LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 1331-1 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. W..., engagé le 15 juin 2009 en qualité de chirurgien-dentiste par M. X..., a été destinataire les 16 et 18 janvier 2014 de deux courriers de son employeur relatifs à ses absences au cours du mois de janvier 2014 ; qu'il a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire à compter du 20 janvier 2014 et a été licencié pour faute grave le 5 février 2014 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que, pour juger le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt, après avoir décidé que le grief tiré des absences du salarié au cours du mois de janvier 2014 ne peut être retenu comme fondant le licenciement dès lors qu'il a déjà fait l'objet d'avertissements par les courriers des 16 et 18 janvier 2014, retient que d'autres griefs sont caractérisés ;
Attendu, cependant, que l'employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction ;
Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme il lui avait été demandé, si, à la date des avertissements, l'employeur n'avait pas connaissance des autres faits visés par la lettre de licenciement dont elle a estimé qu'ils étaient établis, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. X... à payer à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour M. W...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de Monsieur F... W... reposait sur une faute grave et de l'avoir débouté de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE de (la) très longue lettre de licenciement, il résulte que l'employeur stigmatise 17 griefs distincts pouvant être ainsi énumérés : 1- absences et retards injustifiés les 10, 15 et 17 janvier 2014, 2- départ en congés non autorisé en décembre 2013, 3- existence d'une relation contractuelle parallèle avec un autre cabinet dentaire dans la Manche non révélée à l'employeur et compromettant l'exercice desfonctions, 4- attitude cavalière et désinvolte à l'égard des clients, 5- manquements aux obligations professionnelles en faisant remettre une prothèse à un client par le biais d'une assistante, 6- non facturation des prestations, 7- remise en question de la compétence du laboratoire de prothèses fournissant le cabinet, 8- non-communication malgré demande de l'attestation d'assurance responsabilité civile, 9-manquements répétés aux règles d'hygiène à l'égard des patients, 10-dommages irréversibles causé au matériel par non respect des règles d'hygiène, 11- soins non conformes aux données acquises de la science, 12- violation du secret professionnel, 13- utilisation du matériel à des fins non professionnelles pendant le temps de travail, 14- fiches patients non renseignées, 15- défaut d'établissement de factures de prestations, 16- actes facturés non réalisés, 17- propos tenus à des tiers et autres salariés du cabinet, à l'encontre de l'employeur. Sur le grief n°1 : Dès lors que par lettre recommandée du 16 janvier 2014 et par courriel du 18 janvier 2014, l'employeur a sommé le salarié de se justifier sur ses absences des 10, 15 et 17 janvier 2014 en précisant qu'il lui était impossible d'accepter un tel comportement, il doit être admis que l'employeur a ainsi formalisé un reproche au salarié et mis en oeuvre son pouvoir disciplinaire relativement à ces faits en application de l' article L. 1331-1 du code du travail aux termes duquel, « constitue une sanction toute mesure autre que les observations verbales prise par l'employeur à la suite d'un agissement considéré par l'employeur comme fautif». Ces faits, déjà sanctionnés ne peuvent donc être retenus comme fondant le licenciement, leur rappel dans la lettre de rupture permettant néanmoins à l'employeur de caractériser la gravité de la faute retenue à l'appui de la mesure de licenciement au regard de la persistance ou du renouvellement du comportement fautif, alors au demeurant que M. W... ne remet pas en cause dans le cadre de la présente instance, le bien fondé des avertissements ainsi prononcés. (
) - Sur le grief n° 3 : le contrat de travail conclu le 15 juin 2009, fait référence à une durée hebdomadaire de travail de 35 heures réparties à hauteur de 8 heures les lundis, mardis, mercredis et vendredis et 3 heures les samedis matin de 9h à 12h. Du contrat de travail conclu avec Mme R..., chirurgien-dentiste à [...] dans la Manche, et du procès-verbal de la réunion du conseil départemental de I ‘Ordre des chirurgiens-dentistes de l'Orne en date du 10 avril 2014, il résulte que M. W... s'était engagé à travailler au cabinet de Mme R..., à des jours et heures de la semaine correspondant pour partie à ses engagements au sein du cabinet de M. X.... Rien ne permet de considérer que ce dernier avait été avisé par le salarié de cette situation préalablement au courriel du 18 janvier 2014 émanant du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes, le fait qu'une sanction puisse être en conséquence prononcée à son encontre par la juridiction ordinale à raison d'un manquement à l'obligation de prise en charge dans de bonnes conditions des patients, n'étant pas remis en cause par M. W.... Le grief tenant à l'existence et à la non révélation à l'employeur d'un autre contrat de travail conclu pour des heures et jours de travail identiques doit donc être considéré comme établi. - Sur le grief n° 4 : Les écrits de Mmes L... et C..., assistantes