LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 201 et 202 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé le 1er décembre 2003 par la société Koné en qualité de technicien très qualifié, M. A... a été licencié pour faute grave le 1er octobre 2015 ;
Attendu que pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que s'agissant du grief relatif aux insultes, l'employeur ne produit que l'attestation établie par M. M..., supérieur hiérarchique du salarié, dans le bureau duquel les faits se seraient déroulés, qu'il convient cependant de constater que M. M... a signé la lettre notifiant le licenciement et a ainsi agi en qualité d'employeur et que l'attestation qu'il a signée doit donc être écartée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en matière prud'homale la preuve est libre, que rien ne s'oppose à ce que le juge prud'homal examine une attestation établie par un salarié ayant représenté l'employeur lors de la procédure de licenciement et qu'il appartient seulement à ce juge d'en apprécier souverainement la valeur et la portée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne M. A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Koné
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. A... par la société Kone était sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Kone à verser au salarié les sommes de 4 460,36 euros, outre la somme de 446,03 euros brut au titre des congés payés afférents au titre de l'indemnité de préavis, 6 021,49 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 22 302 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à M. A... dans la limite de la durée d'indemnisation, d'AVOIR condamné la société Kone aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à verser au salarié la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le licenciement :
Aux termes des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
Les termes de la lettre de licenciement fixent le cadre du litige.
Par lettre recommandée du 1er octobre 2015, la SA Kone a notifié à M. A... son licenciement pour faute grave en ces termes :
« Le 15 septembre 2015, vous vous trouvez dans le bureau de votre superviseur (M. M...) en présence de votre collègue M. V....
Alors que vous échangez sur une problématique professionnelle, le ton monte.
Enervé, vous lancez un rouleau de marquage au visage de votre collègue.
Ce dernier, surpris, se lève et se dirige vers vous. Vous vous empoignez alors mutuellement. Une bousculade s'en suit et vous assénez un violent coup de poing au visage de votre collègue.
M. M... réagit alors en vous séparant avec fermeté.
Au-delà de la violence physique inacceptable dont vous avez usé, vous avez insulté votre collègue en employant le terme 'gros con'.
Votre attitude puérile, violente et irréfléchie est totalement incompatible avec l'attitude qu'un salarié doit avoir dans un cadre professionnel. Vous avez agi de façon purement intolérable et nous ne pouvons l'accepter.
Votre comportement est constitutif d'une faute grave ».
- Sur le grief relatif au 'coup de poing'.
A titre liminaire, il y a lieu de constater qu'aux termes de ses conclusions, la SA Kone ne soutient plus aujourd'hui que M. A... a porté un coup de poing à son collègue, M. V..., mais qu'il a tenté de le faire sans l'atteindre.
M. A... conteste ce fait.
Il apporte au dossier deux attestations établies par M. V....
La première, datée du 2 octobre 2015, relate que ' les faits se sont déroulés tel que décrit dans le rapport effectué suite à l'entretien préalable à un éventuel licenciement, à la différence que M. A... n'a jamais (souligné par l'intéressé) tenté, ou porté un coup de poing à mon visage'.
La seconde, datée du 9 octobre 2015, est ainsi rédigée : « Je soussigné M. V... Damien, atteste que, lors du différent m'opposant à M. A... le 15 septembre 2015 dans les locaux de la société Kone, je n'ai reçu aucun coup de poing au visage de la part de M. A... ».
La SA Kone a soutenu à l'audience que la seconde attestation porte une signature différente de celle figurant sur la première et qu'il convient de ne retenir que cette dernière, et que la tentative est donc avérée.
Cependant, M. V... a établi une attestation le 15 octobre 2017 aux termes de laquelle il indique ' utiliser deux types de signature pour signer des documents ', l'une pour parapher et l'autre pour signer, signature et paraphe qu'il reproduit en exemplaire.
Il ressort de l'examen des deux attestations établies en octobre 2015 que la première porte le paraphe et la seconde la signature.
Il n'y a donc pas lieu d'écarter l'attestation établie le 2 octobre 2015.
En conséquence, compte tenu des termes de celles-ci, le grief selon lequel M. A... aurait tenté de frapper M. V... n'est pas établi.
- Sur les griefs relatifs au jet d'un objet au visage de M. V... et aux insultes proférées :
S'agissant du premier fait, il ressort d'une attestation établie le 8 janvier 2016 par M. V... que lors de l'altercation du 15 septembre 2015, il a reçu de la part de M. A... un rouleau de marquage de volume au visage.
La régularité de cette attestation n'est pas contestée.
Ce fait est donc établi.
S'agissant des insultes, la SA Kone ne produit sur ce point que l'attestation établie par M. M..., supérieur hiérarchique de M. A..., dans le bureau duquel les faits se seraient déroulés.
Il convient cependant de constater que M. M... a signé la lettre notifiant à M. A... son licenciement, et qu'il a ainsi agi en qualité d'employeur.
L'attestation qu'il a signée doit donc être écartée.
M. A... produit des attestations établies par MM. U... R..., N... Y..., H... G... et O... J... faisant état de ce que qu'il n'a jamais manifesté un comportement agressif ou violent dans le cadre professionnel.
Si la SA Kone mentionne dans la lettre de licenciement un 'rappel à l'ordre' notifié à M. A... le 28 novembre 2013, il ressort de ce courrier que l'employeur considère que cette mesure ne constitue pas une procédure disciplinaire.
Compte tenu de l'absence d'antécédents disciplinaires de M. A... et de son ancienneté dans l'entreprise, il y a lieu de considérer que le fait qui lui est reproché ne justifiait pas une mesure de licenciement.
