les caractères de son domicile dans la mesure où la parcelle se situe à O... Robert et où la citation de la présente procédure délivrée à sa personne le 04 décembre 2014 fait mention de cette même adresse, sans davantage de précisions.
En application des dispositions de l'article 1315 du code civil, la preuve du paiement du fermage incombe au fermier.
Or, hormis pour l'année 2010 par la production de la quittance délivrée par le Cabinet Courrialis, ci-dessus citée, Madame S... N... preuve de paiement des ferrages réclamés, les seuls récépissés de mandats cash postaux et la copie d'un chèque, même de banque, qu'elle produit, ne valant pas attestation de paiement.
Aucun paiement n'étant intervenu dans le délai de trois mois des lettres de mises en demeure, ni depuis l'assignation, valant également mise en demeure, et restée elle aussi sans effet, à la suite de deux défauts de paiement de fermage au moins, Madame U... Q... épouse K... est donc recevable et bien-fondée en sa demande de résiliation du bail qu'il y a lieu de prononcer à la date du présent jugement.
Madame N... S... étant donc occupante sans droit, ni titre, il convient, à défaut de départ volontaire, d'ordonner son expulsion et celle des occupants des lieux, dans les conditions prévues au dispositif, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte, le recours à la force publique étant suffisant » ;
Alors que, d'une part, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s'il justifie de deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur ayant persisté à l'expiration d'un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l'échéance ; que cette mise en demeure doit, à peine de nullité, rappeler les termes de la présente disposition ; qu'en estimant, cependant, en l'espèce, que les lettres recommandées ont été valablement adressées à Mme S... N..., dans la mesure où elles portent mention d'une adresse conforme à celle figurant sur différents actes de la procédure, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la mention « destinataire inconnu à l'adresse » portée sur la seconde mise en demeure ne faisait pas obstacle à sa régularité, peu important que l'adresse soit conforme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 411-31 du code rural ;
Alors que, d'autre part, Madame N... a énoncé dans ses écritures d'appel qu'elle a payé chez Courrialis 2010 (p. 2, in fine) ; que Madame K... a indiqué qu'aucun paiement n'a été effectué, hormis le paiement de l'année 2010 ayant donné lieu à une quittance de loyers délivrée par le cabinet COURRIALIS à hauteur de 3048 euros (conclusions d'appel de madame K..., p. 8, § 5) ; qu'en condamnant, cependant, en l'espèce, Madame N... à payer une dette locative de 18.288 euros (fermages échus de 2009 à 2014 : 6 x 3.048 euros), quand tant Madame N... que Madame K... ont soutenu, dans leurs écritures d'appel, que les loyers de l'année 2010 avaient été payés, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors que, enfin, en constatant que Madame N... produit une quittance de fermage au titre de l'année 2010, tout en condamnant Madame N... à payer une dette locative de 18.288 euros (fermages échus de 2009 à 2014 : 6 x 3.048 euros) incluant l'année 2010, la cour d'appel a dénaturé ladite pièce, en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause.