LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 1332-4 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme H... a été engagée par l'association Multi Service Développement (MSD) le 27 janvier 2003 en qualité d'agent de développement économique et social, au statut cadre, et occupait en dernier lieu les fonctions de responsable de service ; qu'elle a été convoquée le 4 juillet 2013 à un entretien préalable au licenciement et licenciée le 7 août 2013 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour juger les faits prescrits, dire que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamner en conséquence l'employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, la cour d'appel a retenu que la simple lecture du courrier de la directrice adjointe de l'association MSD et supérieure hiérarchique directe de la salariée, adressé le 15 avril 2013 à la directrice de l'association pour lui expliquer les raisons de sa démission, permet de constater que la directrice adjointe était dès cette époque en mesure de fournir des éléments précis et circonstanciés de nature à étayer le reproche formulé à l'encontre de Mme H... reposant sur ses attitudes colériques, blessantes, méprisantes ou dénigrantes vis-à-vis des collaborateurs de l'association ou de salariés en insertion ; qu'il en résulte que la direction de l'association MSD a eu au plus tard à la réception de ce courrier le 16 ou le 17 avril 2013 une connaissance suffisante de cette attitude éventuellement fautive de la salariée pour initier la procédure disciplinaire de ce chef, et qu'elle n'avait aucunement besoin pour ce faire d'attendre le résultat de la pseudo-enquête diligentée par les délégués du personnel sur le harcèlement moral allégué par une autre salariée de l'entreprise ; que le licenciement est dès lors fondé sur des faits qui étaient connus de l'employeur depuis plus de deux mois lorsqu'il a initié la procédure disciplinaire ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans constater la date à laquelle l'employeur avait eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE,en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne Mme H... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour l'association Multi Service Développement
Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement de Mme J... H..., prononcé par l'association Multi Service Développement le 7 août 2013, n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse et d'avoir en conséquence condamné ladite Association à payer à Mme H... la somme de 37 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Aux motifs que par application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse ; que selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement notifié le 7 août 2013 à J... H... était ainsi motivée : « Vous avez été reçue le 26 juillet 2013 pour un entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre. A votre demande, vous avez consulté un nouveau, en présence de Madame G... qui vous assistait, le courrier reçu de Madame T... ainsi que les témoignages recueillis par les délégués du personnel ; que vous a ensuite été exposé le constat de la situation, dénoncée par une série de témoignages convergents, au sein du service dont vous avez la responsabilité. En effet, votre attitude colérique, blessante, voire méprisante ou dénigrante à l'égard de certains collaborateurs de l'équipe permanente, mais aussi de salariés en insertion suivis par l'association ont détérioré les conditions de travail et les relations interpersonnelles au sein du service, dégradé l'état de santé d'une de vos collaboratrices, conduit à des stratégies d'évitement vis-à-vis de vous de la part de salariés en insertion ou de partenaires de l'association. En substance, vos explications consistaient à détailler l'incompétence de Madame T..., puis vous avez reconnu être très exigeante envers les nouveaux embauchés. Il a également été accepté que Madame G... complète son témoignage, lequel a principalement consisté à appuyer l'argumentaire d'incompétence de Madame T..., tout en estimant que le comportement de Madame T... avait contribué au mal-être d'autres salariés du service. Toutefois, l'éventuelle incompétence de Madame T... ne constitue en aucun cas un justificatif a une attitude colérique, blessante, méprisante ou dénigrante vis-à-vis d'elle-même ou d'autres collaborateurs ou de salariés en insertion, qui plus est de la part d'un responsable de service. Les conséquences de ce comportement au sein de l'association imposent une rupture de votre contrat de travail. Par égard pour votre ancienneté, nous avons décidé de vous notifier un licenciement avec préavis et indemnité de licenciement. Toutefois la situation nous contraint à vous dispenser de l'exécution de ce préavis de 3 mois, qui sera donc payé aux échéances habituelles de la paie. (...) » ; qu'il résulte clairement des termes de ce courrier que l'accusation initiale de harcèlement au préjudice de Charlenne T... a ainsi été abandonnée par l'employeur au profit d'un grief unique reposant sur une attitude colérique, blessante, méprisante ou dénigrante vis-à-vis des collaborateurs de l'association ou de salariés en insertion suivis par la structure, attitude qui aurait détérioré les conditions de travail et les relations interpersonnelles au sein du service et dégradé l'état de santé d'une des collaboratrices ; que J... H... conteste le bien-fondé de ce grief et fait valoir qu'en tout état de cause son employeur en avait connaissance bien plus de 2 mois avant l'introduction le 4 juillet 2013 de la procédure disciplinaire ayant abouti à son licenciement, si bien que la faute ainsi alléguée ne saurait fonder utilement son licenciement ; que l'association MSD conteste avoir eu connaissance des faits ainsi reprochés à J... H... avant le compte rendu de la réunion des délégués du personnel du 10 juin 2013 au cours de laquelle ceuxci ont restitué à l'employeur le résultat de leur enquête consécutive au courrier d'alerte pour harcèlement établi le 30 mars 2013 par Charlenne T... ; que l'article L. 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ; que la simple lecture (pièce 2 de l'employeur) du courrier de Z... L... adressé le 15 avril 2013 à K... S..., alors directrice de MSD, pour lui expliquer les raisons de sa démission (dont la date précise demeure en l'état inconnu de la cour) permet toutefois de constater que cette salariée, alors directrice adjointe de MSD et supérieure hiérarchique directe de J... H..., était dès cette époque en mesure de fournir des éléments précis et circonstanciés de nature à étayer le reproche ici formulé à l'encontre de cette dernière reposant sur ses attitudes colériques, blessantes, méprisantes ou dénigrantes vis-à-vis des collaborateurs de l'association ou de salariés en insertion ; qu'il en résulte que la direction de MSD a eu au plus tard à la réception de ce courrier le 16 ou le 17 avril 2013 une connaissance suffisante de cette attitude éventuellement fautive de J... H... pour initier la procédure disciplinaire de ce chef, et qu'elle n'avait sur ce plan aucunement eu besoin pour ce faire d'attendre le résultat de la pseudo enquête effectuée par les délégués du personnel sur le harcèlement moral allégué par Charlenne T... ; qu'il en résulte que ce licenciement n'est fondé en l'espèce que sur des faits qui étaient connus de l'employeur depuis plus de 2 mois lorsqu'il a initié la procédure disciplinaire, et que J... H... en déduit à juste titre que ces faits ne peuvent utilement constituer une cause réelle et sérieuse de ce licenciement ; que la rupture du contrat de travail doit donc ici être déclarée abusif, sans même qu'il soit besoin d'examiner plus avant la réalité de la faute alléguée ;
1° Alors que l'employeur qui décide, en vertu de son pouvoir disciplinaire, après la dénonciation de faits de harcèlement moral et une enquête qui en a établi la réalité et l'étendue, de licencier l'auteur de ces faits, n'est pas tenu de les qualifier de « harcèlement moral » dans la lettre de licenciement ; qu'il suffit qu'il les reproche dans cette lettre comme fautes disciplinaires ; qu'il ne s'ensuit pas, si l'employeur n'emploie pas cette qualification dans la lettre de licenciement, que le grief de harcèlement moral a été abandonné, dès lors que les motifs du licenciement reposent tout entier sur la constatation, après enquête, de la véracité des faits initialement dénoncés ; qu'en jugeant le contraire, la cour a violé les articles L. 1235-1 et L. 1232-6 du code du travail ;
2° Alors que la lettre de licenciement notifiée à Mme H... était fondée, d'une part, sur la lettre de Mme T... ayant dénoncé à l'employeur des faits de harcèlement moral imputés à cette dernière, d'autre part, sur les témoignages confirmatifs de ces faits recueillis après enquête par les délégués du personnel ; que l'employeur, d'une part, y reprochait à Mme H... une « attitude colérique, blessante, voire méprisante ou dénigrante à l'égard de certains collaborateurs de l'équipe permanente, mais aussi de salariés en insertion (
) », d'autre part, y constatait que ces agissements répétés avaient « détérioré les conditions de travail et les relations interpersonnelles au sein du service » et « dégradé l'état de santé d'une de (ses) collaboratrices », à savoir celui de Mme T... ; qu'ainsi, la lettre de licenciement exprimait explicitement la réalité et les conditions du harcèlement moral reproché à Mme H... en tant que fautes disciplinaires ; qu'en jugeant dès lors que l'employeur y avait « abandonné l'accusation initiale de harcèlement au préjudice de Charlenne T... », la cour a dénaturé cette lettre en violation de l'article 1134, devenu 1192 du code civil ;
3° Alors que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que l'employeur qui, usant de son pouvoir disciplinaire, décide de licencier un salarié dont les agissements de harcèlement moral, dénoncés par un autre salarié, ont été établis après enquête, n'est pas tenu de leur donner cette qualification dans cette lettre ; que s'il ne le fait pas, il ne s'ensuit pas que le grief ne soit pas maintenu, dès lors que la dénonciation de ces agissements et leur vérification sont la cause exclusive du licenciement prononcé ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, se fondant, d'une part, sur la lettre d'alerte de Mme T... relatifs à des faits de harcèlement moral et, d'autre part, sur les conclusions de l'enquête par les délégués du personnel qui en avaient établi la véracité, a retenu que Mme H... avait une « attitude colérique, blessante, voire méprisante ou dénigrante à l'égard de certains collaborateurs de l'équipe permanente, mais aussi de salariés en insertion (
) », attitude qui avait « détérioré les conditions de travail et les relations interpersonnelles au sein du service » et « dégradé l'état de santé d'une de (ses) collaboratrices », à savoir celui de Mme T... ; qu'en jugeant dès lors que l'Association avait abandonné l'accusation initiale de harcèlement au préjudice de Mme T..., sans rechercher si les griefs ainsi fondés et explicitement adressés à Mme H..., nonobstant leur absence de qualification par l'employeur, ne caractérisaient pas la réalité d'un grief de harcèlement moral, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-1 du code du travail et de l'article L. 1152-1 du même code ;
4° Alors qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de sa réalité, de sa nature et de son ampleur, afin de pouvoir prendre des mesures appropriées ; que le harcèlement moral d'un salarié sur un autre s'analysant comme une faute disciplinaire, la connaissance exacte de cette faute par l'employeur, y compris de l'ampleur qu'elle a pu avoir notamment sur la dégradation des conditions de travail et la santé des salariés, ne peut résulter que des conclusions objectives de l'enquête que l'employeur doit diligenter après qu'il ait été alerté sur des faits susceptibles de constituer un tel harcèlement ; que c'est donc ces conclusions qui marquent le point de départ du délai de deux mois ; qu'en l'espèce, pour juger que les faits reprochés ne pouvaient constituer une cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour a retenu que l'Association avait été, dès « le 16 ou le 17 avril 2013 », suffisamment informée par le courrier reçu de Mme L... qui se plaignait, pour justifier sa démission, du comportement colérique, blessant méprisant et dénigrant de Mme H..., de sorte que les faits lui étaient connus depuis plus de deux mois lorsqu'elle a commencé la procédure disciplinaire, le 4 juillet 2013, par la convocation de cette dernière a un entretien préalable ; qu'en se déterminant ainsi quand, d'une part, ce courrier de Mme L... ne constituait qu'une seconde alerte, à 15 jours de la précédente, et que, d'autre part, l'Association n'a pu avoir une connaissance exacte des faits, non seulement dans leur existence et leur nature mais aussi dans leur ampleur, que par les conclusions de l'enquête diligentée rendues le 10 juin 2013, la cour a violé l'article L. 1332-4 du code du travail.