CIV. 1
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 mai 2019
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10279 F
Pourvoi n° V 18-17.846
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu la décision suivante :
Vu le pourvoi formé par Mme D... Y..., épouse Y..., domiciliée [...] ,
contre l'arrêt rendu le 20 mars 2018 par la cour d'appel de Chambéry (3e chambre), dans le litige l'opposant à M. A... Y..., domicilié [...] ,
défendeur à la cassation ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 2 avril 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Wallon, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;
Vu les observations écrites de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme Y..., de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. Y... ;
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'article 1014 du code de procédure civile ;
Attendu que les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille dix-neuf. MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a dit que Monsieur A... Y... et Madame D... Y... étaient soumis au régime légal turc de la séparation de biens et qu'à compter du 22 juin 1996, les époux ont été soumis au régime français de la communauté légale ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le régime matrimonial applicable : Mme D... Y... fait valoir que les époux se sont mariés en Turquie sans désigner la loi applicable à leur régime matrimonial, que dans ses conditions la loi applicable est donc la loi interne de l'état sur le territoire duquel ils ont établi leur première résidence habituelle après leur mariage, soit la loi turque, et plus spécifiquement le régime de la séparation de biens turque, dès lors que les époux ont résidé de manière habituelle, après leur mariage, chez les parents de M. A... Y..., selon d'ailleurs la coutume en vigueur, qu'ils avaient l'intention de vivre en Turquie, que si par la suite les époux sont venus s'installer en France c'est parce qu'elle a été contrainte de quitter le domicile conjugal turc du fait de la pression subie par ses beaux-parents, cette pression devant de plus en plus intolérable, que c'est par la suite que M. A... Y... est venu la rejoindre en France dès lors qu'elle avait trouvé un emploi stable en France ; que de son côté, M. A... Y... fait valoir que les époux n'ont jamais demeuré en Turquie, que Mme D... Y... vivait depuis sa plus tendre enfance en France, qu'il n'y a jamais eu de domicile conjugal en Turquie puisque le peu de temps de cohabitation s'est déroulé chez ses parents à Boldavi, qu'il est parti quant à lui à Colmar en 2005 après avoir fait son service militaire, que Mme D... Y... la rejoint en 2007 pour reprendre la vie commune, que Mme D... Y... a toujours vécu en France chez ses parents, qu'ils ont acheté un terrain et une maison en France, que dès lors leur volonté commune était de vivre de manière habituelle en France ; qu'aux termes de l'article 4 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 : "
si les époux n'ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime soumis à la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage
" qu'aux termes de l'article 7 de la Convention précitée : "la loi compétente en vertu des dispositions de la Convention demeure applicable aussi longtemps que les époux n'en ont désigné aucune autre et même s'ils changent de nationalité ou de résidence habituelle. Toutefois, si les époux n'ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage, la loi interne de l'Etat où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis : 1) à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet Etat est leur nationalité commune, ou dès qu'ils acquièrent cette nationalité, 2) lorsque, après le mariage, cette résidence habituelle a duré plus de dix ans, 3) à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si le régime matrimonial était soumis à la loi de l'Etat de la nationalité commune uniquement en vertu de l'article 4, alinéa 2, chiffre 3" ; qu'il résulte de l'article 4, alinéa 2, chiffre 3 : "toutefois, dans les cas suivants, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l'Etat de la nationalité commune des époux : 1) lorsque la déclaration prévue par l'article 5 a été faite par cet Etat et que son effet n'est pas exclu par l'alinéa 2 de cet article ; 2) lorsque cet Etat n'est pas Partie à la Convention, que sa loi interne est applicable selon son droit international privé, et que les époux établissent leur première résidence habituelle après le mariage : a) dans un Etat ayant fait la déclaration prévue par l'article 5, ou b) dans un Etat qui n'est pas Partie à la Convention et dont le droit international privé prescrit également l'application de leur loi nationale ; 3) lorsque les époux n'établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle après le mariage ; qu'il est constant que les deux époux sont de nationalité Turque, Mme D... Y... n'ayant sollicité la nationalité française qu'en 2007, que le mariage a effectivement été célébré en Turquie en 1993 sans que soit désignée la loi applicable au régime matrimonial ; qu'il est constant également qu'avant son mariage, Mme D... Y... résidait en France et ce depuis 14 ans, qu'elle est venue en Turquie spécialement pour se marier quelques jours avant le mariage ; qu'il est justifié également qu'après le mariage, Mme D... Y... a regagné la France le 26 janvier 1994, M. A... Y... étant resté en Turquie jusqu'au 22 juin 1996 pour y accomplir son service militaire ; qu'il est constant également que les époux sur cette courte période ont été hébergés par les parents de M. A... Y..., qu'il n'est nullement justifié qu'ils avaient un domicile propre ou qu'ils avaient effectivement l'intention de s'installer durablement en Turquie, que l'attestation produite par Mme D... Y..., si elle confirme qu'elle a effectivement vécu 6 mois chez ses beaux-parents ne constitue pas pour autant la démonstration que la résidence habituelle des époux était fixée en Turquie et que les époux avaient l'intention d'y demeurer de manière pérenne, qu'au surplus il n'est nullement démontré que le départ de Mme D... Y... pour la France était un départ précipité sous la pression de ses beaux-parents, alors que comme rappelé ci-dessus, Mme D... Y... avait toutes ses habitudes de vie en France, que la vie commune entre les époux en Turquie n'existait pas dès lors que M. A... Y... était retenu par ses obligations militaires ; que selon l'attestation de M. G... il est justifié que M. A... Y... est parti en France pour rejoindre son épouse après avoir été libéré de ses obligations militaires, que les quelques retours du couple en Turquie l'ont été dans le cadre de séjours de vacances ; que l'enfant du couple est né en France, que l'édification d'une maison en France dans la région où a toujours vécu l'épouse, constitue bien au cas d'espèce la confirmation que la commune volonté des époux était bien de s'installer de manière définitive en France ; que l'acte authentique d'acquisition du terrain du 28 février 2002, dans lequel figure la mention que les époux sont soumis au régime légal turc de la séparation de biens, ne peut suffire à établir que les époux aient désigné la loi turque comme loi applicable à leur régime matrimonial avant le mariage et ce d'autant plus que cette simple mention déclarative est contredite par la réalité des faits, qu'au surplus cette mention ne peut être valablement opposée à M. A... Y... dont il est par ailleurs établi qu'il ne maîtrisait pas la langue française et qu'il ne pouvait donc pas comprendre le sens et la portée de cette mention ; que dès lors, au regard de la brièveté du séjour de Mme D... Y... en Turquie, de l'absence d'une véritable communauté de vie entre les époux en Turquie dès lors que M. A... Y... était retenu par ses obligations militaires, des habitudes de vie de Mme D... Y... en France avant le mariage et de l'arrivée de M. A... Y... en France pour y rejoindre son épouse dès lors que ses obligations militaires étaient levées, il convient de dire en l'absence de tout contrat de mariage spécifiant l'adoption du régime matrimonial turc, qu'en application des règles de droit international privé les époux sont soumis au régime matrimonial français de la communauté réduite aux acquêts à compter du 22 juin 1996 » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur le régime matrimonial des époux : aux termes de l'article 4 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, si les époux n'ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime soumis à la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage. Toutefois, dans les cas suivants, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l'Etat de la nationalité commune des époux : (
