LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 12 juin 2018), que, lors de leur cessation d'activité, G... et X... N... ont cédé leur exploitation agricole à leur fils, M. B... N..., et à son épouse Q..., et leur ont consenti un bail sur des parcelles ; que celles-ci ont été mises à la disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée N... (l'EARL) ; que les bailleurs sont décédés en laissant pour leur succéder leurs sept enfants ; que Q... N... est décédée ; que M. B... N... a assigné ses frères et soeurs en liquidation et partage de la communauté ayant existé entre leurs parents et de leurs successions respectives ; qu'il a sollicité l'attribution préférentielle des parcelles qu'il exploitait et leur évaluation à la valeur occupée, à la date la plus proche du partage ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 831-1 du code civil, ensemble les articles L. 331-2 et L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu que, pour rejeter la demande d'attribution préférentielle présentée par M. N... en vue de donner les parcelles à bail à son fils U..., l'arrêt retient que celui-ci n'avait pas obtenu l'autorisation administrative de les exploiter ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher s'il était nécessaire que M. U... N... justifiât d'une telle autorisation à titre personnel alors que les terres avaient été mises à la disposition d'une EARL et que cette exploitation était elle-même conforme aux règles du contrôle des structures, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction applicable au litige ;
Attendu qu'il résulte de ce texte qu'en l'absence de demande en résiliation par le bailleur dans les six mois du décès du preneur, le droit au bail passe aux héritiers de ce dernier ;
Attendu que, pour dire que les parcelles attribuées à M. B... N..., copreneur avec son épouse Q..., seront évaluées en valeur libre, l'arrêt retient qu'aucun de leurs enfants n'a obtenu l'autorisation de continuer l'exploitation ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les héritiers de Q... N... étaient de plein droit dévolutaires du bail dont celle-ci était titulaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne MM. J..., C... et M... N..., Mmes K..., V... et T... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de MM. J..., C... et M... N..., Mmes K..., V... et T... et les condamne in solidum à payer à M. B... N... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour M. B... N....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. B... N... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande d'attribution préférentielle et d'avoir en conséquence ordonné le partage en nature des terres en disant que le notaire à défaut de meilleur accord des parties procédera à la constitution des lots en ayant recours au préalable aux services d'un géomètre expert à l'effet de procéder à la division de ces parcelles sur la base notamment du rapport d'expertise et procédera à défaut d'accord entre les parties à un tirage au sort à charge de soulte si besoin ;
AUX MOTIFS QU' il a été relevé par la cour en son arrêt en date du 17 mai 2016 et il est confirmé par les pièces versées aux débats après le rapport d'expertise que Monsieur B... N... est toujours l'unique associé exploitant de l'Earl N... mais doit être aidé sur l'exploitation par ses enfants et notamment son fils qui doit organiser pour cela sa propre activité professionnelle ; qu'il résulte de la comparaison entre le contrat de bail établi en 2005 et le relevé parcellaire de 2010 que Monsieur B... N... a cédé des terres auparavant exploitées pour ne conserver presque exclusivement que les terres en litige par leur mise à disposition au sein de l'EARL N... ; qu'une attribution préférentielle de l'ensemble des terres constituant l'actif des successions à l'un des héritiers qui s'avère âgé de 71 ans et en fin de carrière constituerait ainsi une solution à court terme ne permettant pas d'éviter un morcellement de l'exploitation ; qu'aussi Monsieur B... N... envisage de transmettre l'exploitation à son fils invoquant une attribution préférentielle sur le fondement de l'article 831-1 du code civil ; qu'il a donc été sollicité avant dire-droit par la cour qu'il soit justifié de l'obtention par Monsieur U... N... de l'autorisation d'exploiter ; que cependant, il ressort des dernières pièces versées aux débats que le fils de Monsieur B... N..., Monsieur U... N... n'a pu obtenir l'autorisation d'exploiter les parcelles au sein de l'EARL N... en qualité d'associés exploitant ; qu'il n'est pas justifié de l'introduction d'un recours contentieux à l'encontre de cette décision préfectorale en date du 16 février 2017 ayant donné l'autorisation d'exploiter les parcelles d'une surface de 91 ha 18 a 48 ca à Monsieur M... N... ; qu'en conséquence il ne peut être sollicité une demande d'attribution préférentielle sur le fondement de l'article 831-1 du code civil et ce d'autant qu'un autre indivisaire a obtenu cette autorisation ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'attribution préférentielle formée par Monsieur B... N... ;
1°) ALORS QUE l'autorisation dont bénéfice une entreprise agricole à responsabilité limitée pour exploiter les terres louées mises à sa disposition par le preneur dispense le bénéficiaire d'une cession consentie par le preneur d'obtenir cette autorisation dès lors qu'il est membre de cette entreprise ; qu'en se bornant, pour débouter M B... N... de sa demande d'attribution préférentielle, à énoncer que son fils U... à qui il envisageait de transmettre l'exploitation sur le fondement de l'article 831-1 du code civil, n'avait pu obtenir l'autorisation d'exploiter les parcelles en qualité d'associé d'exploitant au sein de l'Earl N... à laquelle les terres en litige avaient été mises à disposition, sans vérifier si dès lors que cette entreprise remplissait les conditions de conformité et que M U... N... en était déjà associé ce dernier devait néanmoins obtenir l'autorisation d'exploiter en son sein pour que l'attribution préférentielle sollicitée puisse être fondée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 831-1 du code civil et L 331-2 et L 331-6 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QU' à titre subsidiaire, en se bornant, pour débouter M B... N... de sa demande d'attribution préférentielle, à énoncer que son fils U... à qui il envisageait de transmettre l'exploitation, n'avait pu obtenir l'autorisation d'exploiter les parcelles en qualité d'associé d'exploitant au sein de l'Earl N... et qu'il n'était pas justifié d'un recours contentieux contre la décision préfectorale du 16 février 2017 donnant autorisation d'exploiter les terres en litige à M M... N..., sans vérifier si compte tenu des recours gracieux formés à l'encontre des deux arrêtés du 16 février 2017, dont celui refusant d'accorder l'autorisation d'exploiter à U..., et de la demande de sursis dont elle était saisie par M B... N..., le refus d'autorisation d'exploiter était bien définitif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 831-1 du code civil et L 331-2 et L 331-6 du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)M B... N... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, après avoir entériné les valeurs retenues pour les parcelles par le rapport d'expertise tant en valeur libre qu'en valeur occupée, dit que les terres qui lui seront attribuées devront être évaluées en valeur libre et celles attribuées au reste de la fratrie en valeur occupée ;
AUX MOTIFS QU'il sera observé que la valeur des parcelles en valeur libre et occupée telle que déterminée par le rapport d'expertise doit être entérinée en dépit des observations présentées par l'expert amiable qui s'avère cependant insuffisantes mais il convient de constater que cette valeur est majorée par leur superficie conséquente et que toute division des parcelles entraînera nécessairement une diminution de la valeur des terres ; que néanmoins leur superficie permet un partage en nature qui est d'ailleurs sollicité par les parties opposées à l'attribution préférentielle ; que faute de meilleur accord entre les parties pour sauvegarder leurs intérêts notamment quant à la vente amiable de ces parcelles ou leur licitation y compris entre les seuls indivisaires conformément à l'article 1378 du code de procédure civile, il convient d'ordonner leur partage en nature à charge pour le notaire de constituer des lots en ayant recours au préalable aux services d'un géomètre expert à l'effet de procéder à la division de ces parcelles sur la base notamment du rapport d'expertise et de procéder à défaut d'accord entre les parties à un tirage au sort à charge de soulte si besoin ; que s'agissant de la valeur en terres libres ou occupées, il convient d'observer que l'ensemble des parcelles concernées fait l'objet d'un bail rural à long terme consenti en 2005 à Monsieur B... N... et à son épouse ; que les parcelles attribuées aux frères et soeurs de Monsieur B... N... copreneur doivent donc nécessairement être évaluées en valeur occupée ; que s'agissant des parcelles susceptibles d'être attribuées à Monsieur B... N... il convient d'observer qu'en cas de décès du preneur l'article L 411-34 du code rural prévoit des règles spéciales de dévolution du bail rural ; qu'ainsi en présence d'ayants-droit participant à l'exploitation ou ayant participé à cette exploitation dans les cinq ans précédant le décès ceux-ci peuvent seuls prétendre au droit au bail rural à l'exclusion des autre héritiers ; que ce n'est qu'en l'absence de tels ayants-droit répondant à la condition de participation que le droit au bail fait l'objet d'une transmission successorale et en ce cas seulement le bailleur a la faculté de demander la résiliation du bail dans les six mois du décès du preneur ; qu'en l'espèce s'agissant d'époux copreneurs en cas de décès de l'un d'eux la transmission du droit au bail ne concerne en réalité que les droits dont le preneur décédé était titulaire ; que dès lors au décès de l'épouse de Monsieur B... N... en application de l'article L 411-34 du code rural ses ayants-droit participant à l'exploitation ou y ayant participé au cours des cinq ans précédant son décès ont pu prétendre à l'attribution des droits dont elle était titulaire en tant que copreneur ; que Monsieur B... N... son conjoint ayant sans conteste participé à l'exploitation dans les cinq ans ayant précédé son décès remplit les conditions de la dévolution du bail rural organisée par l'article L 411-34 du code rural ; qu'il s'est vu transmettre automatiquement les droits de son épouse et aucune transmission successorale n'a vocation en conséquence à intervenir ; qu'il convient néanmoins de déterminer s'il a obtenu cette dévolution seul ou si d'autres ayants-droit et en l'espèce les enfants issus de son union avec Madame peuvent y prétendre ; qu'en effet l'ensemble des ayants-droit