SOC.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 octobre 2019
Rejet non spécialement motivé
Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président
Décision n° 11066 F
Pourvoi n° E 18-12.864
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par la société Laboratoires Wessling, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2018 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. T... Y..., domicilié [...] ,
2°/ à Pôle emploi Direction régionale Rhône-Alpes, dont le siège est [...] ,
3°/ à Pôle Emploi, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 24 septembre 2019, où étaient présents : Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Maron, conseiller, Mme Jouanneau, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Laboratoires Wessling, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. Y... ;
Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Laboratoires Wessling aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. Y... ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Laboratoires Wessling.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Laboratoires Wessling à verser à M. Y... la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts et d'AVOIR ordonné à la société Laboratoires Wessling le remboursement aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. Y... dans la limite de six mois d'indemnités ;
AUX MOTIFS QUE « Selon l'article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Dans la lettre de licenciement du 25 octobre 2013, l'employeur a invoqué au titre des causes économiques justifiant le licenciement : - un déséquilibre entre d'une part une augmentation régulière de son chiffre d'affaires et d'autre part la baisse de ses résultats, constaté à l'analyse du bilan des trois derniers exercices, cette situation s'expliquant par une baisse très importante des prix de vente de ses prestations de service, entraînant une érosion des marges bénéficiaires, et parallèlement une hausse continue de la masse salariale ; - la dégradation sérieuse de la trésorerie de l'entreprise avec des pertes financières sur les trois derniers exercices. L'employeur considère qu'il est confronté à un contexte économique difficile le contraignant à prendre des mesures de réorganisation en vue de retrouver l'équilibre financier de l'entreprise et permettre de sauvegarder sa pérennité. Il résulte de la note technique sur les licenciements économiques envisagés, communiquée en août 2013 au comité d'entreprise, que la société Wessling France se présente elle-même comme l'implantation française du groupe allemand Wessling, spécialisé dans la fourniture de prestations techniques dans le domaine de l'environnement, et indique en page 7 du document : « le management board du groupe Wessling devant les chiffres économiques inquiétants actuels en particulier en France et en Allemagne exige de notre part une réaction pour pérenniser Wessling France pour les prochaines années sur le territoire national. Il nous conseille vivement pour cela de réorganiser certains services et si possible de baisser la masse salariale de l'ordre de 5 % », annexant à la note le courrier de la société Wessling Holding en date du 24 juillet 2013. Enfin, les rapports annuels uniques 2011 2012 démontrent l'existence de flux financiers entre la holding et la société Wessling France, au titre tant de sa contribution aux frais communs du groupe, qu'à celui de la facturation de prestations d'analyses réalisées en sous-traitance par la société Wessling Allemagne. Lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques, comme la menace pesant sur la compétitivité, doivent être appréciées tant au niveau de la société qu'à celui du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient. La société Wessling France verse aux débats ses comptes annuels pour les exercices 2010, 2011, 2012 et 2013 ainsi que ceux pour ce dernier exercice provisoirement arrêtés au 30 septembre 2013. Elle produit également le rapport d'analyse de sa situation réalisé par le cabinet d'expertise comptable SECAFI sur la base des comptes clos au 31 décembre 2013 et présenté au comité d'entreprise le 24 novembre 2014. Il ressort de ces données comptables que l'entreprise a connu une progression régulière de son chiffre d'affaires entre 2010 et 2012, avant une stagnation en 2013 à hauteur de 10,7 K€. Dans le même temps, après une évolution positive jusqu'en 2010, son résultat d'exploitation s'est effondré en 2011, mais a été restauré en 2012, demeurant positif en 2013. Entre 2012 et 2013, le résultat d'exploitation a cependant connu un net recul passant de 375 645 à 123 310. Pour autant, si l'exercice 2011 a été déficitaire, les exercices 2012 et 2013 sont demeurés faiblement bénéficiaires. L'analyse de ces éléments chiffrés par le cabinet SECAFI l'a conduit au constat d'un recul modéré de la marge brute en 2013, d'une forte contraction de la profitabilité opérationnelle en raison de l'augmentation des frais de personnel entre 2012 et 2013, générée à la fois par les recrutements et les frais liés aux licenciements, le résultat économique brut variant de - 62,8 % entre les deux exercices. Il a également relevé l'accroissement de l'endettement de l'entreprise comparée à ses fonds propres. Pour autant, le cabinet SECAFI souligne que, malgré le recul de sa profitabilité opérationnelle, l'entreprise maintient son résultat à l'équilibre au terme de l'exercice 2013. Les seuls éléments comptables relatifs aux résultats du groupe Wessling soumis à la cour sont constitués d'une part d'un courrier du 10 mai 2014 émanant de la holding Wessling communiquant des éléments comptables de l'activité "analyses environnementales" de la société Wessling Allemagne, d'un extrait de documents comptables (profitability report) en date du 17 janvier 2014 et d'un document comptable de 39 pages de