) 3. Lorsque les époux n'établissent pas sur le territoire du même Etat leur première résidence habituelle après le mariage ; qu'aux termes de l'article 7 de la Convention de La Haye, la loi compétente en vertu des dispositions de la Convention demeure applicable aussi longtemps que les époux n'en ont désigné aucune autre et même s'ils changent de nationalité ou de résidence habituelle. Toutefois, si les époux n'ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage, la loi interne de l'Etat où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis : 3) à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si le régime matrimonial était soumis à la loi de l'Etat de la nationalité commune uniquement en vertu de l'article 4, alinéa 2, chiffre 3 ; qu'en l'espèce, les parties sont toutes deux de nationalité turque et se sont mariés en Turquie sans faire précéder leur union d'un contrat de mariage ; qu'or Madame Y... ne justifie pas que les époux aient désigné la loi applicable à leur régime matrimonial antérieurement au mariage ; qu'en effet, la mention, que les époux "sont soumis au régime légal turc de l séparation de biens ayant déclaré avoir établi leur premier domicile en Turquie" figurant au sein de l'acte authentique de prêt daté du 28 février 2002, seul document signé par Monsieur Y... afférent à l'acquisition du terrain litigieux ne peut suffire à établir que les époux aient désigné la loi turque applicable à leur régime matrimonial avant le mariage ; qu'au surplus il est indiqué au seins du procès-verbal de difficulté dressé par Maître J... le 20 mars 2012 que l'assistante d'un interprète assermenté a été requise, de telle sorte qu'il n'est pas établi que Monsieur Y... maîtrisait suffisamment la langue française pour saisir le sens et la portée de la mention du notaire apposée sur l'acte authentique de prêt ; que par ailleurs, il résulte du certificat de résidence de Madame Y... sur la commune d'Annemasse que celle-ci vivait en France depuis 14 années lorsqu'elle s'est rendue en Turquie le 28 juillet 1993 quelques jours avant le mariage ; que Madame Y... a regagné la France moins de 6 mois plus tard, le 26 janvier 1994, tandis que Monsieur Y... est pour sa part demeuré en Turquie jusqu'au 22 juin 1196 aux fins d'effectuer son service militaire ; que de plus, Madame Y... ne conteste pas avoir été hébergée en Turquie pendant ces quelques mois avec son époux au domicile de ses beaux-parents et ne justifie pas de leur installation dans un logement qui leur aurait été propre en Turquie ; qu'en outre, il est constant qu'après un bref séjour de quelques mois en Turquie, elle est retournée vivre en France, qu'elle a acquis la nationalité française, que l'enfant des parties est né en France, et que les époux se sont durablement installés en France, sur le territoire duquel a été édifié le domicile conjugal ; qu'au regard de ces éléments, de la brièveté du séjour de Madame Y... en Turquie postérieurement au mariage, de ses fortes attaches avec la France, et de l'absence de preuve relative à une véritable installation des époux en Turquie, il n'apparaît pas démontré que les époux aient établi leur première résidence en Turquie postérieurement au mariage ; qu'il résulte au contraire de ces différents éléments que leur intention commune était de s'installer en France à l'issue du service militaire de Monsieur Y... ; que dans ces conditions, compte-tenu de la longue séparation des époux, du fait du service militaire de Monsieur Y... en Turquie, il y a lieu de retenir que Madame Y... a établi a résidence habituelle en France postérieurement au mariage tandis que Monsieur Y... résidait en Turquie ; que dès lors, il y a lieu de dire que le régime matrimonial des époux était initialement soumis à la loi turque, loi de leur nationalité commune en application de l'article 4 alinéa 2 chiffre 3 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, et qu'à compter du 22 juin 1996, date de leur installation commune et durable en France, le régime matrimonial a été soumis à la loi française, conformément à l'article 7 alinéa 2 chiffre 3 de la Convention, faute de désignation par les époux de la loi applicable à leur régime matrimonial avant le mariage ; qu'il convient en conséquence de dire, en l'absence de contrat de mariage régularisé par les époux que jusqu'au 21 juin 1996, les époux étaient soumis au régime légal turc de la séparation de biens, et qu'à compter du 22 juin 1996, les époux ont été soumis au régime français de la communauté légale » ;