Il y a donc lieu de considérer le licenciement de M. A... par la SA Kone comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La décision entreprise sera donc infirmée.
- Sur les conséquences financières du licenciement :
- Sur l'indemnité compensatrice de préavis :
L'article 28 alinéa 2 de la convention collective applicable dispose qu'en cas de résiliation unilatérale du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, le montant de l'indemnité de préavis due au salarié ne peut être inférieure à deux mois après deux ans d'ancienneté.
M. A... avait une ancienneté de 11 ans et 9 mois à la date de son licenciement.
Sa rémunération mensuelle brute était de 2 230,18 euros brut.
M. A... sollicite à ce titre la somme de 4 460,36 euros brut outre la somme de 446,03 euros brut au titre des congés payés afférents.
Il sera fait droit à la demande sur ce point.
- Sur l'indemnité de licenciement :
L'article 29 de la convention collective applicable dispose que l'indemnité de licenciement pour une ancienneté supérieure à 11 ans et inférieure à 12 ans est de 2, 7 mois de salaire.
Concernant M. A..., ce montant est de 6 021,49 euros.
Il sera donc fait droit à la demande sur ce point.
- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
La SA Kone n'a allégué aucun reproche sur la qualité de l'investissement professionnel de M. A..., et il ressort des termes mêmes de la lettre de licenciement que celui-ci s'était investi de façon importante en formation continue.
Si M. A... a retrouvé une activité à compter du 12 octobre 2015, sa rémunération mensuelle pour ce nouveau poste est inférieure de plus de 25 % à celle dont il disposait en qualité de salarié de la SA Kone ;
Il a trois enfants à charge.
Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer que M. A... a subi du fait du licenciement abusif un préjudice qu'il convient de réparer.
Il lui sera donc accordé à ce titre la somme de 22 302 euros.
Conformément aux dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu en tant que de besoin d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié dans la limite légale de la durée d'indemnisation.
La SA Kone, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M. A... la totalité des frais irrépétibles ; il sera fait droit à la demande sur ce point à hauteur de 2 000 euros » ;
1°) ALORS QUE la lettre de licenciement adressée au salarié est signée par l'employeur ou son représentant auquel il en a délégué le pouvoir ; qu'en affirmant en l'espèce que M. M... avait agi en qualité d'employeur en co-signant la lettre de licenciement du salarié, sans constater que ce dernier, exerçant seulement des fonctions de superviseur, était titulaire d'une délégation de pouvoir lui permettant de représenter l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-6 du code du travail ;
2°) ALORS en tout état de cause QUE la preuve de la faute grave est libre et peut être rapportée par voie de témoignages recueillis auprès de salariés, peu important qu'ils aient représenté l'employeur au cours de la procédure disciplinaire ; qu'en l'espèce, pour établir le comportement particulièrement agressif et injurieux de M. A..., la société Kone produisait aux débats l'attestation de M. M..., supérieur hiérarchique de M. A..., qui, présent lors de l'altercation entre M. A... et M. V..., relatait que « le mardi 15 septembre 2015 vers 13h30 », « dans mon bureau » M. A... avait invectivé M. V... en l'insultant de « sale con, tu n'es qu'un enculé » puis en lui « jetant violemment en pleine figure un rouleau de scotch pour le marquage » ; qu'en écartant par principe toute valeur au témoignage précis et détaillé de M. M... au prétexte inopérant qu'il avait agi en qualité d'employeur en signant la lettre de licenciement du salarié, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble l'article 1315 devenu 1353 du Code civil et l'article 202 du code de procédure civile ;
3°) ALORS en tout état de cause QUE les juges du fond sont tenus d'examiner l'ensemble des éléments de preuve soumis à leur examen ; qu'en l'espèce, pour établir la réalité les injures proférées par M. A... à l'encontre de M. V..., la société Kone produisait aux débats, outre l'attestation de M. M..., le témoignage de M. V... aux termes duquel ce dernier avait indiqué que « les faits se sont déroulés tel que décrit dans le rapport effectué suite à l'entretien préalable à un éventuel licenciement, à la différence que M. A... S... n'a jamais tenté ou porté un coup de poing à mon visage » et la lettre de licenciement de M. A... faisant suite à son entretien préalable dans laquelle l'employeur rappelait à M. A... les évènements litigieux et notamment le fait que le 15 septembre 2015 « au-delà de la violence physique inacceptable dont vous avez usé, vous avez insulté votre collègue » ; que pour dire non établi le grief tiré des insultes proférées par le salarié, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'à l'appui de ce grief, la société Kone ne produisait que l'attestation de M. M... ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel qui n'a pas examiné ensemble l'attestation de M. V... et la lettre de rupture à l'appui de ce grief, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE constitue une faute grave ou à tout le moins une cause réelle et sérieuse de licenciement, le fait pour un salarié d'adopter un comportement particulièrement violent et agressif à l'égard d'un de ses collègues en lui jetant un objet au visage, peu important son ancienneté et l'absence de passé disciplinaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que lors de l'altercation du 15 septembre 2015, M. V... avait reçu de M. A... un rouleau de marquage de volume au visage ; qu'en jugeant néanmoins que ce fait ne justifiait pas une mesure de licenciement, aux motifs inopérants que le salarié n'avait jamais manifesté un comportement agressif ou violent dans le cadre professionnel, qu'il n'avait pas d'antécédents disciplinaires et qu'il disposait d'une grande ancienneté, quand il résultait de ses propres constatations que le salarié avait porté atteinte à l'intégrité physique d'un de ses collègues, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-1 du Code du travail ;