dentaires au cabinet, font état d'annulations intempestives de rendez-vous et de clients laissés seuls sur le fauteuil pendant que M. W... téléphonait pour des raisons personnelles ou naviguait sur internet. Mme D... N..., l'une de ses patientes depuis 2013, atteste que, se plaignant de douleurs après des soins prodigués par l'intéressé, ce dernier lui a fermé la porte et lui a dit qu'elle devait se faire psychanalyser, l'informant à une autre occasion de ce qu'elle était à la CMU et qu'il ne pouvait « faire mieux car il ne touchait rien sur l'appareil ». Ces faits établissent l'existence d'une attitude désinvolte à l'égard de la clientèle que confirment les écrits de Mme H..., autre patiente de M. W... évoquant une piqûre dans la lèvre « sans la moindre excuse ». De même l'attestation du docteur P... J... établit-elle que le 22 décembre 2013, M. W..., qui ne conteste pas avoir été de garde pour le secteur de [...] n'était pas présent à son cabinet et ne répondait pas au téléphone, contraignant les patients à se rendre au cabinet de garde d'[...] pour se faire prodiguer les soins nécessaires. Le grief tenant à l'attitude cavalière et désinvolte à l'égard des clients doit être considéré comme établi. (
) - Sur le grief n° 8 : Le contrat de travail comporte en son article 14 la disposition suivante : « bien que l'assurance garantissant la responsabilité civile professionnelle de M. F... couvre M. W... F... pour les missions qui lui sont imparties dans le cadre du présent contrat, M aura soin de souscrire sa propre assurance ». M. W... ne conteste pas s'être soustrait à cette obligation conventionnellement prévue. Dès lors ce grief doit être considéré comme établi, peu important que les règles de la profession ne rendent pas obligatoires une telle souscription. - Sur le grief n° 9 : Par décision en date du 11 mars 2016, dont le caractère définitif n'est pas remis en cause, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens dentiste a sanctionné le docteur W..., notamment à raison des manquements aux règles de l'hygiène dont la réalité a été considérée comme établie. En outre, Mme Z... H... évoque des préparations dentaires tombées au sol et « retournant » dans la bouche, la présence d'un chien dans le cabinet et un travail sans gants avec des mains sentant le tabac, le tout confirmant les éléments retenus dans le cadre de la décision ordinale. Si les dommages irréversibles causés au matériel par non-respect des règles d'hygiène ne résultent d' aucune autre pièce que de photos non datées et non précises quant aux lieux qu'elles représentent, le onzième grief tenant à la dispense de soins non conformes doit être considéré comme établi dès lors qu'il résulte de la décision de la chambre nationale de discipline ci-dessus visée, que le docteur W..., a manqué gravement à l'égard de six patients dans les soins qu'il leur a prodigués entre le 19 janvier 2011 jusqu'à la date de rupture du contrat de travail aux données acquises de la science, la juridiction ayant motivé le prononcé de la sanction professionnelle sur la base de ces faits. La violation du secret professionnel résulte des seules affirmations de l'employeur. En revanche, l'utilisation du matériel informatique mis à sa disposition à des fins non professionnelles pendant le temps de travail, est établie par l'attestation de Mme C..., assistante dentaire de M. W..., selon laquelle elle a vu à plusieurs reprises ce dernier consulter des sites pornographiques sur l'ordinateur de son cabinet pendant les horaires de travail alors même que son patient attendait sur le fauteuil. Ces déclarations sont confortées par celles de M. V..., technicien informatique chargé de la maintenance de l'appareil du salarié et qui déclare avoir dû « nettoyer » l'appareil des virus contractés du fait de la navigation sur des sites pornographiques. L'ensemble des griefs ainsi établis, par leur nombre et leur importance, constitue, sans que l'examen des autres griefs évoqués soit nécessaire, un comportement fautif dont la gravité rendait impossible le maintien du contrat de travail, alors que rien ne démontre que l'employeur ait pu avoir connaissance des faits reprochés plus de deux mois avant la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire ayant mené au licenciement (arrêt, p. 5 à 7) ;
ET AUX MOTIFS SUPPOSES ADOPTES QUE il est reproché au Dr W... de ne pas respecter les règles d'hygiène notamment en ne se lavant les mains qu'une fois en début de journée, en utilisant des produits de désaffection inappropriée. Il apparaît au vu des attestations produites par différents clients que le Dr W... est intervenu sur une patiente après avoir fumé sans même se laver les mains, qu'il utilisait des préparations tombées au sol, que les interventions qu'il est réalisé se faisait en présence d'un yorkshire ou encore qu'il travaillait sans gants. Ces faits sont corroborés par les attestations produites par les assistantes du cabinet dentaire. Au vu de ces attestations, le manque d'hygiène reproché au Dr W... est établi. Il est reproché au Dr W... d'avoir dispensé des soins non conformes aux données acquises de la science relevant d'un défaut de qualité manifeste. Il apparaît également au vu des attestations produites, que le Dr W... a effectué une gingivectomie à l'aide d'une fraise à os, qu'il n'attendait pas que le produit agisse avant de pouvoir débuter les soins, qu'il s'absentait alors que le patient avait une empreinte en bouche, ou encore qu'il recollait un bridge en décembre 2013 sans se préoccuper d'une infection qui a été décelée juste après par le docteur X.... Il apparaît également au vu des attestations produites, qu'il ne prenait pas en compte les plaintes d'une cliente sur un appareil inadapté qui lui faisait mal, qu'il n'a pas détecté une carie en l'imputant à de l'émail qui n'avait pas fini de se former, ou encore qu'il n'utilisait pas « l'aspirateur » pour éviter la descente du produit anesthésique dans la gorge d'une patiente. Au vu de ces attestations les manquements professionnels dans les actes de soins réalisés par le Dr W... sont établis. En outre, les différentes attestations établissent différents autres manquements pendant l'exécution du contrat de travail du Dr W..., évoqués dans la lettre de licenciement : rendez-vous annulé pour convenance personnelle, réception au cabinet et demande d'un « vibromasseur », et demande de piles à une collaboratrice pour le faire fonctionner, consultation de sites pornographiques et envoi de mail à caractère douteux, dessin « d'un bonhomme et son phallus » sur la fiche d'un patient destinée au laboratoire de prothèse. Ces comportements constituent des manquements répétés à l'exécution normale du contrat de travail. L'ensemble de ces faits sont suffisants à eux seuls pour justifier de la rupture immédiate du contrat de travail. Il importe peu à cet égard que les absences injustifiées de M. W... aient fait l'objet d'un courrier en date du 18 janvier 2014 qui avait pour objet de rappeler les horaires de travail de M. W... et de lui demander de justifier de ces dernières absences en date du 10 et 15 janvier 2014 et que ces absences soient de nouveau invoquées à l'appui de la lettre de licenciement notifié le Dr W... (jugement, p. 2 et 3) ;
1) ALORS QUE l'employeur qui, bien qu'informé de l'ensemble des faits reprochés au salarié, choisit de lui notifier un avertissement seulement pour certains d'entre eux, épuise son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer un licenciement pour les faits antérieurs à la sanction prononcée ; qu'en l'espèce, après avoir retenu que l'employeur avait notifié deux avertissements les 16 et 18 janvier 2014, la cour d'appel s'est bornée à considérer que ces faits, déjà sanctionnés ne pouvaient être retenus comme fondant le licenciement, leur rappel dans la lettre de rupture permettant néanmoins à l'employeur de caractériser la gravité de la faute retenue à l'appui de la mesure de licenciement au regard de la persistance ou du renouvellement du comportement fautif ; qu'en statuant de la sorte, pour retenir l'existence d'une faute grave, sans rechercher, comme il lui était demandé, si lorsqu'il avait prononcé l'avertissement du 18 janvier 2014, l'employeur n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire, pour avoir eu connaissance à cette date de l'ensemble des faits reprochés dans la lettre de licenciement, dont l'existence d'un autre contrat de travail avec le cabinet de Madame R..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1331-1 du code du travail ;
2) ALORS QU' en tout état de cause, l'employeur ne peut invoquer à l'appui d'un licenciement les manquements précédents du salarié, qui sont prescrits ou qui ont déjà été sanctionnés, s'ils ne procèdent pas d'un fait fautif identique, ou à tout le moins similaire, à celui du dernier manquement professionnel invoqué ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que le salarié avait été sanctionné par deux avertissements les 16 et 18 janvier 2014, pour absences injustifiées les 10, 15 et 17 janvier 2014, la cour d'appel a retenu que ces faits, déjà sanctionnés ne pouvaient être retenus comme fondant le licenciement, leur rappel dans la lettre de rupture permettant néanmoins à l'employeur de caractériser la gravité de la faute retenue à l'appui de la mesure de licenciement au regard de la persistance ou du renouvellement du comportement fautif ; qu'en statuant de la sorte, sans constater l'existence d'un nouveau comportement fautif identique ou de même nature que les absences déjà sanctionnées, commis entre le 18 et le 20 janvier 2014, date de la mise à pied conservatoire du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
3) ALORS QUE, subsidiairement, sauf dans le cas de poursuites pénales, aucun fait fautif du salarié ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il n'a eu connaissance des faits fautifs que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire ; que dès lors en l'espèce, en considérant, pour estimer que le salarié avait commis une faute grave que « rien ne démontre que l'employeur ait pu avoir connaissance des faits reprochés plus de deux mois avant la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire ayant mené au licenciement », la cour d'appel a violé les articles L. 1332-4 du Code du travail et 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4) ALORS QUE, subsidiairement, les médecins salariés n'étant pas tenus de souscrire une assurance de responsabilité, le contrat de travail du salarié ne pouvait lui imposer de souscrire une assurance personnelle ; qu'en décidant le contraire, pour considérer qu'en ne satisfaisant pas à cette obligation, le salarié avait commis une faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ensemble l'article L. 1142-2 du code de la santé publique.