remplissant les conditions de l'article L 411-34 du code rural se voit transmettre le bail ; que si Monsieur B... N... est reconnu comme remplissant seul la condition de participation, les ayants-droit de son épouse vont lui être transmis et il sera seul titulaire du bail et en conséquence les terres qui lui seront attribuées devront être évaluées en valeur libre ; qu'à défaut le bail a vocation à se poursuivre indivisément au profit de l'ensemble des ayants-droit remplissant les conditions ; qu'il résulte des attestations nombreuses versées aux débats que les enfants de Monsieur B... N... ont participé de manière régulière plusieurs années avant le décès de leur mère aux travaux agricoles de l'exploitation ainsi qu'en témoignent des salariés travaillant dans l'exploitation depuis 1993 ou 1995 ou encore un voisin de culture qui détaillent tous les travaux exécutés durant les différentes campagnes et notamment pour la culture des pommes de terre ; qu'il est fait état d'une participation régulière et organisée malgré l'entrée dans la vie professionnelle de Monsieur U... N... en 1995 et le mariage de Madame H... N... en 1997 ; que dès lors en raison de cette participation régulière à l'exploitation plus de cinq années avant le décès de leur mère les enfants de Monsieur B... N... ont vocation à se voir transmettre automatiquement les droits de preneur de leur mère ; que cependant ils ne peuvent poursuivre le bail sans se soumettre aux exigences du contrôle des structures ; qu'il ne peut être évincé du débat qu'en cas de pluralité d'ayants-droit remplissant les conditions chacun d'eux peut renoncer à ses droits ni que l'attribution du droit au bail peut résulter d'un accord même tacite entre les différents intéressés ; que de même en cas de conflit entre les ayants-droit il appartient au tribunal paritaire des baux ruraux de désigner l'attributaire du droit au bail en fonction des intérêts en présence et des capacités des différents postulants à gérer l'exploitation et à s'y maintenir ; qu'or il est évident que tout nouveau titulaire du droit au bail pour continuer le bail doit se plier aux exigences du contrôle des structures et ne peut poursuivre l'exploitation et être reçu en sa demande de continuation du bail sans avoir présenté et obtenu une autorisation ; qu'en l'espèce aucun des enfants de Monsieur B... N... n'a obtenu cette autorisation et ne peut donc continuer le bail ; qu'il est donc loisible aux ayants-droit de s'entendre pour voir attribuer à Monsieur B... N... seul le droit au bail dès lors qu'aucun d'eux ne peut prétendre à la continuation du bail ; que Monsieur B... N... sera dans tous les cas sans conteste le seul attributaire des droits de son épouse dans le bail ; qu'il convient de considérer en conséquence que l'évaluation des parcelles attribuées à Monsieur B... N... devra se faire en valeur libre ;
1°) ALORS QU'en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint et de ses descendants participant ou ayant participé à l'exploitation et que le bailleur peut le résilier dans les six mois du décès lorsque le preneur ne laisse pas d'ayant droit réunissant ces conditions ; qu'en jugeant, pour dire que l'évaluation des parcelles attribuées à B... N... doit se faire en valeur libre dès lors qu'il sera le seul attributaire des droits de son épouse décédée dans le bail, que leurs enfants bien qu'ils aient vocation à se voir transmettre automatiquement les droits de preneur de leur mère n'avaient pas obtenu l'autorisation d'exploiter et ne pouvaient donc continuer le bail, la cour d'appel a violé l'article L 411-34 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QU' en tout état de cause, satisfont aux exigences de la réglementation du contrôle des structures les ayants droit du preneur associés de l'entreprise agricole à responsabilité limitée à la disposition de laquelle les terres louées doivent être mises dès lors que celle-ci a obtenu l'autorisation d'exploiter ces terres ; qu'en se bornant, pour dire M B... N... seul attributaire des droits de son épouse dans le bail et qu'en conséquence, l'évaluation des parcelles qui lui seront attribuées se fera en valeur libre, à énoncer qu'aucun de ses enfants n'avait obtenu l'autorisation d'exploiter les terres litigieuses et ne pouvait donc continuer le bail, sans vérifier si dès lors que l'Earl N... remplissait les conditions de conformité et que M U... N... en était déjà associé, ce dernier devait néanmoins obtenir l'autorisation d'exploiter en son sein pour satisfaire aux exigences de la réglementation du contrôle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 411-34, L 331-2 et L 331-6 du code rural et de la pêche maritime ;
3°) ALORS QU' à titre subsidiaire, en se bornant, pour dire M B... N... seul attributaire des droits de son épouse dans le bail et qu'en conséquence, l'évaluation des parcelles qui lui seront attribuées se fera en valeur libre, à énoncer qu'aucun de ses enfants n'avait obtenu l'autorisation d'exploiter les terres litigieuses et ne pouvait donc continuer le bail, sans vérifier si, compte tenu des recours gracieux formés contre les deux arrêtés du 16 février 2017 dont celui refusant d'accorder l'autorisation d'exploiter à U... et de la demande de sursis dont elle était saisie par M B... N..., le refus d'autorisation d'exploiter était bien définitif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 411-34, L 331-2 et L 331-6 du code rural et de la pêche maritime.