1°) ALORS QUE pour déterminer la loi applicable au régime matrimonial, les juges doivent rechercher l'endroit où les époux ont souhaité fixer leur premier domicile conjugal ; que la cour d'appel a jugé que les époux Y... étaient soumis au régime matrimonial français de la communauté réduite aux acquêts à compter du 22 juin 1996, aux motifs qu'avant son mariage Mme D... Y... résidait en France et ce depuis 14 ans ; qu'en se prononçant ainsi au regard de circonstances de fait antérieures au mariage, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 4 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 ;
2°) ALORS QUE pour déterminer la loi applicable au régime matrimonial, les juges doivent rechercher l'endroit où les époux ont souhaité fixer leur premier domicile conjugal ; qu'en jugeant que les époux Y... étaient soumis au régime matrimonial français de la communauté réduite aux acquêts à compter du 22 juin 1996, alors qu'il ressortait des motifs de sa décision que pendant les six mois suivant leur mariage, les époux Y... avaient vécu en Turquie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ces propres constatations, en violation de l'article 4 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 ;
3°) ALORS QU'en affirmant que M. Y... ne maîtrisait pas la langue française et qu'il ne pouvait donc pas comprendre le sens et la portée de la mention figurant dans l'acte authentique du 28 février 2012, sans répondre aux conclusions de Mme Y... qui établissait au contraire que M. Y... maîtrisait la langue française (p. 9, §§ 2 à 11), la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement formée par Mme Y... au titre de la pompe à peinture ;
AUX MOTIFS QUE « les époux se sont séparés de corps et de biens depuis le 22 mars 2007, que conformément aux dispositions de l'article 815-10 du code civil, chaque indivisaire a droit au bénéfice provenant des biens indivis et supporte également les pertes proportionnellement à ses droits dans l'indivision ; [...] ; qu' en ce qui concerne la pompe Airless HTP 800 d'une valeur de 3 100,00 euros, selon facture du 19 mars 2010, il est certes justifié d'un prélèvement mensuel de 310,00 euros sur le compte personnel de Mme D... Y... ouvert à la banque Laydenier, mais ces prélèvements ne couvrent pas la totalité de la dépense, qu'il n'est donc nullement justifié que Mme D... Y... a financé l'intégralité de cette pour à peinture pour le compte de M. A... Y... » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « aux termes de l'article 302 du code civil, la séparation de corps entraîne toujours la séparation de biens ; qu'aux termes de l'article 815-10 du code civil, chaque indivisaire a droit au bénéfice provenant des biens indivis et supporte également les pertes proportionnellement à ses droits dans l'indivision ; qu'en l'espèce, le jugement de séparation de corps a été prononcé le 22 mars 2007, lequel entraînait la séparation de biens des époux ; [...] ; que toutefois la facture établie au nom de Madame Y... le 19 mars 2010 par la société Sarl Ed-peinture services pour une pompe airless htp 800, en l'absence de tout justificatif de paiement, ne permet pas d'établir qu'elle ait acquis une pompe à peinture pour le compte de M. Y... » ;
1°) ALORS QUE chaque indivisaire a droit aux bénéfices provenant des biens indivis ; qu'après avoir constaté que Mme Y... justifiait d'un prélèvement mensuel de 310 euros sur son compte personne, la cour d'appel a rejeté sa demande en paiement formée au titre de l'achat d'une pompe à peinture d'un montant de 3 100 euros, aux motifs que ces prélèvements ne couvraient pas la totalité de la dépense et qu'il n'était donc pas justifié qu'elle avait financé l'intégralité de cette pompe à peinture pour le compte de M. A... Y... ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Mme Y... n'était pas titulaire d'une créance sur l'indivision, pour la part de la dépense qui avait été couverte par les prélèvements de 310 euros dont elle justifiait, soit 2 480 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 815-10 du code civil.