la société Wessling Holding daté du 31 décembre 2013, rédigé en langue allemande, non traduit à l'exception d'une page, d'autre part, des éléments repris de manière fragmentaire dans le rapport d'analyse du cabinet SECAFI, qui indique dans son introduction, avoir pu « prendre connaissance des comptes consolidés du groupe ». Ces données très partielles permettent néanmoins à la cour de constater que si les données comptables de la société Wessling Allemagne font apparaître d'une part une augmentation du chiffre d'affaires et de la marge brute entre les exercices 2012 et 2013 et d'autre part un résultat d'exploitation en fort déficit, il se dégage de l'examen des comptes consolidés du groupe par le cabinet d'expertise comptable SECAFI, figurant en pages 26 et 27 de son rapport d'analyse, que le chiffre d'affaires du groupe est en progression continue, que sa profitabilité opérationnelle en pourcentage du chiffre d'affaires est stable, que son résultat net est en croissance de 2,8 % au terme de l'exercice 2013 et que sa situation financière est équilibrée et même renforcée. Si le recul du résultat d'exploitation de la société Wessling France au titre de l'exercice 2013 entame sa rentabilité, les productions ne contiennent pas de données permettant d'appréhender à l'échelle du groupe, et non de la seule holding, les résultats du secteur d'activité auquel participe l'employeur de M. Y... et n'établissent pas que la situation économique et financière du secteur d'activité du groupe ait connu une dégradation portant atteinte à sa compétitivité et permettant de craindre pour sa pérennité. Par ailleurs, il n'est pas fourni d'éléments tangibles accréditant la réalité d'une baisse de la rentabilité du groupe pour le secteur d'activité concerné, la seule caractérisation du renforcement d'une concurrence agressive sur ce secteur d'activité n'étant pas de nature à constituer une cause économique de licenciement. En conséquence, la société Wessling France ne justifie pas du motif économique invoqué pour justifier du licenciement de M. Y..., mesure qui se trouve dès lors privée de cause réelle et sérieuse. Le jugement du conseil de prud'hommes, qui a considéré que le licenciement économique était fondé sur une cause réelle sérieuse et débouter M. Y... de l'ensemble de ses demandes sera infirmé. 2º) sur les dommages et intérêts : A la date du licenciement, M. Y... présentait une ancienneté de huit années au sein de la société Wessling France. Il produit un certificat médical de son médecin traitant faisant état d'un suivi pour syndrome anxio-dépressif depuis le mois de mars 2013, aggravé à l'annonce du plan de licenciement économique, et qui s'est prolongée jusqu'au mois d'avril 2014. À cette période, le salarié a retrouvé un emploi à des conditions de rémunération correspondant au salaire de base qu'il percevait au sein de la société Wessling France. Aucun bulletin de salaire de M. Y..., antérieur à la rupture de son contrat de travail, n'est versé au débat. Compte tenu de ces éléments, il sera octroyé au salarié, en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, une indemnité de 40 000 € » ;
1. ALORS QUE compte tenu de l'évolution de la législation en matière de licenciement pour motif économique, le motif économique du licenciement doit être apprécié, sauf fraude, au niveau des seules entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité et implantées sur le territoire français ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la société Laboratoires Wessling est « l'implantation française du groupe allemand Wessling », que son résultat d'exploitation de la société s'est effondré en 2011 et, après un redressement en 2012, a à nouveau connu un net recul en 2013, que l'expert-comptable du comité d'entreprise a lui-même relevé que le résultat économique brut avait varié de – 62,8% entre les exercices 2012 et 2013 et que l'endettement de l'entreprise par rapport aux fonds propres s'était accru ; qu'en retenant néanmoins que, faute d'établir que la situation économique et financière du secteur d'activité du groupe a connu une dégradation portant atteinte à sa compétitivité et permettant de craindre pour sa pérennité, la société Laboratoires Wessling ne justifie pas du motif économique invoqué pour justifier le licenciement de M. Y..., la cour d'appel, qui a apprécié le motif économique au niveau de l'ensemble des sociétés du groupe Wessling implantées en France et à l'étranger, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2. ALORS QU' en toute hypothèse, le motif économique du licenciement prononcé par une société appartenant à un groupe doit être apprécié au sein de cette seule société, lorsqu'elle est totalement autonome financièrement et dans ses choix de gestion ; qu'en l'espèce, la société Laboratoires Wessling faisait valoir qu'elle est « financièrement autonome », dès lors qu'aucun dividende n'a jamais été versé depuis sa création à son actionnaire principal, la société Wessling Holding, ses bénéfices servant à financer son développement et assurer son autonomie, qu'il n'existe aucune convention de trésorerie avec l'actionnaire majoritaire, ni aucune gestion centralisée de trésorerie et que le financement de ses activités est opéré au moyen d'emprunts, d'un contrat d'affacturage pour les besoins de financement à court terme et de contrats de crédit-bail mobilier ; qu'elle soutenait encore qu'elle avait sa clientèle propre, un mode de distribution et d'exploitation propre et était totalement autonome dans le choix de ses fournisseurs ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'autonomie dont dispose la société Laboratoires Wessling en matière de financement et de gestion n'interdisait pas d'étendre à l'ensemble du groupe le périmètre d'appréciation du motif économique du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail.